Edith, apprendre le tchèque pour ne rien regretter

Fille d’un papa tchèque qui a quitté la Tchécoslovaquie en 1947, Edith Berard fait partie de ces francophones qui, un jour, se sont lancés dans l’aventure de la langue tchèque. Après de nombreux séjours passés de l’autre côté du rideau de fer durant son enfance, Edith, malgré la distance qui sépare Perpignan, la ville où elle vit aujourd’hui, de Plzeň et de Prague, ses deux villes de cœur, a décidé d’intensifier son apprentissage bien des années plus tard. Une histoire et une expérience pas banales qu’elle raconte pour RPI.     

« Bonjour, je m’appelle Edith Bérard, j’habite à Perpignan, dans le sud de la France. J'ai des origines tchèques par mon père, qui a quitté la Tchécoslovaquie en 1947. Il est né en 1930, il avait donc 17 ans quand il a fui son pays. »

Stanislav Mann légionnaire | Photo: Archives d’Edith Berard

« Il s’est alors engagé dans la Légion étrangère, qui est devenue une deuxième famille pour lui, avant de bourlinguer à droite et à gauche. Mais son idée a toujours été de revenir dans son pays d'origine. Déjà parce qu’il y avait laissé sa famille ; il était le plus jeune de six enfants, il avait donc cinq frères et sœurs. Malheureusement, il n’a jamais revu sa maman, et cela a été un très gros chagrin pour lui comme pour elle, puisqu’elle elle est décédée en 1960. »

Votre papa a quitté la Tchécoslovaquie quelques mois avant l’arrivée au pouvoir du Parti communiste en Tchécoslovaquie, et c’est cette histoire de votre père qui explique aujourd’hui votre intérêt pour la Tchéquie et pour la langue tchèque. C’est bien ça ?

Edith : « Oui, bien sûr, parce qu'en fait, la première fois où il a pu revenir dans son pays, c'est parce qu'il avait été naturalisé français. Nous étions venus en août 1968 et je crois que la chance que nous avons eue, c’est que nous sommes repartis en France juste avant l'entrée des chars soviétiques en Tchécoslovaquie. Nous sommes partis trois ou quatre jours avant, cela a été extraordinaire parce que nous aurions pu ne pas pouvoir repartir si les chars étaient entrés alors que nous étions là. »

Cela faisait longtemps qu’Edith Berard, qui séjourne régulièrement à Prague, avait envie de nous rendre visite dans nos locaux de la Radio tchèque. Et ce, d’autant plus que l’appartement de la famille pragoise qui l’accueille lors de ses passages en Tchéquie se trouve à quelques centaines de mètres de l’entrée historique, rue Vinohradská. Edith est finalement bien venue et c’est à cette occasion qu’elle nous a raconté l’histoire de sa famille, intimement liée à celle de la Tchécoslovaquie dans la seconde moitié du XXe siècle, et confié son amour de la langue et de la culture tchèques. Une histoire qui, pour elle, commence donc avec ce premier voyage en Tchécoslovaquie en août 1968...

Photo: Archives d’Edith Berard

Edith : « Mon père est originaire d'un petit village à côté de Plzeň qui s'appelle Tymákov. Par rapport à notre vie en France, où nous étions élevés, comme on dit, 'dans du coton', c'est vrai que l'on trouvait que la vie 'là-bas', en Tchécoslovaquie, était dure. Une des choses qui nous avaient marqués, c'était la cabane au fond du jardin pour aller aux toilettes. Il n'y avait pas non plus le tout-à-l'égout ; il fallait aller au puits chercher de l'eau pour boire. Surtout que, moi, je n’aimais ni le kofola (une limonade tchèque) ni la bière. Mon père disait d'ailleurs que j'étais la honte de la famille... »

« Je trouvais donc que la vie était particulièrement rude, mais d'un autre côté j'étais attirée. Je ne sais pas bien pourquoi, j'explique cette attirance certainement par le fait qu'il s'agissait de mes racines. J'en étais fière et j'aimais ma famille. J'avais l'impression de les connaître depuis toujours, bien que nous ne parlions pas la même langue. J'avais une cousine d’un an de moins que moi et comme elle n'essayait pas de parler français, j'étais obligée de parler tchèque. Surtout que c'est moi qui venais dans le pays. Forcément, les enfants ont toujours envie de jouer ensemble. Mon frère aîné avait aussi un cousin à peu près du même âge, donc lui aussi a pu parler tchèque. Par contre, en 1968, mon petit frère et ma petite sœur n'étaient pas encore venus au monde et eux n'ont jamais eu la chance d'avoir quelqu'un de leur âge à qui parler. Ils sont toujours restée ensemble et aujourd’hui, à part quelques mots courants, ils ne connaissent pas vraiment le tchèque. »

Photo: Archives d’Edith Berard

Vous expliquez votre intérêt pour la langue tchèque un peu paradoxalement par le fait que votre père ne vous l’a jamais appris. Or, votre père, de par sa carrière militaire dans la Légion étrangère, était un globe-trotter et un polyglotte. Comment expliquez-vous cela ?

« Je ne sais pas vraiment, mais autrefois, dans les années 1960-1970, on déconseillait aux parents de parler une autre langue. Aujourd'hui, on sait que c'est une bêtise, qu'au contraire les enfants assimilent très vite les langues, mais à l'époque on déconseillait aux parents de parler une autre langue. Et puis mon père a fait une carrière militaire et quelquefois, il partait de la maison pendant plusieurs mois. Peut-être que c'est pour cela ça aussi, car il savait qu'il n’y avait pas de suivi régulier, qu’il n'était pas là… »

« Mais je pense que cela a été une erreur. Alors, est-ce qu'il l'a regrettée ou pas ? Peut-être que ça l'arrangeait aussi que l’on ne comprenne pas ce qu'il disait quand il était dans la famille. C'était peut-être amusant aussi pour lui, mais c'est vrai que pour moi, cela a toujours été un petit peu embêtant. »

« Il aurait quand même pu essayer. Quand tu aimes ton pays, tu as envie de transmettre cet amour à tes enfants. Personnellement, je me débrouille, mais je ne peux pas dire que je maîtrise la langue. Or, si cela avait le cas, je sais que j'aurais parlé tchèque à mes enfants, que j'aurais transmis cet héritage. Le jour où je ne serai plus le lien entre la famille tchèque et ma famille en France, il y aura une cassure et je trouve que c'est dommage. Je veux entretenir ce lien tchéco-français au maximum et c'est pour cette raison que je reviens régulièrement, tous les ans, et que j'essaie de trouver des cours de tchèque pour m'améliorer. »

Edith avec sa famille d'accueil à Prague | Photo: Archives d’Edith Berard

Edith, qui dit aimer la musique de Smetana, possède aujourd’hui deux familles tchèques : la famille de son père, donc, dans les environs de Plzeň, en Bohême de l’Ouest, avec laquelle elle maintient le lien, et sa famille d’adoption à Prague, chez Lubor Dufek et sa femme Marie. Elle explique comment, après le décès de son père en 2011, elle a éprouvé le besoin de développer davantage ces racines tchèques très ancrées en elle, notamment en cherchant à apprendre de façon plus approfondie la langue. Et si elle reproche aujourd’hui quelque peu à son père de ne pas avoir parlé tchèque à ses enfants, c’est paradoxalement ce manque qui l’a poussée à se lancer dans l’aventure de l’apprentissage de la langue :

Edith : « Mon père nous emmenait tous les ans en vacances en Tchécoslovaquie et il travaillait toute l'année pour voir sa famille. Je pense que c'est un non-sens, mais bon, on ne peut pas réécrire l'histoire. Je suis quand même fière d'avoir fait des progrès par moi-même, parce que, certes, je me débrouillais, mais j'ai fait de sérieux progrès, malheureusement, depuis qu'il est décédé. Je me alors suis dit qu’il fallait que je vienne plus souvent et que j’essaie, par moi-même, d’apprendre le tchèque. »

Stanislav Mann,  père d'Edith | Photo: Archives d’Edith Berard

Comment vous êtes-vous lancée dans cette aventure ?

Edith : « En fait, j'ai toujours voulu apprendre le tchèque, j'ai toujours eu des livres de tchèque. Je vais souvent à la librairie Luxor pour trouver des petites choses qui peuvent m'aider, mais son décès a vraiment été l'élément déclencheur. C'est à partir de ce moment-là que j'ai vraiment voulu m'inscrire à des cours pour mieux parler. »

« Mon papa est décédé en juillet 2011 et dès le mois d'octobre, j'ai fait le pas de venir à Prague pour la première fois, pour essayer de trouver une école sur place. Ce n’est pas évident de choisir à distance, il y a trop de choix quand on regarde sur Internet. Je voulais aussi trouver une famille d'accueil en plein centre de Prague pour pouvoir apprendre à bien connaître la ville. »

Vous faites aujourd'hui régulièrement l'aller-retour entre Perpignan et Prague, une à deux fois par an. Comment avez-vous trouvé cette famille d'accueil ?

Edith : « J'ai cherché une école sur Internet et plusieurs écoles proposaient des familles d'accueil qui habitaient dans la banlieue. Je me suis dit que cela serait un petit peu galère pour faire les allers-retours vers le centre de Prague et étudier conjointement. Si, par exemple, les cours sont le matin dans la banlieue, quand est-ce que je pourrai visiter la ville ? J'étais attirée par la ville de Prague, parce que je sais que c'est très riche culturellement. Mucha est d'ailleurs mon peintre préféré, et j'avais envie de mieux connaître cette ville. Je pense que c'est le cas désormais. »

Avoir envie d'apprendre une langue, c'est une chose, en faire la découverte dans la pratique en est une autre. On sait que le tchèque, pour certaines personnes, peut sembler très difficile, quelles ont donc été vos premières impressions lors de vos premiers cours ?

« Je pense avoir 'une oreille tchèque', d'ailleurs tout le monde me dit que j’ai un parfait accent. Sauf que, très rapidement, on se rend compte que je ne suis pas du tout tchèque, tout simplement parce que je fais beaucoup de fautes de grammaire ou de syntaxe. C'est une horreur et j'aimerais vraiment progresser, aussi parce que j'ai un objectif qui est d'obtenir la nationalité tchèque. Alors, je ne sais pas si je pourrais le faire, mais en tout cas, j'en ai envie. J'ai envie d'avoir un double passeport ! »

Ce qui passe par un test de connaissances linguistiques, qui est une condition indispensable si on veut obtenir cette nationalité tchèque...

Edith : « Non seulement il y a la langue, mais il y a aussi un peu d'histoire, un peu de géographie, puis de l'économie. Je crois que c'est indispensable, parce que vouloir obtenir une nationalité signifie que l'on est fier de son pays, et je pense que c'est indispensable de le connaître un minimum. »

Qu'est-ce qui vous attire le plus dans l'apprentissage du tchèque et qu'est-ce qui, inversement, vous semble le plus difficile ?

« Les déclinaisons me semblent être le plus difficile, j'ai un peu de mal aussi parce que la construction des phrases est complètement différente et on a toujours plus ou moins tendance à vouloir traduire mot pour mot, alors que cela ne fonctionne pas en tchèque. Même les noms se déclinent ce n'est pas évident. Alors, ça commence à rentrer mais c'est un peu dur pour moi, je reconnaîs. »

Dans la famille d'accueil où vous logez lors de vos séjours à Prague, les échanges se font-ils en tchèque ?

« Oui, obligatoirement, parce que Maruška (diminutif de Marie) ne parle pas du tout français. Ce que j'apprécie chez elle, c'est qu'elle me reprend constamment pour me corriger, et je trouve ça super parce que mon cousin ou ma famille ne le font pas forcément. C'est pour ça qu’au départ je n'ai pas voulu prendre de cours à Plzeň : je savais que nous commencerions à parler en tchèque mais que nous finirions par parler en français. Je me suis dit que je n'y ferai jamais de progrès dans la mesure que je souhaite. »

Edith avec sa famille d'accueil à Prague | Photo: Archives d’Edith Berard

Comment entretenez-vous le lien avec la Tchéquie et le tchèque lorsque vous êtes à Perpignan ?

« Grâce à Radio Prague, parce que je reçois quotidiennement la newsletter avec l'essentiel des informations en tchèque et en français. Pour l'écoute, je suis les émissions en français, parce qu’en tchèque c'est un peu difficile. J'ai beaucoup de livres, j'essaie d'écouter certaines émissions avec l'oreille aiguisée. Entendre parler, écouter, cela entretient le lien, je pense. »

Question quasi obligatoire dans cette rubrique du Tchèque du bout de la langue : y a-t-il un ou des mots de tchèque que vous appréciez plus particulièrement, qui vous amusent ou qui vous semblent curieux, qui vous font penser que c'est quelque chose de typiquement tchèque ?

« C'est une question un peu difficile... Peut-être le 'knedlík', c'est un mot qu'on apprend dès qu'on arrive quand on est petit. 'Pivo', 'knedlík', bref, tout ce qui touche à la nourriture. Ce sont les mots qui restent mais il y en a tellement... C'est la langue qui me plaît aussi, c'est un peu comme la musique. Vous savez, des fois, on entend dire que l’italien est une langue qui se chante, et, pour moi, la langue tchèque c'est aussi ça, c'est une richesse, une richesse de syntaxe. »