Emerich Rath

Emerich Rath
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Des clochards et des sans-abri, il y en a partout : à Londres et à Paris aussi bien qu'à Moscou ou à Madrid. Prague ne fait pas exception. Parmi eux, beaucoup de ceux qui jadis étaient des travailleurs honnêtes, des commerçants, parfois même des gens riches dont le destin a pris un tournant dramatique. Tel est le cas d'Emerich Rath, devenu sans-abri dans les années soixante, donc sous le régime totalitaire, alors que les communistes prétendaient que la mendicité et les sans-abri étaient des phénomènes n'existant que dans les pays capitalistes.

Le nom d'Emerich Rath, né le 5 novembre 1883 à Prague, est peu connu, presque oublié. Pourtant, il reste un des sportifs parmi les plus remarquables et les plus polyvalents de l'Europe au début des années vingt du XXe siècle. Il fut sacré champion d'Allemagne de boxe dans la catégorie poids lourd, gagna à plusieurs reprises des courses cyclistes, participa en tant que représentant de l'Autriche-Hongrie aux Jeux olympiques de 1908 à Londres et de 1912 à Stockholm, et fut le premier à descendre les rivières de France et d'Italie. Tout un chapitre parle de lui dans le livre intitulé La Marche et le sport pédestre (Das Gehen und der Gehsport), paru en 1907 en Allemagne, pays où il s'est rendu également célèbre grâce à ses victoires en marche à longue distance, catégorie où il reste imbattable. Au cours de sa vie, E. Rath a remporté près de 500 victoires dans différentes disciplines sportives. Le 16 avril 2004, quarante quatre ans après son décès, le Club tchèque de Fair play lui a décerné un prix pour ses mérites sportifs. Emerich Rath, qui s'est abstenu de boire de l'alcool tout au long de sa vie, était encore l'une des multiples victimes de l'injuste régime totalitaire.

La famille Rath était allemande, mais tous parlaient couramment le tchèque. Il n'est donc guère étonnant qu'Emerich, qui se sentait plus Tchèque qu'Allemand, ait été un grand patriote. D'ailleurs, il a participé à toutes les compétitions sous le drapeau tchèque. Quelques années après la naissance d'Emerich, la famille déménage à Broumov, ville située dans une région montagneuse en Bohême du nord-est. Emerich est un garçon sportif et veut tout essayer. Il est bien le premier à se lancer dans une discipline toute nouvelle - le ski. Mais malheureusement, il est obligé de partir à Prague pour faire son apprentissage. L'air pollué de la capitale ne lui convient absolument pas. A quatorze ans, le jeune garçon, si sain auparavant, devient une personne souffrante. Pour lui, la solution est claire : changer son mode de vie. Il devient végétarien et se remet avec ardeur à pratiquer toutes sortes de sports. En peu de temps, il devient très fort. Un jour, par exemple, il décide avec un ami de faire une marche nocturne de 80 kilomètres entre Prague et Pilsen. Ils partent le soir et reviennent le matin. Lorsque la Grande Guerre éclate, E. Rath part avec la division d'artillerie sur le front de l'Est. Finalement, il est détaché dans les Alpes, où il est moniteur de ski de l'armée.

En 1928, il ouvre un magasin de sport à Prague qui est très vite dans le vent. Rien de surprenant car Emerich est toujours souriant, agréable, prêt à répondre à toutes les questions et à procurer à ses clients tout type d'équipements sportifs. Pas étonnant puisqu'il a des contacts dans pratiquement tous les pays de l'Europe. Ses activités sont très complexes. Il organise des compétitions et aménage même un terrain de sport près de son chalet. Emerich Rath survit à la Deuxième Guerre mondiale, mais le rideau du malheur va bientôt s'abattre sur lui. Son magasin est confisqué par l'Etat et Emerich est condamné à un an de prison pour style de vie au mode capitaliste. Il est considéré comme bourgeois aux tendances capitalistes, raison pour laquelle on lui octroie une pension risible à sa sortie de prison. Il fait à peine le mois. Loin d'être pessimiste, il se dit que c'est la vie et se fait à son nouveau destin. Emerich passe de chantier en chantier comme manoeuvre. La vie dure qu'il mène ne l'empêche pas de continuer à faire du sport. Il veut même participer aux Jeux olympiques de Rome. Son plan est simple : partir en vélo avec une tente. Notons qu'à l'époque il a soixante-dix sept ans ! Son rêve ne se réalisera pas, car évidemment ce ne sont que les sportifs désignés par l'armée ou le parti qui peuvent faire partie de l'équipe olympique.

Il y a un vide auquel on tient

où naît le tourbillon

de tout ce qui s'approche

et qui va perdre pied

C'est le vide où s'inscrit

le meilleur de la solitude.

(ANNE LE COZ)

Emerich est trop âgé pour qu'on lui donne du travail et il n'a même plus de foyer. Alors il habite dans un des parcs de la ville de Broumov. Il dort à la belle étoile et se lave dans la fontaine. En somme il est content, mais moins la police car une République socialiste ne peut avoir de sans-abri ! On l'emmène de force dans une maison de retraite où il meurt le 20 décembre 1962, quelques mois après.

Emerich Rath, dont la plaque commémorative se trouve à Broumov, sa ville natale, est un homme presque oublié, mais on cite toujours son nom en relation avec la tentative de sauver la vie du célèbre skieur tchèque Bohumil Hanc. L'événement tragique s'est passé en 1913 dans les monts des Géants au cours d'une compétition de ski. Les conditions étaient des plus défavorables. Ce jour-là, il gelait, une tempête de neige faisait rage et un vent très fort soufflait en rafales. La plupart des participants avaient renoncé à la compétition. Bohumil Hanc était porté disparu. Emerich Rath avec deux autres personnes partit à la recherche du skieur perdu. Et Emerich a effectivement retrouvé Bohumil Hanc ne donnant plus aucun signe de vie, mais qui respirait encore. E. Rath n'avait plus assez de force pour le porter jusqu'au chalet, alors il est revenu chercher de l'aide. Malheureusement, l'équipe de sauvetage n'a pas réussi à réanimer le corps de Bohumil Hanc qui a succombé au froid. Jusqu'à la fin de sa vie, Emerich Rath se sentit coupable de la mort du célèbre skieur, alors qu'il avait honnêtement tout fait pour le sauver, en mettant en danger sa propre vie.