En 1989, la révolution aussi d’Ivan Hašek et des footballeurs tchécoslovaques
Le 15 novembre 1989, à Lisbonne, l’équipe de Tchécoslovaquie de football se qualifiait pour la phase finale de la Coupe du monde 1990 en Italie grâce à un match nul (0-0) décroché contre le Portugal. Deux jours plus tard, à Prague, se tenait la première d’une longue série de manifestations qui allaient aboutir au renversement du gouvernement communiste. C’est dans cette atmosphère euphorique qu’Ivan Hašek, alors capitaine de l’équipe nationale, avait été invité à s’adresser à la foule lors de l’un des rassemblements sur la place Venceslas. Ancien joueur et entraîneur de Strasbourg et de Saint-Étienne, Ivan Hašek a évoqué les souvenirs qu’il a gardés de cette période au micro de Radio Prague.
C’était il y a vingt-huit ans. Déjà de l’histoire ancienne pour la jeune génération. Mais pour ceux qui ont vécu de l’intérieur les événements de la fin de l’année 1989 en Tchécoslovaquie, les souvenirs sont encore bien vivaces. Ivan Hašek, qui nous avait gentiment accueillis il y a quelques années de cela dans son bureau de président de la Fédération tchèque de football, avait évoqué les siens, de souvenirs, avec un plaisir sincère, ravi aussi de pouvoir parler en français :
« C’est déjà loin. Mais je n’ai bien entendu jamais oublié. Celui qui a connu l’ambiance qui régnait alors à Prague ne peut pas avoir oublié. Les gens étaient gentils entre eux. Lorsque vous montiez dans le bus ou le tramway, vous pouviez voir sur les visages que tout le monde était positif. Les gens étaient souriants. C’est quelque chose que je n’avais jamais vu avant et que je n’ai jamais non plus revu après. »
« Je pense que cette révolution s’est passée de façon intelligente. Tout le monde voulait un changement, mais il n’y pas eu de morts ni de fanatisme. Je suis fier que les choses se soient passées pacifiquement, que nous ayons été capables de changer le régime de cette manière.»
Ivan Hašek le reconnaît volontiers. Lorsqu’en cette froide journée de novembre, il se retrouve devant la foule réunie sur la place Venceslas, invité à prendre la parole du haut d’un balcon aux côtés de Václav Havel et Alexandr Dubček, il n’en mène pas bien large :
« Vous savez, je ne suis pas un révolutionnaire. J’étais capitaine de l’équipe nationale, c’est vrai, mais cela ne veut pas dire que j’avais suffisamment de courage pour parler devant 800 000 personnes. J’ai eu peur mais les choses se sont passées de telle sorte qu’il a fallu que je parle. Comme les jours précédents, je m’étais rendu sur la place Venceslas pour manifester. Puis à un moment, j’ai entendu dans les haut-parleurs qu’on me demandait de monter au balcon. J’étais surpris, parce que, lorsque je suis arrivé, les gens qui étaient autour de moi étaient messieurs Havel et Dubček, Věra Čáslavská et tous ceux qui ont fait la révolution. Et moi, j’étais parmi eux… »
« J’avais peur, mais lorsque j’ai serré la main de messieurs Havel et Dubček, ils m’ont dit d’y aller, que j’étais parmi les premiers intervenants. J’ai dit ‘OK’. Je n’étais pas prêt, je n’avais prévu aucun discours, mais j’ai dit quelques mots et j’ai surtout félicité les gens qui étaient capables de manifester de la sorte. J’ai dit que les joueurs de foot étaient derrière les gens, qu’il y avait une possibilité de changer le régime et que tous ensemble, on pouvait gagner. Cela a été une des plus grands moments de ma vie. »Ce sont alors tous les joueurs du Sparta Prague qui se joignent à la grève générale. En tant que capitaine du grand club protégé par le régime communiste, Ivan Hašek affirme que si lui et ses coéquipiers n’ont pas hésité à participer aux manifestations à l’issue encore incertaine, ils n’avaient pourtant rien de héros :
« Tous les joueurs du Sparta étaient avec moi tous les jours, à chaque fois qu’il y avait une manifestation. Bien sûr que j’avais peur, j’avais une femme et des enfants. Comme je vous l’ai dit, je n’étais pas quelqu’un de spécialement courageux. Je pense qu’il y avait beaucoup de monde beaucoup plus courageux que moi. Je pense par exemple aux joueurs du Dukla Prague, car c’était le club de l’armée. C’était encore plus difficile pour eux, mais cela ne les a pas empêchés de manifester eux aussi. »
Comme finalement des millions d’autres Tchèques et de Slovaques, sportifs, artistes, étudiants et ouvriers. Ou quand même les footballeurs ne sont que de simples citoyens. Ou sont eux aussi de simples citoyens.