En Corrèze, ces maquisards tchécoslovaques qui se sont opposés à la division SS Das Reich
C’est un épisode méconnu – et néanmoins fascinant – de l’histoire des Tchécoslovaques engagés en France pendant la Deuxième Guerre mondiale, qu’a découvert et révélé le journaliste Adam Hájek dans un article pour Mladá fronta Dnes : celui de maquisards tchécoslovaques réfugiés dans des fermes corréziennes qui, le 9 juin 1944, ont tenté de freiner la remontée de la division SS Das Reich, rappelée dans le nord de la France pour stopper l’avancée des troupes alliées après le Débarquement.
Aujourd’hui, à Beaulieu-sur Dordogne, deux plaques en marbre, apposées sur le pont qui enjambe la rivière, rappellent le nom d’Erich Justitz, né le 24 mai 1912 à Nový Bohumín. On peut y lire : « La ville de Beaulieu au camarade tchèque Erich Justitz tombé ici pour la liberté le 9 juin 1944 ». En-dessous, une seconde plaque : « Mort pour la France », inaugurée en 2021. Mais comment un Tchèque originaire de la région de Silésie est-il venu perdre la vie dans ces coins reculés, quelques jours seulement après le Débarquement en Normandie ?
Déjà auteur d’une thèse sur Vladimír Vochoč, ce consul tchécoslovaque basé à Marseille qui a délivré des passeports à des centaines de personnes fuyant le nazisme, le journaliste Adam Hájek avait déjà une bonne connaissance des activités du Centre d’aide tchécoslovaque, créé par ce même Vochoč et un Américain, Donald A. Lowrie et dirigé par Oldřich Dubina et son épouse.
C’est en faisant des recherches dans les archives d’une autre grande personnalité de la Résistance tchécoslovaque en France, Josef Fišera, désormais conservées à Pardubice, qu’il a découvert l’existence d’un groupe de maquisards tchécoslovaques dans la campagne corrézienne. Car si après la bataille de France, de nombreux soldats tchécoslovaques prennent le chemin de l’Angleterre pour continuer le combat, certains sont restés en France :
« Il y a avait des soldats démobilisés, d’anciens des Brigades internationales qui avaient réussi à s’enfuir des camps d’internement français. Tous ces gens ont dû se cacher jusqu’à la Libération pour ne pas être attrapés par la police de Vichy. Le Centre d’aide tchécoslovaque soutenait ces soldats démobilisés. Quand la situation est devenue plus tendue à Marseille et que la police de Vichy a commencé à organiser des rafles, le Centre a décidé d’envoyer ces soldats à la campagne. La Corrèze s’est imposée car assez éloignée de l’administration de Vichy et des Allemands. Dans leurs souvenirs, certains de ces Tchécoslovaques réfugiés disent que la région leur rappelait la Sumava. Ils ont récupéré sept ou huit fermes abandonnées, commencé à exploiter les alentours. Et au printemps 1944, plusieurs dizaines d’entre eux décident de rejoindre le maquis. »
Ainsi, ce sont 39 Tchécoslovaques en tout qui rejoignent l’Armée secrète de De Gaulle, pour certains des hommes expérimentés, comme c’était le cas d’Erich Justitz, 32 ans, puisqu’ils ont déjà participé aux combats d’avant la défaite et la débâcle de 1940.
« En 1943-1944, un certain Antonín Rybák est arrivé d’Angleterre : il était sous les ordres de František Moravec qui était le chef du renseignement militaire tchécoslovaque. C’est lui qui a coordonné les contacts entre des Tchécoslovaques et l’Armée secrète. Mais nous savons également que les relations n’étaient pas toujours au beau fixe. Donc je pense qu’en Corrèze, les choses fonctionnaient beaucoup sur le principe du téléphone arabe. Il faut savoir que certains des Tchécoslovaques réfugiés dans ces fermes vivaient en France depuis longtemps, parlaient français, donc je pense que beaucoup de contact avec les partisans locaux ont probablement été établis ainsi. »
Le 9 juin 1944 au petit matin…
Survient le 6 juin 1944 et le Débarquement en Normandie. Moment crucial qui est aussi le point de départ du soulèvement général des maquis de toute la France – en parallèle, les exactions côté allemand se multiplient, comme ce sera le cas le 10 juin à Oradour-sur-Glane. Mais avant de procéder à ce terrible massacre, la division SS Das Reich remonte inexorablement depuis Montauban pour prêter main forte aux unités allemandes dans le nord de la France.
« La 2e division SS Das Reich était une unité d’élite de l’armée allemande. Avant cela, ils avaient été déployés sur le front de l’Est, et se trouvaient en France ‘en convalescence’, en quelque sorte. Dès le début de l’invasion le 6 juin, ils ont reçu l’ordre de partir vers le nord, à la fois pour aider leurs collègues, mais ils avaient aussi pour mission de réprimer les groupes de partisans qui ont commencé à émerger de toutes parts. Après des mois d’actions de sabotage, les partisans sont sortis du bois et ont vraiment commencé à combattre. A chaque carrefour, dans chaque petite ville, sur chaque pont, des unités de partisans attendaient la division. Le 9 juin, à Beaulieu-sur-Dordogne, les Allemands se retrouvent face à ces 39 maquisards tchécoslovaques qui ont construit une barricade sur le pont enjambant la Dordogne pour au moins essayer de les freiner. Le combat a été de courte durée : dès l’arrivée des blindés, les Allemands ont tiré. Il y a eu des blessés, et un homme est tombé : Erich Justitz dont la mémoire est aujourd’hui connue et commémorée à Beaulieu. »
Comme pas mal d’autres de ces Tchécoslovaques qui sont allés trouver refuge dans ces fermes de Corrèze, Erich Justitz est juif. Après les accords de Munich en 1938, il cherche en vain à gagner la Palestine, mais finit par se retrouver en France où il s’engage dans les unités tchécoslovaques en formation. Et comme d’autres soldats tchécoslovaques, il participe à certains combats de la Bataille de France : contrairement à d’autres, pourtant, il ne part pas pour l’Angleterre après juin 1940.
Quatre ans plus tard, et après avoir séjourné avec ses compagnons dans ces fameuses fermes de Corrèze, on le retrouve sur le pont de Beaulieu où il est chargé de défendre la barricade au fusil-mitrailleur. Touché par un obus de char, son corps est littéralement déchiqueté. Dans un document du ministère des Anciens combattants, consultable en ligne, il est indiqué de manière erronée qu’il est mort le 8, au lieu du 9 juin. Une chose est sûre : après avoir été d’abord enterrés au cimetière de Beaulieu, les restes d’Erich Justitz, dit Lauger, ont fini par être transférés en 1958, à la demande de sa sœur, seule survivante de la famille après les déportations, au cimetière israélite de Cronenbourg, à côté de Strasbourg.
L’héritage des anciens volontaires tchécoslovaques en France
Un homme regrettera toujours de n’avoir pas réussi à faire transférer la dépouille de son compagnon d’armes, tombé à Beaulieu, au carré des anciens combattants tchécoslovaques du cimetière de La Targette, dans le nord de la France : Ludvík Máníček qui commandait cette petite colonie tchécoslovaque en Corrèze et qui deviendra plus tard président de l’Association des anciens volontaires tchécoslovaques en France :
« C’est un homme qui est né à Vienne en 1902, il a ensuite vécu en Tchécoslovaquie. En 1924, ce membre enthousiaste du mouvement Sokol est parti à Paris pour un de ces grands rassemblements gymnique et patriotique. Il y est resté et est devenu serveur à l’hôtel Raphaël. En 1939, il s’est engagé dans les unités tchécoslovaques en formation, puis démobilisé. Il a fini par se retrouver dans les fermes de Corrèze. Il parlait évidemment parfaitement français : il est parvenu à contacter des résistants français et est devenu le chef du groupe de Tchécoslovaques. J’ai pu retrouver des témoignages d’après-guerres de partisans français qui disent beaucoup de bien de ces maquisards tchécoslovaques qui, contrairement aux groupes composés de simples paysans du coin, étaient disciplinés et avaient une certaine expérience des combats. »
Les destins de tous les membres de la petite colonie tchécoslovaque ne sont pas toujours connus. Mais certains d’entre eux ont un parcours exemplaire. Ludvík Máníček, lui, participera au Débarquement en Provence, remontera toute la France jusqu’en Alsace, avant de retrouver, après la guerre, son travail de serveur à l’hôtel Raphaël. Après sa retraite dans les années 1960, il se consacrera entièrement à ses activités au sein de l’Association des anciens volontaires tchécoslovaques en France.
L’historiographie tchèque connaît bien le rôle des pilotes tchécoslovaques engagés dans la Royal Air Force ou celui des soldats ayant combattu, côté soviétique, sur le front de l’Est dans l’armée de Ludvík Svoboda. Ces hauts faits d’armes, combinés au souvenir traumatisant de Munich et à la débâcle de 1940, ont fait quelque peu tomber dans l’oubli la présence de ces Tchèques et Slovaques en France. Mais pas seulement, comme le souligne Adam Hájek :
« Je pense que toute cette histoire de la résistance tchécoslovaque à l’Ouest, et en France notamment, est tombée dans l’oubli parce que jusqu’en 1989, nos historiens n’étaient intéressés que par le rôle de l’URSS pendant la guerre, de l’Armée rouge et de la résistance communiste. Après 1989, les Tchèques se sont concentrés sur le rôle des Américains, notamment dans la libération de la Bohême de l’Ouest et de Plzeň. En outre, contrairement à l’entre-deux-guerres, le français n’est plus autant parlé aujourd’hui par les gens. Tout cela a contribué à un certain désintérêt de notre part. En outre, nombre de ces vétérans sont morts avant 1989 ou alors, comme dans le cas de Ludvík Máníček, juste après, en 1992. Il représente la dernière génération des anciens combattants en France, et la suivante n’a pas vécu cette époque directement. »