Eric La Casa à l'écoute de l'eau, du vent, de la ville...
Saviez-vous que l'on peut traiter le bruit de la ventilation, par exemple, comme de la musique ? L'artiste sonore Eric La Casa, formé à l'origine en histoire de l'art, a fait tout un CD à partir de ses enregistrements de la ventilation parisienne, effectués à l'Hôpital européen Georges Pompidou, dans les couloirs de Radio France ou dans les toilettes de la Bibliothèque nationale. Eric La Casa, venu récemment à Prague pour donner un concert improvisé en marge de l'exposition interactive « Orbis Pictus », travaille depuis plusieurs années avec l'environnement sonore. Il a construit une approche musicale singulière à partir de ses recherches sur le terrain et sur la prise de son. Eric La Casa est l'invité de cette émission....
Vous travaillez plus avec des sons urbain ou non urbains ?
« Je travaille avec les deux. Je vis à Paris, depuis une vingtaine d'années, mais au début, je me refusais carrément à enregistrer ma ville. »
Pourquoi ?
« Simplement, parce que j'avais décidé que la prise de son qui était intéressante l'était sans les voitures. A partir du moment où j'entendais une voiture quelque part, ça m'empêchait de penser et d'écouter. Ensuite, j'ai fait une émission radio où j'ai dû vraiment écouter la ville. J'ai fini par porter l'attention sur ce qui était mon environnement. Et la notion entre son urbain et son dit nature, puisque ça ne veut plus dire grand-chose, ne me semblait plus pertinente du tout. Pour moi, c'était l'enregistrement, la captation. Quelque soit le phénomène, c'est intéressant. Evidemment, quand on est en pleine nature, quand il n'y a pas de voitures, les phénomènes vibratoires sont différents. Mais en ville, il se passe des choses... ! Il y a des phénomènes vibratoires très intéressants aussi. »
Phénomène vibratoire, qu'est-ce que cela veut dire ?
« Par exemple, j'ai fait un projet sur les ventilations. Un jour, je rentre dans la salle de bain d'un ami et je me dis : c'est non seulement important, mais ça remplace le bruit de la ville ! C'est devenu le bruit des appartements modernes, de notre intérieur. J'ai commencé à me poser des questions, car c'est à la fois une question d'architecture, un problème acoustique, donc les acousticiens sont en jeu. Après, il y a une foultitude de métiers qui sont liés à la ventilation. Parce que maintenant, la ventilation n'est pas simplement amener de l'air, mais amener de l'air chaud ou froid, il s'agit d'un système de plus en plus gros dans les bâtiments, et pourtant, en France, on ne traite pas vraiment le problème... Donc oui, c'est un phénomène vibratoire, car le son d'une ventilation, c'est à la fois le flux d'air qui circule et qui arrive dans une bouche souvent pas très bien nettoyée, c'est venteux, mais ça ne ressemble pas à du vent, puisque c'est continu et ça ne fluctue pas. Parfois, le son fluctue, parce qu'il y a de la poussière ou du papier dedans. Aussi, cela met en jeu tout un système de tubes qui ressemble pratiquement à un instrument. Donc j'en ai fait un CD. J'ai choisi une trentaine de ventilations que j'ai enregistrées dans Paris, dans des immeubles publics, mais dans les lieux que tout le monde fréquente, comme les toilettes. Il faut que ce soit quelque chose que tout le monde connaisse. »
Vous avez aussi travaillé sur les ascenseurs...
« Oui, c'est pareil. Au lieu de faire presque rien, au niveau sonore, certains ascenseurs vous parlent : '1er étage, 2e étage...' C'est complètement inintéressant, mais en même temps, il y a une espèce de dialogue qui s'instaure. Il suffit que vous bougiez et vous commencez à jouer avec l'ascenseur. Un jour, je suis rentré dans un ascenseur dans un parc, et il s'est mis à hurler ! J'ai eu peur, je me demandais ce que lui arrivait. Les portes se sont fermées, puis elles se sont rouvertes. Je suis resté dedans, j'ai appuyé sur le bouton et il s'est remis à hurler. Je suis resté dedans, les portes se sont refermées, puis rouvertes, il s'est remis à hurler et... j'ai eu mon enregistrement ! »
Combien de temps vous faut-il pour connaître une ville au niveau sonore ?
« Il faut que je marche. Là, par exemple, je reviens d'Ecosse. On m'avait invité à faire une résidence, je devais créer une pièce avec, justement, le son de la ville. La première chose que j'ai faite - j'ai acheté une carte topographique, suffisamment précise, pour que l'on voit les reliefs, comment la ville s'articule, comment elle a été construite, la situation par rapport aux éléments. A Dundee, cette ville écossaise, il y a la mer, donc je savais tout de suite qu'il y aura du vent. J'ai fait une travaille d'une semaine de prise de son et j'ai composé quelque chose avec ça. Ce n'est qu'en marchant dans la ville que j'ai commencé à la sentir. Je savais qu'elle était bizarrement construite, qu'il y avait un coeur historique, mais qu'elle avait l'air d'être aménagée pour les voitures. En marchant, c'est encore plus flagrant. Cela influe sur le son de la ville. »
Y a-t-il des sons que vous détestez ou, au contraire, qui vous sont particulièrement agréables ?
« Cela dépend de l'humeur. Quand j'ai commencé la prise de son, c'était clair. Il y avait des sons que je ne voulais pas entendre et des sons que je voulais entendre. Quand je voulais prendre le son d'une rivière, au moment où il y avait un avion qui passait, j'arrêtais systématiquement. Un chien au loin, une voiture qui klaxonne, ça coupait tout de suite. J'avoue que j'avais classifié les sons de cette manière-là, par goût. De plus en plus, j'ai l'impression que tout doit être accepté, parce que ça fait partie de notre environnement. Je ne peux pas dire que j'ai des goûts particuliers. Il est vrai que j'ai beaucoup enregistré l'eau, par exemple, l'eau et le vent. Tous les phénomènes qui touchent les éléments m'intéressent. Mais je suis de plus en plus étonné par le monde industriel. J'ai eu la chance de pouvoir rentrer dans des usines et là, on est saisi par l'ampleur, parfois la beauté du son. C'est de l'émotion pure. »