« Orbis Pictus », un espace de jeu, où le visiteur est roi
Aujourd'hui, je vous invite à une exposition pragoise, où il n'est pas interdit aux visiteurs de toucher les objets, au contraire, c'est vivement recommandé. Cette exposition d'instruments de musique très particuliers rappelle l'oeuvre de Comenius, puisqu'elle fait allusion à deux de ses oeuvres : elle s'intitule « Orbis Pictus » et ressemble à un véritable labyrinthe du monde et un paradis du coeur... Elle est à voir jusqu'au 30 avril prochain au Musée tchèque de la musique, rue Karmelitska, dans le quartier de Mala Strana, et suscite un énorme intérêt chez les Pragois et les touristes.
Plutôt qu'une exposition, « Orbis Pictus » est un espace de jeu, inventé par le plasticien Petr Nikl et ses amis. Un espace habité par de grandes installations qui produisent des sons et des effets lumineux. Petr Nikl, le père du projet, explique :
« J'ai fait participer à cette exposition des artisans qui fabriquent eux-mêmes des instruments, des gens qui ne sont pas uniquement des plasticiens, mais qui font aussi de la musique ou du théâtre. Moi-même, je fais aussi de la peinture disons classique... mais j'avais l'impression que cette forme d'art, l'art interactif manquait cruellement ici. Lors de l'expo au Rodolphinum, nous avons vu à quel point le public tchèque était avide de cela. Le nombre de visiteurs nous a choqués ! »
En effet, Petr Nikl a créé une première zone interactive de ce genre il y a six ans. Ce fut dans une des salles d'exposition les plus connues à Prague, au palais du Rodolphinum. En 2005, cet espace de jeu a été mis en place au pavillon tchèque à l'Expo d'Aichi, au Japon. L'année dernière, Petr Nikl a décidé de récidiver, avec, cette fois-ci, un projet de longue haleine, itinérant. Ainsi est née l'exposition Orbis pictus, présentée pour la première fois en juin 2006 au Centre tchèque de Paris. Cette année encore, elle voyagera dans trois autres villes tchèques et ensuite en Italie, au Canada et dans d'autres pays. Petr Nikl :
"Au Japon, nous avons pu voir quelle est la viabilité d'une exposition interactive. Son principe est de permettre aux visiteurs de toucher les objets exposés, dans ce cas-là de jouer des instruments, d'où le risque de leur endommagement. A Aichi, tous les instruments ont survécu, alors que l'exposition a été visitée, pendant six mois, par 1,7 millions de personnes. Leur entretien était assuré la nuit. »
« Le visiteur doit avoir un contact physique avec ces objets. Sans ce contact, cela ne marche pas. Ils ne sont qu'un paysage esthétique, un podium muet qui attend l'arrivée des musiciens. Ce qui est important, c'est l'énergie produite par ces instruments, le bruit, les dialogues et non pas les instruments eux-mêmes. »
La cacophonie créée par les visiteurs n'est pas le seul « effet » produit par les instruments. Le côté visuel de l'exposition est tout aussi impressionnant. L'espace est dominé par un immense coeur blanc, gonflable et semi-transparent, avec, à l'intérieur, un paysage imaginaire en mouvement. Il s'agit d'une oeuvre de Petr Nikl :
« L'idée de cette exposition a été de créer, en effet, un labyrinthe, avec un coeur au centre. Un coeur dans lequel on peut entrer et où l'ambiance est plutôt paisible, harmonieuse, un peu à l'opposé du bouillonnement qui est à l'extérieur. »
A côté, on trouve un orgue gazouillant, des percussions et un piano tout à fait particuliers, un brise-vent... L'exposition a donc son coeur, et aussi son oeil et son oreille. Petr Nikl explique :
« C'est une installation créée par Ondrej Smejkal. C'est un excellent joueur de didgeridoo, il maîtrise une technique incroyable... Il a collectionné une centaine de didgeridoo. C'est un instrument à vent des aborigènes australiens, traditionnellement fabriqué à partir d'une branche d'arbre creusé par des thermites. Il ajoute à ces didgeridoo d'autres objets pour avoir des sons différents. Pour cette expo, il a donc créé une oreille, une tente accoustique, avec, à l'intérieur, toute sorte de tubes et tuyaux (utilisés pour le réseau d'électricité par exemple), à l'aide desquelles les visiteurs peuvent écouter les bruits de l'extérieur et communiquer avec les inconnus à l'autre bout de la salle. Tout cela se passe dans l'obscurité. On pourrait l'appeler des appels téléphoniques occasionnels.»
L'ancienne église St-Madeleine, qui abrite le Musée tchèque de la musique, offre une superbe vue de haut sur le labyrinthe. Le public peut également participer à des visites nocturnes, organisées tous les jours et accompagnées de concerts et spectacles.
Pendant les grandes vacances, elle débarquera à Kromeriz, à l'Orangerie du Jardin des Fleurs., longue de 70m. Certains objets y seront exposés à ciel ouvert. La « tournée » s'achèvera à l'Eglise St-Venceslas d'Opava, en septembre prochain. Cette année encore, « Orbis Pictus » sera présenté à Florence et dans un an à Toronto. Petr Nikl ajoute :
« Cette exposition est aussi une sorte d'expérience sociologique : on voit ce que font les habitants de tel ou tel pays de la liberté qu'on leur donne. La première exposition à Prague a duré six semaines, après, les objets étaient foutus... Au Japon, ça n'a pas été aussi dramatique, les Japonais sont ludiques, mais organisés. Qui sait ce qui se passerait dans un pays où les gens ont le sang chaud.... Et c'est ce que j'aime le plus dans cette aventure. Je m'en fous si le public détruit ce qu'on expose. C'est aussi parlant. Et c'est pour ça que c'est fait. »