« Orbis pictus » ou La porte de la fantaisie créatrice

Comenius

En 1623 Jan Amos Komensky - Comenius, pasteur et professeur protestant, achève un livre allégorique qui deviendra le livre fondamental de la littérature tchèque. Il appellera ce chef d'oeuvre « Le labyrinthe du monde et le paradis du coeur ». Que faire aujourd'hui, à l'époque de la télévision, de la vidéo et d'Internet, pour attirer l'attention sur cette allégorie et sur les idées qu'elle présente avec pertinence, fraîcheur et humour ? Que faire pour construire un pont entre le grand pédagogue et philosophe qu'était Comenius et l'homme du XXIe siècle ? Que faire pour faire revivre les idées d'un penseur de jadis et les faire fructifier dans la société de notre temps? En lançant le projet « Pampaedia - La liberté par l'art » les époux Jiri Wald et Radana Waldova de l'association Audabiac ont cherché à construire ce pont, à convaincre le public contemporain que les grands classiques ne sont pas toujours rébarbatifs et que le jeu peut être un moyen efficace pour les redécouvrir.

Le projet Pampaedia est conçu comme une exposition itinérante avec toute une série de manifestations parallèles réalisées par des artistes qui savent réveiller la fantaisie du public. Présentée d'abord à Paris, l'exposition intitulée « Orbis Pictus » sera transférée par la suite dans plusieurs pays dont la République tchèque. Elle évoluera comme un organisme vivant et sera modifiée selon la fantaisie des artistes invités à y participer. Jiri Wald, père spirituel de Pampaedia explique :

« L'idée de faire ce projet nous est venue il y a longtemps, lorsque nous avons commencé avec ma femme à élever nos enfants et nous nous sommes posés la question comment développer et protéger leur fantaisie. Nous nous rendions de plus en plus compte que la fantaisie et la créativité étaient les éléments nécessaires pour la protection de la liberté, nous cherchions les instruments les plus appropriés pour cette protection. Ainsi nous sommes parvenus progressivement à une série de projets. Il y a dix ans nous avons lancé le projet « La liberté par l'art », que nous avons réalisé dans l'association civique Audabiac. Nous y avons commencé à travailler surtout avec les enfants sans famille qui vivent dans des foyers d'accueil ce qui n'est pas idéal justement pour le développement de leur fantaisie. Et ainsi nous sommes parvenus jusqu'au projet de Pampaedia qui est une espèce de superstructure inspirée par le livre « Le labyrinthe du monde et le paradis du coeur ». C'est un livre qui a presque quatre cents ans et reste toujours actuel. Ce que nous lisons dans ce livre à propos des hommes politiques, des médecins etc. résonne encore aujourd'hui et parmi nous. C'est une allégorie, un livre plein de métaphores, et c'est une grande inspiration. »


Il se laisse guider par des personnages assez louches qui cherchent à le leurrer en lui appliquant des lunettes roses ou à défigurer la réalité par une fausse sagesse. Le Pèlerin doit mobiliser toute son intelligence et toute sa volonté, il lui faut « apprendre à loucher sous ses bésicles » pour commencer finalement à se douter de l'immense supercherie dont il est la victime. Et Comenius profite de la découverte du monde par le Pèlerin pour soumettre à une âpre critique la société de son temps. Le jeune homme finit par arriver au Palais de la Sagesse où le roi Salomon lui dévoile les vanités et les tromperies du monde ce qui permettra au Pèlerin de chercher le bonheur en son for intérieur.« Quand j'eus atteint l'âge où la différence entre le bien et le mal commence d'apparaître à la raison humaine, apercevant, divers selon les hommes, ordres, corporations, métiers, travaux, aspirations qu'ils envisagent, il me sembla de grande nécessité de bien réfléchir à quelle bande je devais m'agréger et en quelles affaires passer ma vie. » Ainsi l'auteur du Labyrinthe du monde présente au lecteur dès les premières lignes le héros de son livre et ses intentions. Un jeune homme, le Pèlerin, se propose d'examiner le monde mais il se retrouve dans un labyrinthe où il lui est pratiquement impossible de saisir la véritable nature des choses.


Aujourd'hui le livre de Comenius devient donc une inspiration pour une grande exposition internationale. A cette occasion « Le labyrinthe du monde et le paradis du coeur » paraît dans une édition de luxe en tchèque mais aussi en français dans la traduction de Xavier Galmiche.

Le visiteur de l'exposition se retrouvera dans un univers fait de fantaisie et de sons qui sera loin de ressembler à un musée. On ne lui défendra pas de toucher les objets exposés, au contraire il sera invité, il sera encouragé à toucher les oeuvres d'art, à jouer avec ces objets qui ressemblent tantôt à d'immenses jouets, tantôt à d'étranges instruments de musique. Petr Nikl, auteur de la conception artistique d' « Orbis pictus », a créé entre autres un gigantesque coeur gonflable qui sera le point central de toute l'exposition. Il explique que le lien entre ces objets insolites et le livre de Comenius est tout à fait libre:

« L'exposition et ses auteurs n'avaient pas pour objectif de se référer concrètement à l'oeuvre de Comenius. Pour cela il vaut mieux lire ses livres. Par contre j'appelle l'objet gonflable qui est au centre de l'exposition « Le labyrinthe du monde et le paradis du coeur », et quand je le créais je pensais vraiment au coeur.

Un objet créé pour l'exposition 'Orbis Pictus' par Petr Nikl
Ici donc l'évocation de l'oeuvre de Comenius est plus évidente, mais en même temps c'est quelque chose de plus. C'est aussi une métaphore du monde, une métaphore de la vie.Plus c'est libre, plus c'est ouvert à l'imagination et à la fantaisie des spectateurs. Comenius aura à l'exposition parisienne la traduction française du livre « Labyrinthe du monde et le paradis du coeur » avec les illustrations de Ruth Kohn. Les spectateurs pourront donc lire le livre et je crois qu'il n'est pas nécessaire d'interpréter davantage toutes les idées qu'ils y trouveront et qui sont toujours valables. Il s'agira plutôt d'une philosophie plus générale, d'une espèce d'école par le jeu, de l'effort de libérer le potentiel créatif de l'homme, de libérer son potentiel de fantaisie, afin qu'il puisse faire connaître activement le monde. Cette philosophie générale est donc en résonance avec Comenius, je l'espère au moins. Les visiteurs ont la possibilité de développer leur imagination en touchant les objets, de jouer des instruments exposés et grâce à cette activité leur insuffler la vie. »


L'exposition « Orbis pictus » commence le 30 juin au Centre tchèque de Paris.