Etre Rom en République tchèque, ou la radicalisation de la société

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Etre Rom en République tchèque est un fichu destin. Tel est du moins le titre de l’un des nombreux commentaires publiés en réaction à la série de manifestations anti-Roms qui se sont tenues ces derniers temps en République tchèque. Nous vous en citerons quelques extraits, car, outre les rebondissements politiques que connaît actuellement le pays avec la crise gouvernementale, ces événements font la une des médias. Nous vous présenterons également un regard pas comme les autres sur la mission des apôtres Cyrille et Méthode au IXe siècle en Moravie, deux frères évangélisateurs dont les Tchèques ont célébré, la semaine dernière, le 1 150e anniversaire de la venue.

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Plusieurs personnes blessées et plus de 130 autres arrêtées. Tel est le bilan du dernier rassemblement anti-Roms en date, qui a eu lieu samedi dernier dans la ville de České Budějovice, en Bohême du sud, en présence de près de 400 manifestants. Une manifestation similaire s’était déjà tenue une semaine auparavant dans un quartier périphérique de la ville, précédée d’une autre organisée cette fois à Duchcov, ville du nord de la Bohême. Elles ont été accompagnées de slogans tels que « La Tchéquie aux Tchèques », « Nos rues, notre ville », ou encore « Qui ne travaille pas n’a pas le droit de manger ». Dans un commentaire publié sur le site aktualne.cz, Martin Fendrych note à ce sujet :

« Le mécontentement général qui règne dans le pays se retourne très souvent contre les Roms et contre leurs ghettos. Et pourtant, dans les ghettos, on ne trouve pas seulement des Roms, mais aussi la population majoritaire... Il y a environ 170 à 200 000 Roms qui vivent en Tchéquie. La vie de près de la moitié d’entre eux ne diffère guère de celle du reste de la société. Mais comme ils sont visibles et différents, ils deviennent une cible idéale. En plus, la société majoritaire n’a pas été éduquée à la tolérance, voilà pourquoi les gens ont souvent du mal à comprendre qu’il est nécessaire d’aider les familles et les individus en difficulté. Sans cette aide pourtant, la situation ne cessera de s’aggraver. »

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L’auteur du commentaire considère que les affrontements survenus à České Budějovice sont alarmants, d’autant plus que le quartier qui a été leur théâtre ne compte pas, à l’échelle nationale, parmi les plus problématiques. Il semble donc que les néonazis soient désormais capables de provoquer un sentiments anti-rom pratiquement un peu partout. Il semble aussi que de plus en plus « d’honnêtes citoyens » soient prêts à accompagner les néonazis, sinon à les soutenir. Qu’est-ce qui nous attend, s’interroge donc Martin Fendrych avant de répondre :

« Si les néonazis continuent à attiser des conflits, à organiser des défilés dans des ghettos, alors les habitants de ces localités minables se sentiront plus menacés encore qu’aujourd’hui. Et ils commenceront à se défendre. Les voisins des localités exclues se sentiront de ce fait plus menacés aussi, car ils réalisent que l’Etat ne fait pas grand chose pour eux, ce qui les pousse à se tourner vers les néonazis. »

Le chômage, les difficultés financières, des conditions de logement désastreuses, la discrimination dans les écoles : c’est tout cela à la fois qui caractérise la situation des familles défavorisées. Cité dans cet article, le directeur de l’Agence gouvernementale pour l’intégration sociale, Martin Šimáček, ajoute à ce titre : « Etre Rom en République tchèque est très désagréable... Cela signifie être quotidiennement en contact avec une sorte de refus, voire de répulsion, ou encore avec des attaques verbales et parfois même physiques. »

En conclusion, l’auteur du commentaire remarque :

Photo: Archives de Radio Prague
« Peu de choses ont changé chez nous depuis le défilé anti-Roms des néonazis en 2008 à Litvínov, en Bohême du Nord, qui avait déjà été largement soutenu par les habitants. Bien qu’inquiété, l’Etat n’a pas pris cet avertissement au sérieux. Les récents événements démontrent que nous ne sommes toujours pas une société moderne, transformée et tolérante, car le clivage entre les gens ‘adaptables’ et ‘non adaptables’ demeure plus profond que jamais. »

Pour le politologue Miroslav Mareš, les récentes manifestations témoignent d’une véritable radicalisation de la société. Dans les pages du journal Mladá fronta Dnes, il explique :

« Aussi triste que cela puisse paraître, force est de constater que les gens ‘ordinaires’ se sentent effectivement menacés par la violence, et les représentants de la scène d’extrême droite sont à leurs yeux les seuls prêts à les défendre. »

En ce qui concerne l’évolution à attendre, Miroslav Mareš estime :

« Les extrémistes savent bien que les manifestations qui se tiennent à un seul endroit sont sous le contrôle de la police. C’est pourquoi ils envisagent d’organiser plusieurs actions, le même jour et à plusieurs endroits, afin d’éparpiller les forces de l’ordre. Ils veulent aussi voir s’engager à leurs côtés les hooligans du football. »

Dans les pages du quotidien Lidové noviny, nous avons également pu lire sur ce sujet une réflexion sortie de la plume de Michaela Marsková-Tominová, en charge, au sein du Parti social-démocrate (CSSD), des questions de l’intégration des gens socialement exclus. Elle écrit notamment :

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« Le récent défilé anti-Roms de České Budějovice est un nouvel avertissement signalant qu’il y a dans ce pays quelque chose qui ne va pas. La vague d’intolérance raciale s’est étendue à une nouvelle région. Il faut en parler sérieusement et largement, en dépit des événements politiques turbulents. Il ne s’agit pas de problèmes d’ordre local, car nous sommes les témoins d’une radicalisation de la société tchèque à travers les régions. »


Le 5 juillet, le jour de fête nationale, les Tchèques ont commémoré la mission des saints Cyrille et Méthode qui ont évangélisé la Grande-Moravie au IXe siècle. Le supplément Orientace du quotidien Lidové noviny a récemment publié une interview avec l’archéologue Jiří Macháček, qui porte un regard inédit sur le sujet. En voici un extrait :

Photo: Barbora Kmentová
« La question de la mission de Cyrille et Méthode et de son interprétation actuelle est assez complexe. D’un côté, il est certain que leurs activités ont eu un impact important sur l’évolution culturelle en Europe, notamment dans sa partie orientale, slave. D’un autre côté, il n’y a pas lieu de surestimer l’importance de cette mission pour notre pays... Lorsque les deux frères ont quitté Byzance pour la Moravie en 863 ou 864, ils n’étaient pas les premiers précurseurs de l’Ecriture dans le pays, car le christianisme y avait déjà pris racine quelques décennies auparavant. »

Jiří Macháček estime que, de notre point de vue, il s’agit d’un épisode important mais transitoire qui n’a pas eu de suite. Heureusement, affirme-il d’ailleurs, et il explique pourquoi :

« Aussi cruel que cela puisse paraître, à force d’expulser de nombreux disciples de Méthode après la mort de celui-ci, le prince Svatopluk a réussi un important acte politique, prédestinant l’orientation de notre pays pour le prochain millénaire. En optant pour le rite latin, il a choisi symboliquement la civilisation occidentale dont nous continuons de faire partie, certes pas très solidement, c’est vrai, mais une partie incontournable quand même ».

En outre, Jiří Macháček remarque que la mission représente un thème très intéressant d’un point de vue archéologique, en raison des remarquables découvertes témoignant de l’influence byzantine.