Faut-il traduire les slogans et les noms de films étrangers en tchèque ?

Photo illustrative: Štěpánka Budková

Les anglicismes « fitness », « fast food », « last minute » ou « e-mail », mais aussi les noms de héros fictifs comme « Spider-Man » et « Batman » font aujourd’hui partie du vocabulaire courant d’un Tchèque ordinaire. C’est ce que veut prochainement changer une proposition de loi sur la langue officielle. Présenté par des députés communistes, le projet vise en effet à introduire dans la législation l’obligation de traduire en tchèque tous les mots étrangers employés dans la sphère publique.

Photo illustrative: Štěpánka Budková
Si elle était adoptée, la proposition des députés communistes concernerait en premier lieu les commerçants, les prestataires de services et les médias. En général, tous les slogans publicitaires, mais aussi les noms de magasins ou de films étrangers devraient être traduits en tchèque. De plus, l’emploi de mots étrangers, en particulier des anglicismes qui sont les plus fréquents, devra être évité à la télévision et à la radio. En cas d’infraction, une amende de l’ordre de 15 000 à 50 000 couronnes, soit entre 550 et 1800 euros, pourrait être infligée. Les auteurs du projet expliquent que leurs motivations sont simples : les mots étrangers seraient « incompréhensibles pour les 30 % de la population qui ne parlent aucune langue étrangère, selon les statistiques », et leur utilisation « dégraderait la culture tchèque ». La députée Marta Semelová poursuit :

« Cette mesure ne devrait pas servir de ‘mur’ entre les pays à cette époque de mondialisation mais elle devrait permettre de protéger la langue tchèque. Des législations similaires existent d’ailleurs également dans d’autres Etats de l’Union européenne. Les langues officielles par exemple de la Finlande, de la France, de la Pologne ou de la Slovaquie sont non seulement désignées dans la constitution mais aussi protégées par une loi spécifique. Nous pensons donc qu’il faudra introduire une protection de ce type également dans la législation tchèque. »

Marta Semelová,  photo: Tomáš Adamec,  ČRo
Il existe aujourd’hui en République tchèque une loi sur la langue officielle qui impose l’emploi du tchèque à tous les services officiels de l’Etat. Or, aucune législation n’assure la défense du tchèque en tant que langue de la République, les quelques normes allant dans ce sens étant réparties entre différents règlements particuliers. Pour Marta Semelová, la traduction des mots empruntés n’est ainsi pas le seul objectif de cette proposition qui veut notamment unifier les règles relatives au développement et à la protection de cette langue. Mais la députée ajoute :

« La langue évolue. Le vocabulaire ne cesse de s’enrichir. Certains mots ont été ‘bohémisés’ et sont aujourd’hui compréhensibles de tous. Mais il y en a d’autres qui sont introduits dans la langue tchèque de manière brutale et pourraient être remplacés par un équivalent tchèque. Par exemple, vous vous baladez à travers le centre de Prague ou d’une autre grande ville. Pourquoi tous les magasins doivent-ils avoir un nom étranger ? Nous sommes en République tchèque mais dans la rue, il y a parfois seulement un magasin avec des inscriptions en tchèque ! Ce n’est pas bien. »

Martin Prošek,  photo: Archives de l'Institut de la langue tchèque de l’Académie des sciences
La responsabilité de décider quels mots remplacer et par quoi les remplacer serait du ressort d’une équipe de linguistes. Cependant, ceux-ci s’avèrent pour la plupart opposés à la loi en question. C’est le cas par exemple du directeur de l’Institut de la langue tchèque de l’Académie des sciences, Martin Prošek :

« Il n’est pas toujours possible de traduire des mots empruntés, par exemple quand ils décrivent une réalité qui n’a pas existé jusqu’à présent en République tchèque, comme par exemple le nom de véhicule ‘segway’. Souvent, on ne peut donc pas trouver un terme tchèque au moment même de l’introduction du mot dans la langue tchèque. Tout dépend bien sûr du contexte dans lequel le mot apparaît, de son intelligibilité ou non, etc. Bref, ce qui est le plus dangereux pour une langue, c’est que beaucoup de gens pensent qu’il est possible d’appliquer des règles globales, qui seront valables dans toutes les situations. Mais la vérité est que chaque cas doit être évalué indépendamment. »

La proposition de loi dont la première version remonte à 1999, n’a trouvé ses partisans ni dans les rangs du gouvernement de Bohuslav Sobotka, qui a déjà manifesté sa position négative à son égard, ni à la Chambre des députés. Président du comité parlementaire pour la science et l’éducation, Jiří Zlatuška du mouvement ANO affirme :

Jiří Zlatuška,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
« Je vois dans ce projet de loi des efforts pour retourner à l’époque du communisme où les connaissances en langues étrangères ne décollaient pas. Aujourd’hui, on dit que les personnes âgées ne parlent pas de langue étrangère. Mais c’est la conséquence de la politique de l’ancien régime. Avant, il était tout à fait normal de vivre dans un milieu multilingue. »

Le projet sera traité lors d’une prochaine réunion de la Chambre basse du Parlement. Si elle n’est pas largement soutenue par les politiciens, cette mesure a tout de même un impact positif : elle suscite depuis quelques jours un vif débat sur les frontières de la langue tchèque.