Femmes et économie en Tchéquie : une histoire de genre
La presse tchèque a consacré récemment de nombreux articles à l’impact de la pandémie sur les femmes. Si elles avaient été désavantagées sur le marché du travail tchèque encore avant la crise sanitaire, celle-ci risque de creuser davantage le fossé des inégalités entre les femmes et les hommes. En République tchèque, de nombreuses organisations travaillent quotidiennement pour faire évoluer les mentalités et la réalité économique des femmes dans le pays. Radio Prague Internationale a rencontré les représentantes de deux d’entre elles, du Lobby des femmes tchèques et de la communauté Future Females.
Moins payées pour un travail égal, souvent reléguées à des postes subalternes, et écartées du marché du travail pour élever leurs enfants, la carrière des femmes est semée d'embûches. Conséquences économiques et psychologiques pour les femmes qui se sentent inférieures face à leurs collègues masculins.
Malgré un cadre législatif effectif en matière d’égalité des genres, la République tchèque reste à la traine. Selon une étude publiée par Eurostat en mars 2020, l’écart entre le salaire horaire brut moyen des hommes et des femmes s’élève à 20%, soit le troisième écart de rémunération le plus important au sein de l’UE, la moyenne européenne étant d’environ 15%.
Il en est de même lorsque l’on s’intéresse à la présence des femmes dans les sphères décisionnelles. Avec 9,14%, leur présence est presque exceptionnelle dans les conseils d’administration des cent plus grandes entreprises du pays. Autant dire que la parité est hors d’atteinte pour le moment.
Mais tout n’est pas gris dans le ciel tchèque de l’égalité. Des organisations militent activement pour alerter et inverser les poids dans la balance de l’économie nationale. Hana Stelzerová est directrice du Lobby des femmes tchèques, un réseau de trente-sept organisations non-gouvernementales, qui promeut les droits des femmes dans le pays. Elle évoque leur cheval de bataille :
« L’urgence actuellement est la pauvreté que subissent les femmes. La pauvreté est le fait de certains freins aux carrières des femmes et cela commence par le fait que les femmes sont tenues éloignées de certains domaines, qui pourtant sont plus intéressants financièrement. L’écart salarial commence ici, en différenciant les activités entre les hommes et les femmes. »
La pauvreté est une des conséquences d’une accumulation de discriminations et de constructions sociales contre lesquelles lutte le Lobby des femmes tchèques. Parmi les entraves qui jalonnent la carrière des femmes, leur réinsertion après une maternité, reste selon Hana Stelzerová, une des principales pierres d’achoppement à l’épanouissement professionnel des femmes tchèques :
« L’effet le plus important sur la carrière des femmes est la maternité, qui l’interrompt pendant quasiment trois années, parfois plus. Cette coupure a des conséquences directes sur leur stabilité et leur indépendance économique. Leur cas s’aggrave lorsqu’un divorce survient, et c’est le cas pour 50% des mariages ici. Les femmes dans ce cas de figure sont les plus susceptibles de tomber dans la pauvreté aujourd’hui. »
Cette observation renvoie très justement à cette conciliation, entre vie professionnelle et vie personnelle que Dimana Mabhena, cofondatrice de Future Females, une communauté qui rassemble les femmes entrepreneures, a dû faire après la naissance de ses enfants. Elle en tire cette analyse :
« Quand on est une femme, il faut jongler. Jongler entre sa vie professionnelle, d’entrepreneure, et sa vie familiale lorsqu'on a un enfant. D’une certaine manière, les femmes doivent décider entre, être celle qui s’occupe de son foyer, mais qui laisse sa carrière au second plan, ou être la carriériste, qui délaisse sa vie familiale. Les hommes, eux, n’auront jamais à se poser la question. Pour eux, c’est évident que la carrière passe avant la vie de famille. Ce sont ces normes sociales qui sont les obstacles les plus importants pour les femmes. En conséquence, elles sont moins sûres d’elles et ont moins confiance en leurs compétences et capacités que les hommes. Elles osent moins s’imposer lors de réunions professionnelles et se sentent moins légitimes pour négocier leur contrat ou une augmentation. »
Future Females est une jeune communauté, née à Prague en novembre 2020 alors que la pandémie battait son plein, et s’adresse autant aux femmes qui souhaitent lancer leur startup, qu’à celles qui sont déjà à la tête de leur entreprise. Leur ambition est d’offrir des clés pratiques et de créer un lieu d’échange - virtuel-, catalyseur de leurs motivations où le champ des possibles leur est grand ouvert.
Depuis la création de cette branche locale, plus de 350 participantes ont rejoint les différents ateliers de Future Females. Barbora Langer, co-fondatrice, s’exprime sur la nécessité d’un tel groupe :
« C’est important de convaincre les femmes qu’elles peuvent le faire. Si des femmes se lancent, s’encouragent et créent leur propre entreprise, alors d’autres oseront aussi, et de plus en plus. L’essentiel est de savoir que vous n’êtes pas seules, qu’il y a d’autres femmes comme vous qui veulent aussi créer leur startup. Mais quand on est une femme, on peut hésiter et se demander si on peut vraiment le faire alors être entourée par ces modèles et être confortée dans la possibilité qu’on peut le faire, je pense que c’est l’objectif de cette communauté. »
Beaucoup d’entre elles investissent d’ailleurs des domaines réputés « masculins », la tech ou la data, et s’affirment là où on ne les attend pas :
« Nous observons une augmentation des femmes qui se lancent dans la tech. Ce qui est intéressant et curieux car la tech est un domaine étiqueté masculin, mais nous voyons des femmes qui se font une place dans ce secteur. La seconde branche est peut-être davantage associée aux femmes : la vente au détail et le marketing. Elles sont plus persuadées de leurs compétences je suppose. »
Les marches sont encore nombreuses avant d’atteindre l’égalité mais ces initiatives citoyennes s’inscrivent dans une dynamique qu’il convient de soutenir et promouvoir car elles ouvrent les portes restées fermées jusqu’alors.
Ces évolutions doivent être aussi soutenues par la sphère politique, dans laquelle tout se joue in fine. Pour cette raison, le Lobby des femmes tchèques mène activement des actions auprès du gouvernement :
« Nous faisons de l’advocacy auprès du gouvernement tchèque, nous avons besoin de faire comprendre aux membres du Parlement l’importance de ces enjeux, c’est différent du Canada ou de la Suède où l’égalité des droits est une priorité. Ce travail de sensibilisation concerne autant le Parlement que les autres parties de la société. »