Femme rabbin en Tchéquie ? - « Pas sans opération pour changer de sexe ! »

Lena Arava-Novotny, photo: Eva Hůlková, ČRo

Lena Arava-Novotny est en passe d’être ordonnée rabbin au Zacharias Frankel College de Berlin, une institution qu’elle a rejointe après avoir rencontré le mouvement juif Massorti en France. Née à Prague, c’est à Paris qu’elle a renoué avec ses origines juives pour finalement décider de faire son aliyah vers Israël en 2005. Mais cette année, à cause de la pandémie, c’est à Prague qu’elle célèbre Pessah, la Pâque juive.

Que représente Pessah pour vous personnellement ?

Le seder,  photo: RadRafe/Wikimedia Commons,  public domain

« J’aime beaucoup cette fête. A part les mets délicieux qu’on consomme lors du seder – comme le poulet farci, le gefillte fisch ou la soupe aux kneidlers – Pessah est pour moi la fête de la libération, de la liberté. En hébreu on dit « Zman Cheruteinu », le temps de notre liberté. Pour moi c’est aussi la fête de la prise de conscience que chaque liberté a ses règles et qu’il faut sans arrêt chercher ses règles en nous-mêmes. La liberté sans règles n’existe pas et les règles qui ne mènent pas à la liberté sont inutiles. Le but de toute règle est de redonner à l’Homme sa grande liberté humaine. »

Avez-vous un souvenir de votre premier seder ?

« Tout à fait. C’était en France, au début de ma prise de conscience de mon identité juive. C’était un seder sépharade, parce que les premiers Juifs que j’ai fréquentés en France était du milieu sépharade. J’étais enchantée, fascinée par leur accueil, la chaleur, ce monde de couleurs, de goûts, de convivialité. Je me souviens très bien de ce seder chez Madeleine Cohen, d’origine marocaine, qui me recevait à l’époque. »

A Prague, vous ne célébriez pas les fêtes ?

Synagogue Vieille-Nouvelle à Prague,  photo: Štěpánka Budková

« Non à Prague on ne pratiquait pas et on ne célébrait pas les fêtes. Pour moi la vie juive dans la Tchécoslovaquie communiste était quelque chose d’obscur, qui me faisait plutôt peur, avec une communauté juive à Prague très fermée et très surveillée. Etre juive pour moi représentait quelque chose d’obsolète. C’est seulement que j’ai rencontré par le biais sépharade cette convivialité, cette joie de vivre. Cela m’a poussée à chercher en moi-même et à découvrir quelque chose de mon monde à moi – c’est-à-dire pas seulement le monde sépharade mais aussi le monde ashkénaze. »

Des études chez les jésuites au seder sépharade à Paris

Pourquoi ce départ vers la France juste après la révolution de Velours ?

« En fait j’ai fait la connaissance du christianisme pendant mes études universitaires en Tchécoslovaquie. C’était quelque chose de nouveau pour moi et je voulais approfondir mes connaissances par les études théologiques et philosophiques. Je suis partie en France pour commencer des études chez les jésuites au Centre Sèvres à Paris. Je me suis formée là pendant quelques années. »

Donc on part étudier chez les jésuites et on finit par passer Pessah chez les Juifs sépharades ??

Le Centre Sèvres à Paris,  photo: Site officiel du Centre Sèvres

« (Rires) Tout à fait ! Je pense que c’est grâce aux jésuites que j’ai dû rechercher mon identité profonde, mon identité juive. Sans les jésuites, j’en serais restée au superficiel… »

L’arrivée en France après la chute du communisme a-t-elle été un choc ?

« Ce qui a certainement été pour moi très difficile a été de me retrouver toute seule, sans ma famille. Je n’ai pas vraiment eu de choc culturel, le français et la culture française m’intéressaient depuis ma jeunesse. »

Avez-vous initié ce retour vers vos racines juives ?

« Cela s’est fait progressivement, au fil de rencontres. Parmi les personnalités qui m’ont beaucoup marquée il y a eu le rabbin René-Samuel Sirat, le professeur Gérard Nahon de la Sorbonne et aussi la doctoresse Josette Cohen. Ils m’ont beaucoup aidée à réfléchir sur mon identité et mon parcours. Tout cela a fait que peu à peu je me suis approchée mais j’avais toujours un peu peur pour adhérer complètement, jusqu’à ce que je rencontre le mouvement Massorti qui m’a permis de surmonter cette peur. »

Aliyah en 2005

Parlez-nous de ce mouvement Massorti, qui est parfois décrit comme une sorte de « troisième voie », entre l’orthodoxie et le réformisme.

Photo: תמי גוטליב/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

« C’est un chemin entre les deux, une alternative moderne et ouverte de la tradition juive. J’ai rencontré ce courant à la communauté Adat Shalom à Paris, où le rabbin est Rivon Krygier. J’y ai rencontré des ashkénazes et des sépharades dans cette communauté où on a formé un groupe de jeunes et c’était très vivant, très chaleureux avec des questionnements sur l’identité juive dans la modernité, les signe des temps comme disaient les jésuites, mais aussi dans le cadre traditionnel. »

Comment s’est passée votre aliyah, votre émigration vers Israël en 2005 ? Avez-vous trouvé sur place d’autres personnes originaires de Tchécoslovaquie pour vous aider dans votre intégration ?

Jérusalem,  photo: joiseyshowaa/Flickr,  CC BY-SA 2.0

« L’aliyah a été pour moi une expérience incroyable et je pense que c’est une expérience inhérente du parcours juif moderne. Je pense que tout Juif, peu importe son obédience, doit avoir une part de son identité en Israël. J’ai rencontré quelques anciens Tchécoslovaques, mais comme je suis arrivée de France, je fais surtout partie de la communauté francophone en Israël. Beaucoup de mes amis français se sont établis en Israël. Avec les Tchèques, j’ai côtoyé certains survivants de la Shoah, mais sinon la communauté juive tchèque n’a pas fait de liens entre ceux établis en Israël – les olim – et ceux restés à Prague. »

Pouvez-vous nous dire un mot de l’institution dans laquelle vous étudiez à Berlin et qui porte le nom d’un homme né en Bohême, connu pour ses travaux et pour avoir influencé ce mouvement Massorti ?

Zacharias Frankel,  source: public domain

« Zacharias Frankel, c’est le nom du College Massorti à Berlin, qui s’inscrit dans la tradition des écoles Massorti aux Etats-Unis. C’est une institution nouvelle ouverte il y a quelques années seulement. Les premiers rabbins sortis de cette institution n’ont été ordonnés que l’année dernière. Je fais partie du deuxième groupe en formation. »

« Je ne deviens pas rabbin pour jouer le rôle d’un homme »

Quand allez-vous être ordonnée ?

« C’est une grande question. Ce n’est pas seulement une question d’étude, c’est aussi le fait d’avoir un déclic, d’être mûre, de se sentir prête. Pour le moment je ne me sens pas prête, même si j’ai déjà beaucoup étudié. »

Qu’est-ce qui vous manque ?

« Une pratique dans des communautés, parce qu’à Prague il n’y a aucune communauté où je pourrais exercer. Donc j’attends mon départ en Israël, où j’ai déjà en vue quelques stages. »

Pratique impossible à Prague ?

« Je pense qu’ici en République tchèque en général et dans beaucoup de pays de l’Est la femme n’est pas encore tout à fait reconnue dans sa dimension religieuse. Les femmes sont encore considérées dans le monde juif comme pas tout à fait au niveau pour pouvoir exercer une autorité religieuse. J’ai l’expérience d’une communauté en Bohême où le président était un ami auquel j’ai demandé de faire un stage. Il s’est moqué de moi en me disant que ce serait impossible sauf après opération pour changer de sexe… Cela m’a beaucoup affectée je dois dire. Je suis très conte d’être femme et n’ai pas de problème avec mon identité féminine. Je ne deviens pas rabbin pour jouer le rôle d’un homme ; au contraire, je pense qu’une femme a aussi à influencer la communauté en tant que femme. »

« Je pense que c’est une question culturelle certainement aussi, une question de fermeture – les choses ici se passent avec un certain retard par rapport aux tendances occidentales. C’est assez complexe comme situation et cela ne favorise pas la promotion des femmes ici pour le moment. »

Photo: תמי גוטליב/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Envisagez-vous de retourner également en France ?

« Pour des stages certainement, parce que la femme rabbin est une réalité acquise en France. Il y a déjà plusieurs femmes qui exercent en France, Pauline Bebe, Delphine Horvilleur ou Floriane Chinsky qui est maintenant responsable de la communauté Massorti à Bruxelles. Même à Berlin j’ai une collègue française avec moi. Je pense que la France me permettra d’effectuer quelques stages. »

Est-ce qu’à terme vous aimeriez être active dans la communauté juive ici ?

Photo illustrative: Jaromír Marek,  ČRo

« Comme je l’ai dit je pense que c’est très difficile ici. Je pense que la vie juive n’existe pas réellement ici, en tout cas la vie juive telle que je l’ai expérimentée en France et en Israël. Comme dans d’autres pays autrefois communistes, le judaïsme a été ravagé d’abord par la Shoah puis par des décennies de régime totalitaire qui a brisé toute possibilité de reconstruction d’un judaïsme normal. Ce qui maintenant se présente comme la vie juive me semble parfois être une caricature, une tentative de jeu très populaire parmi certaines couches de la population, les artistes ou gens de la culture et je pense que c’est très éloigné de la vie juive réelle. Je n’ai pas envie de m’engager dedans. »

Un test positif vous a empêchée de voyager, mais votre état de santé n’est pas préoccupant. Qu’allez-vous faire quand votre test sera négatif ?

« J’irai en Israël et y resterai plusieurs mois avec la possibilité également d’enseigner virtuellement par Internet… »