Feu vert pour le Guide rouge ! La Tchéquie aura son propre Michelin
Après plusieurs mois de débats sur le sujet, le gouvernement tchèque a finalement donné son aval le mercredi 12 juillet au paiement de frais qui permettront à la Tchéquie de disposer de son propre Guide Michelin.
C’est une grande victoire que les chefs cuisiniers Zdeněk Pohlreich, Jan Punčochář, Jan Knedla et bien d’autres professionnels de la restauration en Tchéquie ont obtenue le 12 juillet. Une semaine plus tôt, ces derniers avaient adressé une lettre ouverte au gouvernement, dans laquelle ils appelaient l’exécutif à payer la somme de 51,3 millions de couronnes (environ 2,1 millions d’euros) afin que le Guide Michelin consacre une publication entière à la Tchéquie.
Les auteurs de la lettre avaient mis en avant les retombées positives qu’une telle publication aurait, aussi bien sur le secteur de la restauration que sur l’ensemble de l’économie nationale. Le potentiel culinaire du pays resterait encore, selon eux, trop peu exploité alors qu’il pourrait participer au développement général de la Tchéquie. De plus, un exemplaire national serait un atout pour la promotion d’une autre forme de tourisme, de plus grande qualité, et permettrait d’en finir avec l’image de « destination où l’alcool est bon marché » du pays.
La lettre a été postée sur internet et mise à disposition dans un certain nombre de restaurants. Elle aurait recueilli plusieurs milliers de signatures.
Face à la demande insistante du secteur gastronomique, le gouvernement s’est finalement résolu à accepter le paiement de ces frais. L’annonce a été faite par le ministre des Transports Martin Kupka (ODS) après le Conseil des ministres du 12 juillet :
« Le gouvernement a décidé de donner son accord. Nous nous sommes posés la question de savoir ce qui se passerait si nous ne saisissions pas cette opportunité, ce que perdrait la République tchèque. Ivan Bartoš [le ministre du Développement régional – ndlr] a présenté une analyse approfondie de la façon dont les touristes étrangers dépensent leur argent sur le territoire tchèque. Près de 30 % de leurs dépenses totales vont dans le milieu de la restauration. Dès lors, il est apparu que ce projet constituait un outil pour promouvoir la République tchèque à l’étranger et c’est précisément au regard de cet aspect que nous avons pris notre décision. […] Vous savez que la Tchéquie s’efforce par de nombreux moyens de faire en sorte que les touristes reviennent sur notre territoire après la crise du Covid. Nous avons évalué qu’il s’agissait là d’un outil concret pour y contribuer et pour lequel les investissements initiaux seraient très rapidement rentabilisés. »
La Tchéquie paiera donc près de 50 millions de couronnes pour obtenir un Guide Michelin qui lui sera entièrement consacré. La somme vaudra pour une période de cinq ans. Quatre millions seront dédiés à l’évaluation du potentiel du marché intérieur et un peu moins de dix millions chaque année pour l’édition du guide.
« Les jeunes gars de Londres viennent ici pour la bière et les filles pas pour les restaurants du Michelin »
La décision prise par le gouvernement n’a cependant pas fait l’unanimité. Deux jours après l’annonce, l’ancien Premier ministre et chef du mouvement d’opposition ANO, Andrej Babiš, s’est offusqué de ce choix devant la Chambre des députés :
« Quelle audace inouïe d’accorder ainsi 54 millions de couronnes [51,3 millions pour être exact – ndlr] parce que trois chefs cuisiniers s’imaginent que les touristes viennent en Tchéquie pour les restaurants du Michelin. C’est faux ! Les jeunes gars de Londres viennent ici pour la bière. Et pour ce qui est des filles, ils ne vont pas les chercher dans les restaurants du Michelin. Ceux qui vont dans ces restaurants sont des gens riches, car ce sont des établissements chers. J’étais propriétaire d’un restaurant dans le sud de la France. Il avait deux étoiles et était l’un des meilleurs. Pourtant nous avons perdu là-bas une somme incroyable et nous l’avons fermé. Vous parlez du Michelin, mais vous n’y connaissez rien. »
Ces débats ont au moins eu le mérite de remettre sur la table la stratégie des autorités en matière de tourisme. Dans une tribune publiée dans le quotidien économique Hospodářské noviny, le chef cuisinier Tomáš Karpíšek, partisan du paiement des frais du Michelin, a rappelé que jusqu’à présent, seuls quelques restaurants pragois étaient référencés par le guide français, et ce, dans une édition spécifique consacrée aux principales villes d’Europe. La publication d’un Guide Michelin entièrement dédié à la Tchéquie serait, selon le restaurateur, « l’outil le plus efficace pour faire venir les étrangers en région » et ainsi faire connaître l’ensemble des richesses du patrimoine tchèque souvent méconnu des touristes qui s’attardent davantage dans la capitale. L’entrepreneur a par ailleurs souligné que le nombre définitif d’établissements tchèques inscrits dans ce Guide dépendait pour beaucoup de la qualité de la prestation proposée par les restaurateurs. Ce Guide pourrait, selon lui, véritablement pousser le secteur à améliorer son offre afin de faire de la Tchéquie une destination culinaire de choix.
Pour nombre de Français attachés au plaisir de la table, la question de la gastronomie reste effectivement un aspect important lors d’un séjour à l’étranger. C’est notamment l’avis de Guillaume, un jeune Français de passage à Prague, pour qui les recommandations du célèbre Guide rouge font toujours figure de référence :
« Je suis tout d’abord allé sur Google Maps et TripAdvisor. Je regardais les restaurants qui étaient les mieux notés et proches de l’hôtel. J’avais ainsi dressé une liste des établissements que je souhaitais essayer. Toutefois, comme je savais que de façon générale le pays était un peu moins cher que la France, je me suis dit pourquoi ne pas tenter un restaurant recommandé par le Michelin. C’est de cette manière que j’ai déniché le Café impérial. J’en ai gardé un très bon souvenir : ce n’était pas très cher et j’y ai bien mangé. »
La Slovaquie sera-t-elle la prochaine sur la liste ?
Né en 1900, le Guide Michelin était initialement destiné aux automobilistes qui pouvaient trouver dans le petit fascicule la liste des stations essence, des garagistes et même des services de santé présents le long de leur trajet. Au fil des années, le Guide a élargi ses recommandations au secteur de la restauration jusqu’à acquérir la notoriété qu’on lui connaît aujourd’hui. A ce jour, deux restaurants tchèques ont été étoilés par le Guide rouge : le Field et la Dégustation Bohême Bourgeoise, deux établissements situés dans la Vieille-Ville de Prague.
Les débats autour du Guide Michelin qui ont animé le pays ces dernières semaines n’ont pas manqué de porter jusque chez le voisin slovaque. Avec la Tchéquie, la Slovaquie figure parmi les derniers pays de l’Union européenne à ne pas disposer de son propre Michelin. Ainsi, à l’image de leurs pairs tchèques, de grands noms du milieu culinaire slovaque ont appelé leur gouvernement à emboîter le pas de Prague et espèrent que Bratislava conclura prochainement un accord avec le plus illustre des guides gastronomiques français.