Fráňa Šrámek, un poète païen à la recherche de Dieu

Fráňa Šrámek

« On doit marcher sur la pointe des pieds autour de la jeunesse, parce que quand la jeunesse est vraie, belle et viable, elle est toujours douloureuse. » Le poète Fráňa Šrámek (1877-1952) qui est l’auteur de ses paroles a trouvé dans la jeunesse une source d’inspiration intarissable. Dans ses poèmes et ses romans, il a su exprimer avec une rare force la douceur enivrante mais aussi les désarrois douloureux de cette période décisive pour le reste d’une vie. Le poète et romancier Fráňa Šrámek a quitté notre monde le 1er juillet 1952, il y a tout juste 70 ans.

La révolte d’un jeune homme épris de liberté

Fráňa Šrámek  (assis deuxième à partir de la gauche) au lycée de Písek | Photo: Bibliothèque de la ville de Písek

La poésie de Fráňa Šrámek est une recherche permanente de ce qu’il y a de libre et de naturel chez l’Homme. Cette recherche de la liberté intérieure n’a pourtant pas été facile pour l’adolescent et le jeune homme qu’il était. Jeune, il se heurte déjà au mode de vie d’une société figée dans ses habitudes, ses interdictions et ses préjugés. Il n’arrive pas à se soumettre à l’autorité paternelle et jette déjà un regard critique sur la mesquinerie de certains professeurs de son lycée dans la ville de Písek parce qu’il sent en son for intérieur qu’il a le droit d’assouvir sa soif de liberté. Et il trouve finalement la force de désobéir et pousse son obstination jusqu’à la révolte, jusqu’à l’anarchie. Venu à Prague pour étudier le droit, il se lie avec de jeunes anarchistes regroupés autour du poète Stanislav Kostka Neumann et ose manifester publiquement ses opinions malgré les représailles. Plusieurs fois incarcéré, il ne se laisse pas réduire au silence. Le philosophe Václav Tomek évoque les objectifs du mouvement anarchiste tchèque dont le jeune poète faisait partie :

Fráňa Šrámek | Photo: Vladislava Wildová,  ČRo

« Ils proclamaient la liberté de l’individu. Pour eux, l’individu libre ne devait être entravé par aucune obligation, aucun ordre qu’il soit politique, religieux ou autre. Ils attribuaient une grande importance à leur individualité et leur liberté, et la société dans laquelle ils aimeraient vivre à l’avenir, ne devrait pas être étatique. Ils réclamaient une société dans laquelle les individus ne seraient pas obligés de s’associer selon des règles fixées afin de ne pas se sentir limités dans leurs décisions. Ils supposaient que la société des gens libres n’aurait pas besoin de se soumettre à des règles, à des ordres et à des interdictions, parce que ce ne serait pas compatible avec la société idéale qu’ils avaient créé dans leur imagination. »

Un antimilitariste dans le brasier de la guerre

'Le soldat ébahi' | Photo: Ed. Fr. Borový

La soif de liberté du jeune Fráňa Šrámek se manifeste notamment dans son antimilitarisme. Bien qu’obligé de faire son service militaire, la jeune recrue ne cache pas ses opinions antimilitaristes et en subit les conséquences. Finalement il n’échappe pas, comme tant d’autres jeunes gens de sa génération, à l’enfer de la Grande guerre. Dans les rangs de l’armée autrichienne, il passe par les fronts de Galicie, d’Italie et de Roumanie : ces expériences atroces renforcent son refus de la guerre et lui font apprécier encore davantage les choses simples de la vie qu’il magnifiera dans ses poèmes. Il se retire progressivement de la vie publique et au lieu de se joindre au mouvement communiste comme certains de ses confrères anarchistes, il se tient désormais à l’écart des combats politiques et se consacre à la littérature.

Le Vent argenté

'Le Vent argenté' | Photo: Československý spisovatel

Dès 1910, il publie le roman Stříbrný vítr (Le Vent argenté) dans lequel il s’inspire de sa vie de lycéen dans la ville de Písek en Bohême du Sud. Dans ce récit qualifié par la critique d’impressionniste, il décrit l’apprentissage de la vie d’un étudiant qui ressemble beaucoup à l’adolescent qu’il a été par ses élans, ses espoirs, ses déceptions, sa naïveté et sa soif de liberté. C’est la chronique d’un réveil des sens, mais aussi le récit d’une éducation sentimentale qui aboutit à former un homme. Dans Jeník Ratkin, héros de ce roman nimbé d’une aura poétique, se sont reconnues plusieurs générations de jeunes Tchèques.

Le film 'Le Vent argenté'  (1954) | Photo: ČT

Les vœux de Karel Čapek

Karel Čapek | Photo: public domain

La charge émotionnelle qui caractérise ce livre ainsi que la majorité des œuvres de Fráňa Šrámek, est exceptionnelle dans la littérature tchèque. Parmi ceux qui s’en rendent compte, il y a l’écrivain Karel Čapek. Il manifeste son admiration dans ses vœux pour le soixantième anniversaire de Fráňa Šrámek. En 1937, ces vœux sont lus à la radio par Olga Scheinpflugová, épouse de Karel Čapek:

« Mon copain Šrámek, je sais bien déjà que tu rougiras de désapprobation quand tu entendras ou liras ces paroles, que tu te secoueras et tu agiteras impatiemment la main comme si tu voulais dire : ‘Comment ose-t-on se glisser jusque dans mon intimité ? Qu’est-ce que je vous ai fait de mal ? ‘ Rien à faire, Fráňa Šrámek, tu nous a vraiment fait quelque chose. Combien de nous auraient vécu une vie bien moins riche en émotions, s’ils n’avaient entendu ton chant de jeunesse, d’amour, d’amertume, le chant de ton pays. Tu peux rechigner comme tu veux, mais pour tout cela nous devons t’embrasser sur les joues en ce jour où tu ne t’appartiens pas à toi-même mais à nous tous. »

 

La poésie et le théâtre

'L’Ecluse' | Photo: Ed. Fr. Borový

Fráňa Šrámek est, certes, aussi auteur d’œuvres qui expriment une sorte de désenchantement et de pessimisme érotique, mais dans ses livres de poésie et ses romans les plus célèbres, il évoque et magnifie d’une façon simple et poignante l’importance des valeurs élémentaires de l’existence humaine et sa gratitude pour les dons du monde et de la vie. Cette tendance atteint son paroxysme dans le recueil Splav (L’Ecluse) qui emporte le lecteur sur une vague de sentiments impétueux et d’effervescence sensuelle et lui permet de découvrir ses aspirations ensevelies et sa nature profonde. L’érotisme cristallin de ces vers les a hissés parmi les sommets de la poésie d’amour tchèque.

Le film 'L’Eté'  (1948) | Photo: NFA

Et le poète a également laissé une trace profonde dans le théâtre tchèque grâce notamment à sa pièce Léto (L’Eté) qui raconte l’amour d’un jeune homme pour une femme mariée et frivole qui s’ennuie et ne cherche qu’une aventure sans lendemain. C’est une grande épreuve pour le jeune héros de la pièce qui aime pour la première fois avec la sincérité et le désespoir de ses 18 ans et qui passe péniblement de la frénésie au désenchantement et du dégrisement à l’amertume avant de retrouver l’espoir dans un nouvel amour.

Milka Hrdličková-Šrámková

Milka Hrdličková | Photo: Vladislava Wildová,  ČRo

En 1905, Fráňa Šrámek, âgé de 28 ans, fait la connaissance d’une jeune femme  qui partagera désormais sa vie. Elle s’appelle Miloslava Hrdličková et elle sera son amour, sa compagne et sa collaboratrice. C’est Miloslava-Milka qui le soutiendra pendant les années sombres de la Deuxième Guerre mondiale lorsque le poète refusera de quitter son appartement pragois, c’est elle qui le soignera dans sa vieillesse et c’est finalement elle qui sera l’éditrice de ses œuvres et fondatrice de son musée à Sobotka, sa ville natale. Grâce à Milka, le souvenir de Fráňa Šrámek à Sobotka reste vivant encore aujourd’hui. C’est aussi grâce à elle que la guide du musée Olga Bičišťová peut montrer aux visiteurs tout un ensemble d’objets ayant appartenu au poète :

« C’est le cabinet de travail de Fráňa Šrámek que sa compagne Milka a transféré de leur appartement de Prague-Smíchov et qui l’a installé exactement de la même façon comme du vivant du poète. On peut même toucher le bureau sur lequel il écrivait, on peut y voir ses livres et son vase avec les fleurs qu’il aimait - des coquelicots, des bleuets et des marguerites. »

Le musée Šrámek à Sobotka | Photo: Vladislava Wildová,  ČRo

Un chantre païen à la recherche de Dieu

Fráňa Šrámek en 1926 | Photo: Rozpravy Aventina/Wikimedia Commons

Poète de l’amour et de la sensualité libre, Fráňa Šrámek est aussi un grand défenseur de la liberté d’esprit, le chantre d’un Homme obéissant aux appels de la nature en dépit des entraves sociales et religieuses. Il n’était pas croyant, mais il s’avère que ce poète païen a toute sa vie cherché à nouer une relation avec Dieu. Un témoignage sur cette longue quête de spiritualité existe dans les archives de la Radio tchèque grâce à Miroslav Matouš, poète et prédicateur de l’Eglise évangélique des Frères tchèques. Miroslav Matouš avait rencontré le poète malade peu avant sa mort et c’est ainsi qu’il a évoqué au micro beaucoup plus tard cette rencontre au seuil de l’inconnu :

« Fráňa Šrámek m’a dit: ‘Vous savez, j’ai lutté toute ma vie pour avoir la foi en Dieu.’ Je lui ai donc demandé: ‘Où en êtes-vous dans votre lutte aujourd’hui ?’ Et il m’a répondu : ‘Je n’ai plus de force ...’ Ensuite, il y a eu un silence et finalement je lui ai dit: ‘Maître, quand j’évoquerai un jour le poète Fráňa Šrámek, je ne pourrai pas dire à mon regret que vous étiez croyant mais d’après ce que vous avez écrit et ce que vous m’avez dit, je ne pourrai pas dire non plus que vous ne croyiez pas en Dieu. Je pense qu’il serait juste de dire : Fráňa Šrámek était un homme qui cherchait la foi en Dieu.’ Fráňa Šrámek s’est mis à réfléchir et après mûre réflexion sur mes paroles, il a fini par dire: ‘Oui, ce sera juste.’ »

Auteur: Václav Richter
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