Frantisek « François » Vojtasek, l'espion qui aimait la France - 1ère partie

Frantisek Vojtasek, photo: Alexis Rosenzweig

Informateur des services français pendant dix ans, Frantisek Vojtasek est un ancien lieutenant-colonel des services spéciaux tchécoslovaques qui a passé douze années en prison avant la Révolution de velours et attend toujours un signe de Paris.

Frantisek Vojtasek,  photo: Alexis Rosenzweig
Nous l'avons rencontré il y a quelques temps a Prague, et il est d'abord revenu sur ce qui l'a poussé à travailler pour les Francais, juste après l'écrasement du Printemps de Prague, alors qu'il était en poste à Paris.

« Ma collaboration avec les services français a commencé quelques temps après l'occupation de la République tchécoslovaque par les troupes du Pacte de Varsovie. J'ai choisi les Français à cause de mes relations avec ce pays et aussi parce que mon cousin a combattu en France et il est mort en avril 1944 pas loin de Dunkerque, donc j'avais des relations étroites avec les anciens combattants à l'Ouest. D'autre part, je n'avais pas de grande sympathie envers les Américains, les Anglais, ou les Allemands. J'étais contre l'occupation et j'étais prêt à apporter mes forces et mon expérience aux services français. La collaboration a ensuite commencé à se dérouler selon les méthodes de travail professionnelles. »

Sur quoi et par quelles méthodes informiez-vous les Français ?

« Je vais vous le dire simplement. Ce qui était très important était que je donnais aux services français un cahier assez épais qui contenait toutes les missions du service de renseignement militaire tchécoslovaque où étaient regroupées toutes les informations concernant les troupes des pays de l'OTAN en Europe. C'était un cahier très important. Y étaient répertoriées toutes les missions des armées de l'air et de terre en France et ailleurs. »

Savez-vous quelle importance a eu votre travail pour les services français ?

« Ils me disaient juste : 'Merci François [la traduction de Frantisek, ndlr], c'est bien'. C'est tout. Et puis quelques temps après je suis rentré en Tchécoslovaquie. »

Après son retour à Prague, en 1972, Frantisek « François » Vojtasek continue de fournir des renseignements aux Français par l'intermédiaire d'un autre agent, que les autorités tchécoslovaques croient être son informateur. En 1976, Vojtasek est une nouvelle fois promu et à nouveau muté à Paris. Mais deux mois après son arrivée, il est rappelé d'urgence à Prague. Pour la dernière fois, il rencontre des officiers français.

« Notre dernière rencontre s'est déroulée à Vienne le 6 septembre 1976. J'ai répété quelques informations concernant les agents tchécoslovaques en poste à l'ambassade tchécoslovaque à Paris. Moi, je suis rentré à la division des renseignements, au Bureau stratégique, où je me suis occupé de la France, de la Suisse, et des pays du Bénélux. Je voyageais, parfois suivi par les services de contre-espionnage. J'ai travaillé jusqu'au jour de mon arrestation, le 3 février 1978. »

Et Frantisek Vojtasek sait qui l'a « balancé » - un Français au service du KGB :

« C'est le dernier avec qui j'étais en contact qui m'a trahi, Jacques... Je le soupçonnais, et puis je me suis souvenu d'un de nos diners dans un restaurant. Il tenait sa cigarette 'à la russe', comme s'il portait des gants épais. »

Frantisek Vojtasek,  photo: Alexis Rosenzweig
Vous saviez donc quelle était la taupe soviétique chez les Français ?

« Oui, dès avril 1978, après avoir longuement réfléchi. Et pour la StB, cela a eu l'effet d'une bombe. Quand je l'ai dit à ceux qui m'interrogeaient, la réaction a été extraordinaire. Le lieutenant-colonel chargé de l'équipe m'a dit : 'Vous me compliquez la vie, parce que je n'étais pas destiné à savoir tout ce qui s'est passé.' Parce que les Russes organisaient toute la procédure contre moi, en divulgant le moins d'informations possibles aux services tchécoslovaques. »

« Et puis on a 'préparé' le procès. On m'a dit que ce serait bien si j'étais d'accord pour ne parler ni des intérêts soviétiques, ni d'un agent dans la centrale française. 'C'est mieux pour votre famille si vous jouez le rôle d'un criminel motivé par l'argent et compromis par les femmes', m'at-on fait comprendre. Alors je le dis vraiment : j'ai été l'un des acteurs de mon propre procès. Toutes les informations essentielles sont restées secrètes, même pour les juges. Moi, je pensais à ma femme et à ma fille, c'était ma seule préoccupation. »

Finalement, l'agent Vojtasek est jugé et condamné à 25 ans de prison après un procès évidemment truqué... Ce sera l'objet d'une de nos prochaines émissions.