Frantisek Vojtasek - 2e partie : 5000 Francs et un livre de jardinage pour la taupe des services français

Fantisek Vojtasek

Frantisek « François » Vojtasek, agent des services secrets tchécoslovaques, a été la taupe des services français, qu'il a informés pendant une dizaine d'années, une des plus longues collaborations entre un agent de l'Est et la DST. Après son arrestation en 1978, Vojtasek est jugé au cours d'un procès truqué et condamné à 25 ans de réclusion, la peine la plus lourde à l'époque après la peine capitale. Il sera enfermé dans la pire des prisons du pays jusqu'à la chute du régime, et même un peu après...

Frantisek Vojtasek
« Dans les jours qui ont suivi le procès, deux officiers du contre-espionnage sont venus me voir dans ma cellule. Ils m'ont proposé de rester dans la prison de Ruzyne, sans beaucoup travailler, si j'acceptais de collaborer avec eux contre la France. J'ai refusé en leur répondant : 'Vous savez que j'ai travaillé contre l'occupation soviétique et maintenant vous voulez que je collabore avec l'occupant ? C'est non'. Alors quelques jours après, j'ai été transféré dans la prison de Valtice, la pire. »

Vous y êtes resté combien de temps en tout ?

« Plus de onze ans. Un peu plus d'un an à Ruzyne et onze ans à Valtice, parmi les assassins et les criminels. Les voleurs, c'était une élite là-bas... Nous étions d'abord 26 prisonniers sur 66m², puis 14 sur 33m²... »

Vous aviez droit aux visites ?

« Une fois tous les dix mois. Une heure, c'est tout. »

Y avait-il d'autres espions dans cette prison ?

« Oui, mais nous étions isolés. Par exemple j'ai rencontré peu avant ma libération un espion qui avait travaillé pour l'Irak et la Syrie.

Quand est-ce que vous avez été libéré ?

Photo illustrative: Filip Jandourek,  ČRo
Le 12 mars 1990. C'est le comité dirigé par Petr Uhl (le VONS ou Comité de défense des personnes injustement poursuivies, ndlr), qui a discuté de mon problème avec Vaclav Havel. Celui-ci m'a accordé la grâce et m'a promis que je ne ferai pas les 12 années qu'il me restait à purger. »

Comment avez-vous suivi dans cette prison l'évolution de la situation fin 1989 ?

« C'était assez compliqué parce qu'ils ont interdit la télévision et la radio. Nous étions totalement isolés les premiers jours, mais à partir d'un moment c'est devenu impossible de filtrer les informations. En ce qui concerne mon affaire, on a voulu retarder mon départ de la prison. On a tout essayé pour ne pas me libérer, c'est pour ça que je ne suis sorti qu'au mois de mars 1990. Les assassins ont, eux, quitté la prison dès les premiers jours... »

Pourquoi vous a-t-on maintenu enfermé ?

« Premièrement pour des raisons politiques : il fallait empêcher les espions de se retrouver en liberté. Et dans mon affaire je pense aussi qu'il était nécessaire de régler les choses entre les Tchécolovaques, les Soviétiques et les Français. Mais je n'ai pas de preuves là-dessus. »

Malgré la grâce obtenue de Vaclav Havel, combien de temps avez-vous lutté pour votre réhabilitation ?

« Dix ans, jusqu'au mois de décembre 2000... C'est peut-être difficile à comprendre, mais les juges dans les tribunaux étaient les même juges qui portaient la robe sous le régime communiste. Et pour eux, j'étais et je reste un criminel, pas un combattant politique... »

A quel moment avez-vous repris contact avec les Français ?

« Je suis allé à l'ambassade de France à Prague et ai discuté avec l'attaché militaire-adjoint. Quelques mois après, on m'a dit qu'on allait me payer un billet d'avion pour Paris. Je suis arrivé à Paris une semaine avant Pâques 1991, et ai passé près d'une semaine dans la clinique du ministère de l'Intérieur, soigné par médecins et spécialistes. J'ai écrit tout ce qui s'est passé avant et après mon arrestation, dans la prison, etc... J'ai beaucoup écrit. Et juste avant Pâques, j'ai rencontré notamment le sous-chef du directeur des services à l'hotel Hilton. On m'a dit : 'François, on va étudier tout ce que vous avez dit et écrit puis allons régler les choses'. J'ai reçu 5000 Francs, une somme sympathique avant Pâques...

Après ça, à vrai dire, dans les années suivantes, j'avais beaucoup de problèmes avec la justice tchécoslovaque et je n'ai pas beaucoup pensé aux Français. Je me disais que si je devais recevoir une indemnité, c'était à la partie tchécoslovaque de trouver une solution. J'ai écrit en France que cela me suffirait si on me disait : 'Merci François'... »

Parce que c'est ça que vous attendez, une reconnaissance même formelle ?

« Oui, je le voudrais. Si par exemple quelqu'un me dit 'Merci François, vous avez beaucoup fait pour nous, pour la liberté et la démocratie'. A mon âge et dans ma situation, ça suffirait. »


Rappelons que celui qui a raconté son aventure dans un livre intitulé « La taupe française » (Francouzky krtek) s'est vu offrir lors de son séjour à Paris en 1991, en plus des 5000 Francs dont il a parlé, un livre... de jardinage... Sûrement de l'humour d'espion.