František Kupka, caricaturiste anar
Pavel Chalupa est historien de l’art, conservateur de la galerie Artefactes de Vysoké Mýto, qui organise des expositions franco-tchèques, et notamment, il y a une dizaine d’années, une exposition itinérante consacrée au travail de caricaturistes de František Kupka, un aspect moins connu de l’œuvre du peintre :
« Kupka est arrivé à Paris en 1896. En tant que jeune peintre tchèque, à Paris, c’était difficile. Il fallait bien vivre, et il fallait vivre dans un milieu pauvre. Donc au début, il a dessiné dans un milieu ouvrier, dans un milieu anarcho-syndicaliste, anarchiste. Lui-même était anarchiste à l’époque. Il a commencé à dessiner des dessins politiques pour des journaux politiques commes les Temps nouveaux et comme, à partir de 1901, L’Assiette au Beurre. A l’époque L’Assiette au Beurre était quelque chose d’extraordinaire, c’était une plateforme du nouveau siècle, des espérances qui étaient liées à la victoire du bloc des gauches en 1902. En tant qu’anarchiste, Kupka a commencé à dessiner pour L’Assiette au Beurre. Il a fait trois albums qui s’appellent L’Argent, La Religion et La Paix, entre 1902 et 1904. Ce travail était tellement extraordinaire et é été tellement bien reçu que Kupka est devenu assez prématurément par rapport à d’autres peintres, célèbre et riche. Même riche, car il a vendu 200 000 exemplaires de chaque album, ce qui était énorme, même pour l’époque. Ca lui a permis d’être connu, ce qui était très important à Paris, ça lui a permis de se concentrer sur ce qu’il voulait faire... Kupka a pu s’acheter une maison à Puteaux, en 1906. Il a pu vivre tranquillement et se concentrer à son art. C’était un des rares peintres qui ont pu faire de l’abstraction, un art qui était complètement incompris par le public. »
On a devant nous trois facsimilés de L’Assiette au Beurre. Pouvez-vous les feuilleter et nous les décrire ?
« C’est assez cruel, j’ai fait une exposition itinérante qui est passée par Berlin, Paris, Bruxelles et Prague. Je me suis aperçu que c’était assez dur pour le public car c’est l’anarchisme pur et dur. Il y a beaucoup de sang, beaucoup de critique du capitalisme. Il y a la critique des religions, là, c’est une caricature de Mahomet. Mais toutes les religions sont critiquées avec une violence extrordinaire. Par exemple la religion catholique, c’est la même chose, parce que sur la dernière page, on voit l’univers, un rideau et devant, un prêtre qui demande de l’argent aux croyants. Kupka est bref, laconique, il écrit : La mendicité n’y est pas interdite, ce qui explique ses rapports avec la religion catholique à l’époque très critiquée, pas seulement par l’anarchisme mais aussi le socialisme au pouvoir. »
Vous dites que les gens ont mal réagi aux caricatures, aujourd’hui, vous pensez qu’à l’heure actuelle, nous sommes plus timorés face à la caricature ?
« Je crois qu’on est plus lâches. L’avantage de l’anarchisme, de Kupka, c’était qu’il pouvait tout faire. A l’époque de sa création pour L’Assiette au Beurre, la censure n’existait pratiquement pas. Tout était permis. C’était la règle du jeu : démolir quelque chose, abandonner le XIXe siècle haï. »
Vous dites qu’il était anarchiste, je suppose qu’il ne l’est pas resté toute sa vie, mais qu’il penchait plutôt vers des idées de gauche alors ?
« L’anarchisme en France a été plus ou moins dispersé sous Clémenceau, dans l’illégalité ou transformé en d’autres courants, notamment socialistes. Mais je crois que Kupka était profondément socialiste. Son oeuvre n’était pas politique mais on peut dire qu’il était toujours du côté du bien. Comme il l’avait été pendant la Première guerre, dans les légions tchécoslovaques en France, aux côtés de Benes et Masaryk. Il était exilé, mais il n’a jamais oublié qu’il était Tchèque, issu d’un milieu pauvre. »
Certains artistes rejettent une période de leur création. Lui n’a jamais rejeté une période de jeunesse, comme les caricatures par exemple ?
« Je ne crois pas, il était même assez fier de commencer à avoir du succès avec ses dessins, qu’il exposait toujours à côté de ses autres œuvres. Il les a toujours considérés comme des dessins proches de ses rêves politiques du début du siècle. »