Généalogie : comment retrouver ses ancêtres tchèques ? Entretien croisé avec les 3 auteurs
« Retrouver ses ancêtres tchèques » est le titre d’un ouvrage sorti récemment chez Archives & Culture, une maison d’édition en France qui publie, entre autres, des guides de généalogie. S’adressant à tous ceux qui comptent des Tchèques dans leur ascendance et souhaitent retrouver leur trace, ce livre pratique permet ainsi de remonter les filiations tchèques sur plusieurs siècles via Internet, et ce, même sans connaissances de la langue tchèque. Jan Brugneaux, Philippe Christol et Suzanne Pawlas en sont les trois auteurs.
Retraitée de l’enseignement, passionnée de généalogie et d’histoire des familles, Suzanne Pawlas assure des formations pour généalogistes débutants au Cercle généalogique du Vaucluse dont elle est présidente. Sa première quête a été de trouver l’origine de son patronyme et de découvrir l’ancêtre tchèque arrivé en France à la fin du XVIIIe siècle :
« C’est en remontant ma généalogie que j’ai retrouvé cet ancêtre, avec toutefois des indications complètement farfelues sur l’acte de mariage. Il m’a donc fallu beaucoup fouiller et creuser pour retrouver d’où il était exactement. Il s’agissait d’un soldat déserteur de l’Empire austro-hongrois au moment de la bataille de Valmy, en 1792. C’est en posant des questions sur un forum français que j’ai retrouvé le nom de village : Libchyně dans la région de Hradec Králové, en Bohême de l’Est, pas très loin de la frontière avec la Pologne. Suite à cette première démarche, je me suis beaucoup intéressée à l’histoire de la Tchécoslovaquie. Puis, grâce à Internet, j’ai commencé à retrouver des traces en Bohême de l’Est, ce qui m’a permis d’établir la descendance de cet ancêtre jusqu’à aujourd’hui puisque je fais partie de la septième génération depuis ce Jean-Baptiste Pawlas. »
C’est donc à Libchyně, tout petit village aujourd’hui de moins de 100 habitants situé au nord-est de la ville de Nové Město nad Metují, en Bohême de l’Est, que Jean-Baptiste Pawlas, ancêtre de Suzanne Pawlas, voit le jour, probalement en 1770. Et c’est en qualité de soldat de l’armée du Saint Empire romain germanique, dont dépend alors le royaume de Bohême, que Jean-Baptiste (probablement né avec le prénom tchèque de Jan) arrive en France au début des années 1790, où il participe à la bataille de Valmy. Mais comme beaucoup de soldats des troupes impériales autrichiennes, Jean-Baptiste Pawlas décide de rester...
« Il s’est installé en France. Comme il était déserteur, il a été ‘pris en charge’ par la France, puis il s’est marié là où il était employé, à savoir dans une ferme. Seize enfants, au total, sont nés de ses deux mariages, et aujourd’hui, donc, un certain nombre de Pawlas en France sont issus de cet ancêtre-là. »
« J’ai retrouvé tous les descendants. Tous sont pratiquement restés dans la Marne et les Ardennes, qui sont deux départements de la région Champagne-Ardennes. J’ai rencontré les personnes et nous avons partagé tous les renseignements que j’avais pu trouver. Tout le monde était d’ailleurs très heureux de connaître l’histoire en remontant le temps. Je reste en contact avec un certain nombre d’eux, même s’il y a beaucoup de femmes qui se sont mariées, ce qui signifie qu’elles ne portent désormais plus le nom Pawlas. »
L’exemple de l’histoire de la famille de Suzanne Pawlas illustre combien la généalogie et cet ouvrage « Retrouver ses ancêtres tchèques » peuvent être utiles, et ce malgré quelques limites aux recherches.
« En Bohême de l’Est je suis désormais bloquée, car le village est tout petit. Je n’ai pas pu retrouver la naissance de Jean-Baptiste Pawlas tout simplement parce qu’il n’y avait pas de registres à cette époque. Je ne peux donc pas remonter plus haut et ne peux pas non plus savoir s’il y avait d’autres Pawlas en Bohême. »
Deuxième auteur de l’ouvrage, Philippe Christol a une histoire différente de celle de Suzanne Pawlas. Spécialisé dans les ascendances polonaises et tchèques, passionné par l’Europe de l’Est, ce généalogiste professionnel a vécu un an à Prague, d’où il a retiré une fascination pour l’histoire et la culture de la Tchéquie.
« C’est bien mon historique personnel. Quand j’avais entre 20 et 40 ans, j’ai voyagé en République tchèque et en Pologne pour mon métier d’alors. Je travaillais dans l’industrie. Après avoir passé un peu plus d’un an en République tchèque et quatre ans en Pologne, je suis revenu en France, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à la généalogie. Tout d’abord à celle de la Pologne. Sur différents forums, j’ai alors commencé à faire, d’abord de façon bénévole puis professionnelle, des propositions de recherches pour des personnes en France qui avaient des ascendants en Pologne. »
« Mais, régulièrement, des gens me demandaient si je pouvais faire la même chose avec la République tchèque. Et comme je connaissais un peu l’histoire du pays et la langue pour y avoir vécu, j’ai creusé et me suis rendu compte que c’était tout à fait faisable, car les archives tchèque sont très modernes et très bien organisées. Il est donc possible, même à distance, de trouver pas mal d’informations. »
Très orienté sur les recherches pouvant être menées sur Internet, puisque beaucoup de données issues des archives tchèques ont été numérisées et sont donc disponibles en ligne, l’ouvrage vise aussi à rassurer toutes les personnes qui souhaitent retrouver une ascendance tchèque, mais ne savent très bien ni comment s’y prendre ni par où commencer.
« Ce livre appartient à une série qui s’appelle ‘Retrouver ses ancêtres...’ et qui essaie de couvrir la plupart des pays en Europe, et même hors Europe. Personnellement, j’ai écrit le guide sur la Pologne il y a une dizaine d’années avec exactement la même problématique, c’est-à-dire que les descendants français de personnes venues de Pologne ou de République tchèque ont souvent perdu tout contact avec le pays ou tout lien familial direct avec des personnes ‘contemporaines’ avec lesquelles ils pourraient échanger. Ils ne sont même parfois jamais allés dns le pays et ne savent pas quelle est leur région d’origine. Il y a donc souvent une grande part d’inconnu, alors que l’ascendance est parfois très proche. Il peut s’agir, par exemple, des grands-parents ou même des parents. Cette appréhension de la langue tchèque, de se dire que l’on n’y comprend rien, est donc la première barrière à faire tomber. »
« La collection de nos guides se veut didactique pour des gens qui s’intéressent à la généalogie, qui voudraient en savoir plus sur leurs origines, mais qui ne savent pas comment s’y prendre et par où commencer, ou alors qui se bloquent très rapidement parce qu’ils ne connaissent pas les différents ‘trucs’ à appliquer, les adresses des sites ou hésitent dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas. Ils ne savent pas non plus, par exemple, comment utiliser les facilités de traduction sur Internet, justement pour mieux s’orienter. Il y a donc tout un travail de débroussaillage que nous avons effectué tous les trois sur la République tchèque de façon à permettre aux personnes qui ouvrent le livre de se dire que ce n’est finalement pas si difficile que cela en a l’air. Il suffit de savoir un peu par quel bout s’y prendre et on peut alors très bien réussir à faire sa généalogie en République tchèque comme en France. »
Troisième auteur, Jan Brugneaux, dont le prénom ‘trahit’ les origines tchèques, est une « illustration des aléas de l’histoire », comme cela est mentionné dans l’ouvrage. Celui qui est ensuite devenu à la fois ingénieur chimiste et passionné de généalogie est le fruit de la rencontre, en Allemagne en 1943, d’un prisonnier de guerre français et d’une jeune Tchèque réquisitionnée au titre du travail obligatoire.
« Mon père s’est effectivement retrouvé prisonnier en Allemagne pendant la guerre et, du côté tchèque, disons que l’équivalent du STO français (Service du travail obligatoire) fonctionnait plus ou moins dans les mêmes conditions, si ce n’est qu’il y avait l’occupation des territoires. C’est comme ça que mes parents se sont connus en Allemagne. Ils se sont ensuite mariés à Plzeň avant de partir s’établir en France puisque mon père était originaire de la région parisienne. Et quant à moi, je suis arrivé quelques années plus tard... »
« J’ai toujours entretenu des liens avec ma famille tchèque. Ma mère s’est retrouvée seule en France et le mal du pays faisait qu’elle avait beaucoup de relations avec ses frères, sœurs et cousins. Naturellement, pour les gens qui vivaient en Tchécoslovaquie après 1948 (après l’arrivée au pouvoir du Parti communiste et le changement de régime politique), avoir un corresponsant à l’Ouest était aussi un avantage dans la mesure où cela leur permettait de savoir un peu ce qu’il s’y passait. Par conséquent, les liens ont toujours été très forts dans toute la famille. »
« J’avais cinq ans la première fois que je me suis rendu en Tchécoslovaquie et la dernière fois que j’ai séjourné en République tchèque, c’était l’été dernier... Jusqu’à mes quinze ans environ, nous y allions quasiment chaque année avec mes parents. Ces visites se sont ensuite un peu espacées à l’adolescence et aussi parce que j’avais ensuite ma famille ‘plus directe’ avec mes propres enfants. Nous avions donc un peu moins la possibilité d’y aller, mais le lien n’a jamais été coupé pour autant et nous restons toujours en contact régulier. »
Jan Brugneaux, investi par ailleurs dans le Cercle généalogique de l’Aveyron, a commencé à créer son arbre généalogique en France dans les années 1990, à une époque où les moyens de recherche, notamment technologiques, étaient tout autres que ce qu’ils sont aujourd’hui. Pour la Tchéquie, en revanche, c’est d’abord un cousin à lui qui s’est chargé de rassembler les informations concernant la famille de sa mère.
« Depuis que j’ai été associé à cet ouvrage, j’ai découvert les archives tchèques et je dois avouer que j’ai été particulièrement impressionné par la quantité de documents numérisés disponibles en ligne. Le constat est que les systèmes français et tchèque fontionnent de la même façon : il s’agit de partir de quelque chose que l’on connaît et de remonter progressivement. »
Après s’être intéressé à des pays comme la Pologne, donc, mais aussi l’Ukraine ou la Lituanie, Philippe Christol, auteur également de « Migrants et refugiés de 1789 a 1900 », constate que si beaucoup de pays en Europe de l’Est, dans la mesure de leurs moyens, s’efforcent de rendre leurs archives les plus accessibles possible, la Tchéquie fait partie, en la matière, des plus avancés :
« C’est-à-dire que quand vous recherchez vos ancêtres, les documents les plus classiques à exploiter sont les registres d’état-civil qui s’avèrent en l’occurence être des registres paroissiaux ou religieux. Ces registres sont plus ou moins en ligne en fonction des pays, et, en République tchèque, la quasi-totalité des deux derniers siècles, jusqu’à 1800 et même encore avant, sont présents dans les fonds des archives publiques et ont été mis en ligne. La République tchèque n’est certes pas une exception, mais le pays est néanmoins très en pointe par rapport à ça. »
« D’autre part, il y a un aspect lié à l’histoire des pays de la couronne de Bohême et, donc, du territoire actuel de la République tchèque, qui fait que, de façon générale, sans même qu’il soit nécessairement question de recherches généalogiques, c’est un pays dans lequel de nombreuses archives anciennes ont été conservées. Il y a donc toute une structure d’archives qui sont accessibles tout à la fois au public, aux historiens, y compris amateurs, etc., qui permettent de mener des recherches très approfondies. »
Plus discrète et moins nombreuse que l’immigration polonaise de l’entre-deux-guerres, la communauté tchèque (et slovaque) a néanmoins longtemps été très présente sur une large partie du territoire français, comme l’expliquent les trois auteurs en introduction de l’ouvrage, qui avancent un chiffre supérieur à 70 000 personnes dans les années 1930. Philippe Christol, qui anime également le site www.geneaceska.eu sur la généalogie tchèque, s’est intéressé de plus près aux premières installations marquantes de Tchèques en France :
« Dès la fin du XIXe siècle, on rencontre des Tchèques, et des Slovaques dans une moindre mesure, surtout sur Paris qui sont venus faire des métiers comme tailleurs, restaurateurs ou ouvriers. On trouvait aussi quelques exilés politiques. En 1914, cette communauté tchèque comptait donc quelques milliers de personnes avec ses restaurants et deux ou trois magasins ; une communauté assez petite, donc, mais soudée. »
« Ensuite, il y a l’après Première Guerre monde, et la Tchécoslovaquie fait partie des pays qui ont exporté de la main-d’œuvre vers la France. Un accord signé en mars 1920 officialise le fait que la France est prête à accueillir des travailleurs tchèques et slovaques. Et à partir de là, le chiffre augmente jusqu’à atteindre ce pic de 70 000 personnes qui, effectivement, peut sembler assez surprenant. Comme il n’y a pas eu de communautés très regroupées et très importantes en termes de personnes, on ne se rend pas forcément compte que cette population était finalement assez nombreuse. En réalité, il s’agissait surtout de petits groupes relativement isolés ici et là dans certaines usines ou dans l’agriculture. Tout cela fait que nous avons redécouvert l’importance de cette immigration dans le cadre de nos recherches. »
Pour avoir mené elle-même une longue et parfois (très) difficile quète généalogique, Suzanne Pawlas précise par où et comment s’y prendre pour retrouver un ou des ancêtres tchèques depuis la France :
« Dans les actes qu’ils ont en France, il faut déjà ‘transformer’ le nom, c’est-à-dire qu’il faut vraiment qu’il soit en langue tchèque, ou en allemand, de manière à pouvoir le retrouver sur les sites que nous mentionnons dans l’ouvrage. Sinon, cela devient effectivement très compliqué. Dans mon cas, le nom était tellement mal écrit qu’il m’a fallu des années pour arriver à le traduire et retrouvr le village de mon ancêtre. C’est donc la première étape. »
« À la fin du livre, nous avons réuni des textes leur permettant d’écrire avec la traduction. Jan Brugneaux, qui connaît un peu le tchèque, s’est occupé de cette partie-là. Il ne faut pas non plus hésiter à s’aider du lexique que nous proposons. Nous avons mis ce lexique en latin, puisqu’il existe des actes en latin, en tchèque et en allemand pour que les gens puissent se repérer suivant les actes sur lesquels ils vont tomber en fonction des années historiques, et trouver à quoi correspondent les colonnes des différents actes. L’idée est donc vraiment que les gens puissent s’orienter par eux-mêmes parce que, sinon, c’est vraiment très compliqué. »
Bien qu’écrit « à six mains » et résultat d’un véritable travail d’équipe pour l’ensemble des archives, aussi bien de Bohême que de Moravie ou encore militaires, « Retrouver ses ancêtres tchèques » ne s’arrête pas uniquement à la généalogie et propose aussi une présentation générale des Pays tchèques ou encore, par exemple, de l’alphabet tchèque. Jan Brugneaux explique pourquoi :
« Tout le monde n’avait pas complètement le même objectif. Personnellement, j’avais envie de faire partager la partie géographie-histoire parce que qu’en m’adressant à des Français qui n’ont pas de contact direct avec de la famille là-bas qu’il est très important de situer ne serait-ce qu’un minimum les événements à la fois d’un point de vue géographique que temporel. »
Sa famille tchèque étant originaire de Bohême de l’Ouest, c’est plus particulièrement sur les archives de cette région que Jan Brugneaux s’est penché lors de la préparation du livre. Et à ses yeux, notamment l’histoire des Sudètes, dont des millions de personnes issues de la minorité germanophone de l’ancienne Tchécoslovaquie ont été expulsées après la Deuxième Guerre mondiale, mériterait une recherche plus approfondie encore :
« C’est sûr que la Bohême occidentale, c’est très particulier dans la mesure où il y a eu des vagues d’immigration forcée au moment de l’après-guerre, et même avant la guerre. Un système de coopération a été mis en place avec les archives de Munich, car il y a beaucoup de choses en commun. Quand vous allez sur le site de Bohême de l’Ouest, vous avez ainsi le choix entre les archives tchèques et les archives bavaroises. Ce qui signifie que vous pouvez accéder aux archives côté allemand. C’est un élément que je trouve très intéressant et, dans une prochaine édition, s’il doit y en avoir une, je souhaiterais savoir si on a accès à des listes de personnes qui ont été obligées d’émigrer après la guerre. J’imagine que du côté allemand, beaucoup de personnes seraient intéressées par des recherches en République tchèque. Il y a toute une bande frontalière qui est certainement très intéressante à étudier. »