Ukraine : les réfugiés roms obligés de dormir à la Gare centrale de Prague
Depuis environ deux semaines, des centaines de Roms en provenance d’Ukraine sont hébergés en urgence dans les locaux de la Gare centrale de Prague. Obligés d’attendre plusieurs jours pour obtenir la protection temporaire en République tchèque et sans accès au logement, des familles avec enfants vivent dans des conditions indignes, dénoncées par les organisations qui les prennent en charge. Reportage.
« Nous venons de Transcarpathie (sud-ouest de l’Ukraine, ndlr)… Oui, nous avons vu des roquettes… Si on veut rester en Tchéquie ? On ne sait pas, on vient d’arriver… On ne sait pas quoi faire… »
Ces deux femmes sont assises, avec leurs enfants, sur un banc placé dans un hall destiné, depuis le début de la guerre en Ukraine, à l’accueil des réfugiés. A côté des stands des organisations humanitaires, d’autres femmes avec enfants se reposent, installées à même le sol, sur de simples couvertures. C’est ici qu’elles vont passer la nuit. Parmi elles, un seul homme, assis dans un fauteuil roulant. A trois heures de l’après-midi, les réfugiés sont quelques dizaines à camper en gare, mais la situation va changer le soir, comme l’explique Jakub Chromý, manager de crise de l’Organisation d’aide aux réfugiés (OPU) :
« Ces personnes attendent une dizaine de jours pour obtenir leur visa. Dans la journée, ils sont en ville, mais comme ils n’ont pas où loger, ils reviennent vers nous, à la gare, pour passer la nuit ici. Ils étaient 400 à dormir à la gare dans la nuit de mercredi à jeudi. Quand je suis arrivé à 8h du matin, ils étaient à peu près 150. Ils dorment dans un train que nous ont procuré les chemins de fer et où il y a environ 200 places. Nous disposons également de 25 lits où nous plaçons les personnes les plus vulnérables : les femmes enceintes, les bébés et les personnes handicapées. Les autres réfugiés, pour lesquels il n’y a plus de place, doivent malheureusement dormir dans ce hall. »
Pour nous, c'est une crise humanitaire
La salle se trouve à quelques pas du quai où arrivent toujours des trains en provenance de la frontière ukrainienne. Jakub Chromý rappelle qu’à l’origine, elle servait de point de passage où les volontaires ont fourni une première assistance aux nouveaux venus, avant qu’elle ne se transforme en une sorte de camp improvisé :
« De nouveaux réfugiés continuent d’affluer. Notre mission est de s’occuper précisément de ces nouveaux arrivants, de leur acheter des billets de train pour qu’ils puissent partir à l’ouest, s’ils le souhaitent, ou alors pour les diriger vers le centre d’accueil où ils doivent régulariser leur situation, s’ils veulent rester en Tchéquie. Or nous nous sommes retrouvés dans une tout autre situation, avec l’arrivée des familles roms qu’il faut accueillir à long terme. »
« Nous avons des moyens très limités, nous ne pouvons pas leur préparer de repas chauds par exemple, nous leurs donnons seulement des sandwichs, des biscuits et des aliments pour bébés. Ce n’est pas une alimentation appropriée… C’est une situation désespérée à laquelle nous n’étions pas préparés et qui, entre autres, démotive les volontaires. Ils sont une vingtaine à travailler avec nous dans la journée et quatre la nuit. Ce n’est pas beaucoup. Mais ils sont déjà fatigués et renoncent parfois à ce travail, car ils ne veulent pas assister à ce qui se passe ici. Pour nous, c’est une crise humanitaire. »
Passeport ukrainien ou hongrois ?
Certains réfugiés roms arrivés en Tchéquie ont la double nationalité, ukrainienne et hongroise, ce qui complique, voire rend impossible, selon les autorités, la délivrance du visa tchèque. Pour les organisations de défense des droits des Roms, il s’agit d’un système discriminatoire. Les ONG qui assurent l’accueil des réfugiés à la gare de Prague critiquent elles aussi le gouvernement et la mairie de la capitale pour un manque d’action. On écoute Jakub Chromý :
« Pendant longtemps, ce centre d’accueil à la gare de Prague a géré la situation à la place de l’Etat. Ce n’est que maintenant que les autorités commencent à chercher des solutions, parce qu’elles sont sous pression des médias et du public. Et parce que la situation devient intenable. Les Roms sont coincés à Prague, parce que la police des étrangers examine leurs documents. Ils sont effectivement nombreux à avoir la double nationalité, du fait que la Hongrie revendique le territoire ukrainien où ils vivent. »
« C’est donc le résultat de la politique de Viktor Orbán qui leur a procuré des passeports hongrois pour prouver qu’il y a bien une minorité hongroise en Ukraine. Mais nous savons que ces gens sont arrivées de l’Ukraine et parlent tous la langue du pays. Par ailleurs, certains Roms ont essayé de partir à Munich, mais ils sont revenus à Prague avec le train suivant, on ne sait pas pourquoi. »
Pour faire face à la situation, la ville de Prague a récemment construit un camp dans le quartier de Trója, censé accueillir, dès ce week-end, quelque 150 réfugiés roms. Un dispositif qui, selon Jakub Chromý et ses collègues, soulagera la Gare centrale de Prague, mais n’apporte pas une solution à long terme.