Guerres hussites : un chariot de ferme pour la victoire

La bataille de Sudoměř par Adolf Liebscher

La cavalerie lourde a longtemps été la pièce maîtresse des armées, mais durant le XVème siècle, cette place dominante a été implacablement compromise. L’infanterie l’a progressivement remplacée et a occupé une place centrale dans les déploiements tactiques militaires. Ce renversement stratégique s’est opéré dans les pays tchèques lors des guerres hussites, grâce au perfectionnement d’une tactique militaire jusqu’alors déconsidérée : le fort de chariots.

Le rempart de chariots | Source: public domain

Bohême, 1420. Le royaume fait partie du Saint-Empire romain et Prague en est alors la capitale. La mort, cinq années auparavant, du théologien réformateur Jan Hus, excommunié puis condamné au bûcher par l’Eglise romaine pour hérésie, a alimenté la ferveur de ses partisans, qui voient en lui un héros et précurseur face à ce qu’ils considèrent comme l’oppression de l’Eglise catholique. L’Eglise hussite se constitue en réaction à sa mort, déclenchant les croisades catholiques dès 1420. Ces cinq croisades ont été l’occasion pour les hussites de mettre au premier plan de leur stratégie une tactique de guerre inédite pour l’époque.

Jan Žižka,  le redoutable aveugle,  gravure sur bois,  1510 | Photo repro: Petr Čornej,  'Jan Žižka' / Paseka

Considérée comme très vulnérable, au regard de la cavalerie, l’infanterie retrouve ses lettres de noblesse au XVème siècle, grâce à une stratégie militaire insolite pour l’époque : les forts de chariots. Ces « forteresses roulantes » ont constitué la base de combat des armées hussites. Mis au point par le chef de guerre Jan Žižka (1370-1424) ce nouvel art de la guerre a fasciné les armées voisines, jusqu’à être considéré, à tort, comme une nouveauté.

En réalité, Jan Žižka a perfectionné les chariots de transport, déjà répandus dans les trains des armées à l’époque du haut Moyen Âge (de 476 au XIème siècle). Destinés originellement au transport, et relégués au second plan, leur maniement est renouvelé des centaines d’années plus tard.

La bataille de Lipany par Josef Mathauser | Photo: ΑΩ institut,  Wikimedia Commons,  public domain

Cette stratégie militaire consiste à s’abriter derrière des chariots de ferme, reconvertis en chariots de guerre et agencés en cercle ou carré fermé. Nommé « vozová hradba » en tchèque (rempart de chariots), ou « Wagenburg » en allemand (fort de chariots), il a permis aux hussites de résister aux croisades menées par le pouvoir catholique à partir de 1420.

La réplique du chariot hussite | Photo: Ludek,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Utilisés d’abord comme un outil de défense, les chariots ouvrent aussi la voie à l’offensive : lorsque les assauts ennemis se relâchent sur le mur roulant, les flancs s’ouvrent pour laisser passer la charge de l’infanterie et la cavalerie hussite. A cet égard, le perfectionnement qu’a réalisé Jan Žižka pour faire de ces chariots et de l’infanterie les pions principaux de sa stratégie militaire se révèle innovant.

La bataille ddÚstí nad Labem en 1426 par Věnceslav Černý | Photo repro: Wikimedia Commons,  Petr Čornej,  Pavel Bělina - Slavné bitvy naší historie

Pendant dix-huit ans, les hussites, parfois en flagrante infériorité numérique, ont mis en déroute les armées impériales. Leurs lieux de déploiement sont choisis soigneusement à leur avantage, les chariots disposés en rangs serrés et l’infanterie déployée au moment opportun. La stratégie est si bien étudiée que les croisés ne parviennent à détruire un rang de chariots qu’en 1426, lors de la bataille d’Ústí nad Labem (connue comme bataille d’Aussig dans l’historiographie germanophone) au lancement de la troisième croisade.

Les catholiques tentent une ultime fois de soumettre les hussites par la force lors de la cinquième croisade, en 1431. La plus grande armée jamais constituée contre les rebelles de Bohême franchit la frontière du royaume, et arrive à la ville de Domažlice, mais la légende raconte qu’en entendant le chant de guerre hussite l’armée ennemie fut mise en déroute… De quoi alimenter l’imaginaire national.