GZ Media : des disques vinyles même quand ça ne tourne pas rond
Alors que la musique dématérialisée est devenue la norme et que, pour beaucoup, la voiture est le seul endroit où ils peuvent encore écouter un CD (et encore), le fabricant de disques tchèque GZ Media a survécu aux supports musicaux finalement éphémères en faisant le pari de la tradition et de la qualité. Avec quelques adaptations et innovations toutefois : l’entreprise basée à Loděnice a élargi sa production aux emballages à valeur ajoutée, dont des pochettes et coffrets de disques qui ont notamment les faveurs des Rolling Stones. Quant à son produit d’origine, le disque vinyle, elle le propose aujourd’hui aussi dans des formes et des couleurs tout sauf classiques.
Ah, le crépitement incomparable de l’aiguille sur le tourne-disques ! Un son qui peut évoquer l’enfance et les vacances chez les grands-parents – ou, paradoxalement, la scène musicale contemporaine. Car le disque vinyle connaît depuis une dizaine d’années un regain d’intérêt qui semble être plus qu’un effet de mode. D’ailleurs, Lady Gaga, U2 et beaucoup d’autres ont adopté – ou retrouvé – ce support musical à la qualité inégalée, comme l’explique Michal Štěrba, directeur du premier fabricant de disques au monde, l’entreprise tchèque GZ Media :
« En fait, tous les grands artistes présentent aujourd’hui leurs albums musicaux sur disques vinyles également. Les Rolling Stones ou les Beatles y sont revenus, par exemple. Mais il y a aussi les disques d’un très grand nombre de jeunes artistes dont on n’aurait jamais dit qu’ils sortiraient des vinyles. Et pourtant ce sont les disques les plus vendus dans l’industrie phonographique. »
Disque, cassette, CD
Au tournant du XXIe siècle, pourtant, peu auraient parié sur la survie du disque vinyle. En effet, s’il avait été le support le plus utilisé pour enregistrer du son depuis son invention à la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1980, le disque a un temps côtoyé la cassette audio avant d’être progressivement remplacé et éliminé du marché par le disque compact (CD). Pour s’adapter, l’entreprise tchèque GZ Media s’est d’ailleurs elle aussi mise à produire ces nouveaux supports musicaux, et dans les années 1990, sa production de disques vinyles n’était plus que secondaire. Michal Štěrba :
« C’est vers le milieu des années 1990 que la production de disques à l’usine de Loděnice était la plus faible. A l’époque, la production annuelle était la même que notre rendement actuel sur deux jours… Ainsi, sur toute l’année 1994, notre production a été de 300 000 disques. »
Au début des années 2000, les disques vinyles ne sont plus produits que de façon marginale, en petites éditions de collection ou par des éditeurs indépendants de musique non commerciale – notamment de groupes de heavy metal et de hard rock alternatifs américains.
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Il y a quelques années, le responsable des marchés francophones chez GZ Media, Boris Ducteil, avait expliqué à RPI ce qui avait, selon lui, contribué au renouveau du disque vinyle :
« Avec l’avènement de la musique hip-hop, électro, etc., il y a eu un regain d’intérêt pour le vinyle avec les DJs. De ce que j’ai vu en France, pour ma part, c’est vraiment la mode du ‘DJing’ qui a fait revenir le vinyle sur le marché français parce que les magasins n’en vendaient plus du tout – il n’y avait que les magasins spécialisés, pour les DJs exclusivement. »
Change de disque ! ou pas…
Entreprise née en 1948 de la centralisation et de la nationalisation de l’industrie phonographique tchécoslovaque, l’usine de disques de Loděnice s’était – au plus creux de la vague de popularité du disque vinyle – donné comme objectif d’être « la dernière entreprise en Europe à mettre fin à la production de disques vinyles ». A sa plus grande surprise, ce qui était alors un parti pris par nostalgie s’est avéré sensé du point de vue économique : GZ Media semble aujourd’hui très loin de mettre la clé sous la porte, puisqu’il est actuellement le premier fabricant de disques au monde. Et outre son usine de Loděnice, à l’est de Prague, l’entreprise compte aujourd’hui sept sites de production ailleurs en République tchèque, mais aussi en Europe et en Amérique du Nord. Michal Štěrba revient sur la production de la marque sur un marché mondial très attractif :
« La production tourne 24 h / 24, et nous produisons ainsi 220 000 disques par jour. C’est-à-dire environ 8000 ou 9000 pièces à l’heure. La production de disques vinyles est aujourd’hui un gros business, avec un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars. Cela attire donc les entrepreneurs. Nous détenons environ ¼ du marché mondial ; les ¾ restants sont couverts par les autres acteurs, avec des fabricants importants en Allemagne, en France, aux Pays-Bas… »
Autrefois lourds et cassants, car faits de gomme-laque (‘shellac’ en anglais), les disques vinyles sont, depuis les années 1960, faits à base de PVC ou de polymères. Ils sont donc un peu plus souples, et ils ne sont plus fragiles. Un disque standard a aujourd’hui un diamètre de 30 cm et pèse 120 à 150 g. La largeur du sillon qui y est gravé varie entre 0,04 et 0,08 mm.
Master, matrice, disque
Le pressage d’un disque est l’affaire de 20 à 30 secondes en moyenne. Mais le processus de fabrication comporte plusieurs étapes techniques avant d’en arriver à la presse. Michal Štěrba :
« Au tout début, il y a l’œuvre musicale : l’enregistrement ainsi que la conception graphique de la pochette. Le client nous les présente en version numérique, et c’est à partir de cela que nous travaillons. Nous nous consacrons tout d’abord au mastering du disque : nous transformons l’enregistrement musical afin que puisse être formés les microsillons. Nous utilisons ensuite un appareil spécial pour graver le premier sillon sur une feuille de cuivre : on appelle cela le ‘master’. Pour pouvoir presser un disque, nous avons besoin de l’image en négatif du sillon, que l’on appelle la matrice. On trempe donc la feuille de cuivre dans un bain, dans lequel le cuivre se recouvre lentement de nickel. Une fois que la couche inversée de nickel est suffisamment épaisse, on sépare les deux couches. La matrice en nickel est ensuite placée dans la presse, où la matière et l’étiquette sont simultanément soumis à une pression et à une température intenses [100 à 150 tonnes, 160 °C]. C’est ainsi que le disque est pressé. A ce moment-là, le disque a l’apparence que nous lui connaissons ; il ne reste plus qu’à le laisser refroidir. Il peut ensuite être mis dans sa pochette et expédié au client. »
Une pochette que l’entreprise GZ Media adapte aux besoins du client grâce à un service d’impression polygraphique développé pour répondre aux évolutions des marché – phonographique et autres. Michal Štěrba :
« Pour survivre aux évolutions considérables de l’industrie musicale, il nous a fallu évoluer nous aussi. Dans les années 1980, lorsque la gloire du disque a commencé à décliner, nous l’avons remplacé par la cassette audio, puis par le CD et le DVD. C’est-à-dire que nous avons continué à fabriquer des supports musicaux. Mais au tournant du siècle, tout le monde a réalisé l’immensité de la révolution numérique et l’importance des changements qui attendaient la musique et la transmission de la musique. Pour notre part, nous avions du mal à croire qu’il existerait un format de remplacement du CD. Mais nous voulions survivre. L’une de nos idées d’évolution était de transformer l’entreprise pour produire non seulement des supports musicaux, mais aussi de beaux emballages pour ceux-ci. Nous avons donc mis en place un service d’impression polygraphique, gagnant progressivement en expertise jusqu’à devenir l’une des entreprises les plus complètes de la région dans ce domaine. Nous proposons donc désormais ce service au-delà de l’industrie musicale. Nous produisons actuellement de magnifiques emballages pour les téléphones portables, les boissons alcoolisées, l’industrie cosmétique, etc. Notre activité, ce n’est donc pas seulement la production de disques, mais aussi la production d’emballages à valeur ajoutée. »
Empêcheur de tourner en rond
Et pour encore plus de diversité, outre les classiques vinyles noirs et ronds, GZ Media propose à ses clients des disques de toutes les couleurs et de toutes les formes : carré, rectangle, triangle et même cœur ou trèfle à quatre feuilles. Dans les faits, tous les désirs des clients sont réalisables tant que la partie centrale est suffisamment large pour contenir le sillon de l’enregistrement. Michal Štěrba :
« Il ne s’agit que d’un effet visuel, car dans les faits, le sillon sur le disque est toujours de forme circulaire. C’est-à-dire que même si la forme du disque est inhabituelle, l’enregistrement n’y est gravé que sur la partie non découpée. Et donc à l’écoute, il n’y a aucune différence. »
Différence de forme, mais pas de son, donc. Et les mélomanes ne s’y trompent pas : la qualité de celui du vinyle est toujours excellente, plus riche et dynamique qu’avec n’importe quel autre support musical. C’est d’ailleurs peut-être ce qui a contribué au retour – si ce n’est en force, du moins en faveur – du disque vinyle. Mais pour Michal Štěrba, le disque en tant qu’objet joue également un rôle important :
« Outre le fait qu’il remplit sa fonction principale de support musical et d’intermédiaire d’œuvre artistique, le disque est également un beau produit – autant le disque lui-même que sa pochette, d’ailleurs. Et de nombreuses personnes utilisent le disque comme décoration, que ce soit accroché au mur, encadré ou exposé dans la vitrine d’une bibliothèque. Les disques servent aussi relativement souvent de décoration dans les restaurants, les bars ou ailleurs… »
Pour mélomanes et collectionneurs exigeants
« Il y a certainement plusieurs explications à la renaissance du disque. Mais je dirais qu’avant tout, il y a l’association avec l’objet matériel… de la même façon que même à notre époque numérique, les gens achètent toujours des livres papier. Quand on aime la musique, on n’a pas envie de la consommer uniquement par le biais de plateformes numériques, mais on apprécie d’avoir un objet à exposer chez soi, à lire, à feuilleter, à montrer aux amis. Un objet qui nous fait plaisir, que l’on pose sur le tourne-disque pour l’apprécier différemment. Dans une certaine mesure, c’est irremplaçable. »
D’ailleurs, Michal Štěrba ne semble pas trop s’inquiéter de l’évolution du marché du disque vinyle. Il affirme que l’entreprise GZ Media « mise son avenir sur le disque vinyle » :
« La croissance de la demande en disques vinyles est continue depuis plus de dix ans. Néanmoins, nul ne sait si elle continuera ainsi à augmenter pendant encore un an ou dix, ou au contraire si elle cessera de croître. Néanmoins, il est déjà clair qu’il ne s’agit pas du tout d’une mode passagère, mais qu’il existe bel et bien une solide base de clients, de fans qui ont intégré ce format, ont réappris à l’utiliser. Nous sommes donc fermement convaincus que l’intérêt pour le disque vinyle va rester important ; pour cette raison, nous nous efforçons de développer et de renforcer notre marque. Si la demande en disques augmente, les choses seront simples ; si elle n’augmente pas, nous devrons travailler pour renforcer notre part de marché. »
En attendant de voir ce qu’il en sera, les amateurs d’appareil et objets vintage, mais aussi les mélomanes exigeants peuvent prendre exemple sur Michal Štěrba, qui s’offre à l’occasion une soirée musicale de qualité sans sortir de chez lui. Il lui suffit pour cela de « poser le disque de [son] interprète favori sur le tourne-disque, [de se servir] un verre de vin et [de profiter] de ce moment de bien-être qui va avec l’écoute d’un disque… »
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