Haïti : la littérature pour exorciser la catastrophe

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Le 12 janvier dernier, l’île d’Haïti a connu un tremblement de terre terrible qui a fait de très nombreuses victimes. Toute la communauté internationale a été particulièrement touchée par la catastrophe et s’est mobilisée. La République tchèque aussi. Cette année, le festival « Afrique en création, nous sommes tous des Africains », qui s’est déroulé pendant toute la semaine dernière, a décidé d’inaugurer sa neuvième édition avec une soirée de bienfaisance au bénéfice des écrivains haïtiens. Evelyne Trouillot et Jean Durosier Desrivières sont ainsi venus faire découvrir au public tchèque leur culture et leur littérature.

Evelyne Trouillot et Jean Durosier Desrivières
Evelyne Trouillot : « C’est une littérature très vivante, premièrement au niveau quantitatif, il y a beaucoup d’œuvres qui sont publiées. La qualité varie mais il y a beaucoup de publications, il y a beaucoup de jeunes qui sont intéressés par l’écriture, beaucoup de gens.

Et même si autrefois, la littérature était écrite en français, aujourd’hui, la plupart des écrivains écrivent dans les deux langues. Au niveau de la qualité, la littérature haïtienne s’impose de plus en plus, aussi à l’extérieur du pays. En 2009, plusieurs écrivains ont reçu des prix. Mais c’est une littérature qui ne peut pas être réduite. On ne peut pas dire qu’elle a une seule thématique qui la définirait, ni un style d’écriture. C’est ça qui fait la force de la littérature haïtienne.

Nous avons des écrivains qui s’intéressent à l’exil, au départ du pays, d’autres dont toutes les histoires se passent à l’intérieur du pays. Il y a des écrivains qui écrivent des histoires relationnelles et il y a des œuvres à caractère social. Au niveau de l’écriture, c’est une littérature très moderne. Et la langue est une langue qui se crée aussi, parce que nous écrivons dans les deux langues, bien que l’écrivain haïtien ne mélange pas les deux langues. »

Le bilinguisme enrichît également l’une et l’autre langue d’écriture ?

« Bien sûr. Le créole est la langue maternelle, la langue nationale, la langue de tous les Haïtiens. Et c’est une des langues officielles, tout le monde parle créole. Et comme c’est une langue qui est écrite, qui a sa grammaire, sa syntaxe, ses règles, et qui est définie, c’est donc une langue que les écrivains utilisent de plus en plus comme langue d’écriture. Mais il y a aussi la langue française. C’était pendant longtemps la langue exclusive de la littérature. Donc les écrivains écrivent aussi en français. »

Pour revenir sur les thèmes de la littérature haïtienne, il semble que c’est tout de même une littérature traumatisée par l’exil ?

« Je parlerais plutôt de migration que d’exil. L’exil concerne surtout pendant la période de dictature, mais personnellement, mon livre ‘le bleu de l’île’ raconte l’histoire de ces gens qui sont presque forcés par la misère, par un avenir désespéré, à quitter le pays malgré eux pour aller vers la République dominicaine où leur avenir ne sera pas forcément meilleur mais on ne peut pas leur dire de ne pas partir parce qu’ils sont désespérés. Ce thème m’interpelle énormément. Mais il y a d’autres thèmes, comme la dictature, puisque nous avons vécu 30 ans de dictature avec Duvalier, père et fils. Les effets de la misère sur les gens, l’amour, les relations entre les gens dans cet univers, comment elles se développent, les rapports entre les différentes catégories sociales, ce sont les thèmes qui sont abordés par les écrivains haïtiens. »

Le 12 janvier dernier, Haiti a connu un tremblement de terre terrible. Cette catastrophe a dû vous toucher beaucoup, et personnellement et en tant qu’écrivain. Il semble logique que les écrivains vont en parler. Est-ce cela peut être une façon de panser les plaies, d’aider à reconstruire le pays, est-ce que la littérature sert aussi à cela ?

« Les conséquences de la littérature sont limitées mais je crois que la littérature peut aider à voir plus clair. Elle peut aider à faire une certaine lumière. Quand j’écris par exemple sur l’esclavage, c’est pour montrer qu’ils étaient des êtres humains aussi et que ce qu’ils vivaient était inacceptable. Ils ont pu garder leur dignité et un peu d’espoir et c’est pourquoi ils s’en sont sortis, avec la révolution de 1804 où St-Domingue est devenue Haïti.

Bien sur, l’écrivain se nourrit des catastrophes, mais avec beaucoup de douleur. On reçoit cette charge de détresse et c’est encore une blessure de la faire sortir autrement. Une journaliste m’avait demandé si le séisme allait me servir d’inspiration. Beaucoup écrivains, et moi compris, allons utiliser ce que nous avons vécu. Peut-être que cela aidera les gens qui l’ont vécu à dépasser ce traumatisme. C’est très dur. Pour moi c’était très dur même si j’ai la chance de ne pas avoir perdu de gens personnellement. Pour le pays, qui justement était arrivé à un stade, non pas où tout allait bien, mais nous étions tout de même sur une voie où l’on pouvait progresser. Mais ça nous a fait régresser. Mais je crois que la littérature, la peinture, la musique, vont s’en inspirer, et c’est normal. J’espère simplement que ça nous permettra de dépasser. »

Jean Durosier Desrivières est poète, écrivain et dramaturge. Il était également présent lors de cette soirée.

Jean Durosier Desrivières
« J’étais invité par ETC Caraïbes, dont la présidente est Danièle Vendée. Tout de suite après le séisme en Haïti, Danièle Vendée s’est souciée des auteurs haïtiens et elle a mobilisé tous les membres de l’association et ses sympathisants. Et lorsqu’elle m’a parlé de ce festival à Prague, ‘Afrique en création, nous sommes tous africains’, ça m’a beaucoup parlé.

De plus, je deviens de plus en plus attentif aux signes, je me suis dit que c’était une belle occasion, parce que je lisais Kundera. Ainsi, je connaissais déjà Prague dans un certain imaginaire, celui de Kundera, qui est devenu le mien dans la mesure où j’ai habité cet imaginaire. »

Kundera a beaucoup écrit sur l’exil…

« Et de l’émigration. J’avais déjà lu de Kundera L’insoutenable légèreté de l’être, La lenteur, L’identité, et l’œuvre qui me manquait était L’ignorance, qui forme une trilogie. Et toujours avec cette idée de signes, voila un livre qui était dans ma bibliothèque et que je n’avais jamais ouvert. Sachant que j’allais venir à Prague, je décide de lire Kundera. L’ignorance a été comme un choc. Ça parle de deux personnages en 1968, une femme qui émigre en France et l’autre protagoniste au Danemark. Les deux rêvent de retourner au pays. Il y a une sorte de mal du pays. Ça a été mon cas, celle nostalgie, ce désir après neuf ans hors du pays de vouloir retourner chez moi. J’ai donc trouvé une similitude.

L’autre chose que je découvre chez Kundera, même si l’idée était en moi aussi, est cette manière de définir la nostalgie, qui est le mal du pays mais qui est aussi une souffrance de l’ignorance. Il a fallu que je fasse cette expérience du retour, que je vive ce que j’ai vécu, pour qu’un élément de réponse me soit donné.

Pourquoi la nostalgie est une souffrance de l’ignorance ? Parce que lorsqu’on laisse son pays, Haïti, on rêve d’y retourner, mais aussi de retrouver le pays qu’on a laissé. On a une image d’un pays qui n’est plus – d’où l’utopie du retour. On rêve d’y retourner mais je ne sais pas ce que l’autre devient, ce que le pays devient. Il y a une ignorance. Et le mal que l’on a est en même temps un mal de l’ignorance. »

Pensez-vous que la littérature a le pouvoir d’exorciser le traumatisme qu’a connu le pays après le séisme du 12 janvier ?

« Tout à fait. Et la preuve la plus flagrante, est que l’on a bien vu, tout de suite après le séisme, qu’il y avait une manière d’orienter les informations, une manière de présenter Haïti, de dire qu’il n’y a que des pillages. C’est toujours la logique, lorsque l’on présente Haïti, de dire que les choses ne vont pas. Il a fallu que les écrivains prennent le devant de la scène pour dire qu’il n’y avait pas que cela, qu’on avait assisté à la solidarité des Haïtiens entre eux. Un exemple : qu’il y ait un élan de générosité, qu’on ait plus de 2 000 secouristes volontaires qui débarquent pour aider à sauver des vies, et qu’ils sauvent 168 âmes, c’est très bien. Mais que ce soit cela qui passe dans tous les journaux, dans tous les médias internationaux, ça devient ridicule par rapport à la population qui était solidaire, qui a sauvé plus de 10 000 personnes, avec des moyens précaires.

Donc en ce sens je pense que oui, la littérature peut faire quelque chose et peut aider à exorciser ce mal. »

Photos : Anne-Claire Veluire