Hamid Fouladvind : « Aragon a été un père spirituel pour moi »
Né en 1947 en Iran, le poète et traducteur Hamid Fouladvind est arrivé à l’âge de trois ans en France, qui est devenue sa deuxième patrie. Dans les années 1970, il a fait la connaissance de Louis Aragon. Devenu ami et témoin de la dernière étape de la vie du célèbre écrivain, Hamid Fouladvind a été invité par Aragon à collaborer avec lui à une révision de son œuvre poétique. Aragon a transformé sa vie, l’a encouragé à écrire et est devenu pour lui un père spirituel. Hamid Fouladvind a été également témoin de l’engagement politique d’Aragon qui n’a jamais accepté l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Armée soviétique. Aujourd’hui Hamid Fouladvind évoque cette étape inoubliable de sa vie au micro de Radio Prague.
« Vous avez posé la question et donné la réponse. Je suis un auteur métissé, comme on dit, par différentes cultures, celle de mes origines iraniennes, bien sûr, mais surtout la culture française parce que j’ai grandi essentiellement en France. Je me considère donc un peu comme un homme à double culture. Surtout, j’écris en français et ma langue maternelle est donc le français. Mais j’ai réappris ma langue par la suite quand je suis retourné chez moi pour voir mes parents. Mon père est un écrivain amoureux de la littérature française et il a publié à l’époque de nombreux livres surtout en persan mais aussi en français. Donc, nous avons vécu essentiellement à Paris et en Europe. »
Vous avez été un ami proche de Louis Aragon pendant la dernière étape de sa vie. Dans quelles circonstances cette amitié est-elle née ?
« Cela remonte aux années qui ont suivi la mort d’Elsa, en 1975 à peu près. C’était les huit ou neuf dernières années de la vie d’Aragon. Je l’ai rencontré à Saint-Germain-des-Près dans une galerie. Nous ne nous sommes pas directement fréquentés au départ. Puis je l’ai revu deux ans après, et il m’a invité chez lui. Je suis donc allé rue de Varennes dans le 17e arrondissement où il habitait à l’époque. Et c’est là qu’ont commencé une aventure et une amitié très profonde puisque je l’ai fréquenté au cours de ses dernières années, pratiquement jusqu’en 1982, le soir de Noël où il est décédé. »Dans quelle mesure avez-vous assisté à la création littéraire de la dernière période de la vie d’Aragon ? Le poète vous parlait-il de ses projets littéraires et de leurs réalisations ?
« La dernière période de la vie d’Aragon a été essentiellement consacrée à la remise en ordre de son œuvre poétique. Il travaillait sur tous les textes qui tournaient autour de la poésie, bien sûr, qu’il voulait publier en douze ou quatorze volumes, je crois, aux Editeurs français réunis. C’étaient les années d’introspection et de rétrospection de sa propre œuvre, et il fallait l’assister quand même dans ce travail qui était immense car il y avait beaucoup de documents à dater. C’était l’histoire en parallèle de son propre parcours, un travail de fourmi. Et puis, personnellement, j’ai travaillé avec lui sur plusieurs livres parce qu’on avait une passion commune - le livre d’artiste et la peinture. Tout ce qui reliait l’écrit et l’image était pour nous le sens même du dialogue permanent autour des peintres et des poètes. Nous avons donc publié ensemble plusieurs éditions à tirage limité. »
Que vous a donné l’amitié du grand poète et qu'avez-vous apporté dans la vie de Louis Aragon ?
« Aragon était pour moi plus qu’un père spirituel puisqu’il a transformé ma vie dans le sens où il m’a quand même encouragé à écrire, les premiers rapports que nous avons eus ayant été des échanges. Je lui ai montré les textes que j’écrivais. J’étais à peine sorti de l’université et j’avais 35 ou 36 ans. C’est à cette époque qu’il m’a encouragé à écrire. Je pense qu’il appréciait ma poésie, puisque le premier livre que j’ai publié avait une très belle préface d’Aragon. Ce livre s’appelait ‘Chants de la villa Médicis’ et il a été publié en 1978, si ma mémoire est bonne… »Aragon s’intéressait vivement à la situation en Tchécoslovaquie. Quelle a été sa réaction à l’invasion de la Tchécoslovaquie par les armées du Pacte de Varsovie en 1968 ?
« C’est de notoriété publique qu’Aragon a toujours dénoncé l’invasion. Vous savez qu’il était à la tête des ‘Lettres françaises’ à cette époque et il a beaucoup œuvré pour donner la parole aux intellectuels tchécoslovaques, pour dénoncer cette invasion. Il connaissait aussi pas mal de poètes tchèques comme Vítězslav Nezval et d’autres encore. »
Entre 1953 et 1972, Aragon a été directeur de la revue « Les Lettres françaises ». Après sa prise de position contre l’occupation de la Tchécoslovaquie en 1968, l’Union soviétique et d’autres pays socialistes ont cessé de souscrire à leurs abonnements et, faute de moyens, la revue a été supprimée. Pour Aragon, c’était une perte grave. Lui est-il arrivé de regretter d’avoir condamné l’occupation de la Tchécoslovaquie ?« Non, il n’a jamais regretté. Vous savez, quand on l’a connu de près, c’était quelqu’un de très attaché à ses opinions. Il défendait toujours ce qu’il croyait être juste pour lui. Même envers son parti, le Parti communiste, auquel il était attaché. Il a réussi à leur imposer, à les convaincre de ce ‘Biafra de l’esprit’ en Tchécoslovaquie. Vous vous souvenez de la formule. Même si le Parti communiste était un peu réservé, vu ses relations avec l’URSS, il a été obligé de tenir compte de l’opinion d’Aragon. Dans ‘Les Lettres françaises’ il a fait parler de nombreux intellectuels pragois… »
Récemment est sortie en France une biographie monumentale en deux tomes « Aragon, un destin français » rédigée par Pierre Juquin, homme qui a été avec Aragon membre du Comité central du Parti communiste français. N’êtes-vous pas tenté d’écrire, vous aussi, une biographie d’Aragon ?
« Ecoutez, mes prédécesseurs l’ont fait dix fois mieux. Je pense par exemple à Pierre Daix qui a fait une très belle biographie d’Aragon. C’est la seule qui semble au plus près de la carrière et de la vie privée d’Aragon, puisque Pierre Daix était aussi très ami avec Elsa Triolet. Vous me demandez si je voudrais écrire une biographie ? J’ai fait un livre récemment, il y a trois ans. C’est et ce n’est pas une sorte de biographie, parce que je parle d’Aragon en vers et en prose et je suis un petit peu son parcours biographique et bibliographique. Et c’est une œuvre qui est sortie discrètement chez un petit éditeur qui faisait une nouvelle collection. Elle s’intitule ‘Aragon, cet amour infini des mots’. »
Il n’y pas longtemps, vous avez visité Prague…
« J’étais enchanté parce que je ne connaissais pas Prague. J’ai vraiment été projeté dans un autre temps, dans un autre espace. J’ai découvert une ville magnifique grâce à notre amie Ladislava et son compagnon qui connaissent bien Prague. Peut-être n’ai-je pas tout visité, j’y retournerai certainement, mais ils m’ont fait découvrir des merveilles. J’ai beaucoup aimé non seulement l’architecture mais aussi la ville en elle-même, les gens, l’accueil, l’hospitalité. C’est une ville où la musique règne en despote, si j’ose dire, où on est animé par tous ces grands compositeurs que j’aime beaucoup et que je découvre. Vous savez, il n’y pas si longtemps, j’ai découvert Janáček. Je connaissais Antonín Dvořák par ses Danses slaves, etc. Mais la musique m’a guidé à travers Prague, du café Slavia où nous partions à pied dans les pas de Kafka, un grand promeneur. »
Cette visite vous a-t-elle donc donné envie de connaître un peu la culture et la littérature tchèques ?
« La langue est une barrière. J’aurais souhaité avoir des traductions. Enfin, je ne suis pas resté longtemps. Vous savez, en trois jours… »
Trois jours, ce n’est pas beaucoup...
« Je me suis donc promis d’y revenir. Mais en tout cas surtout à cause de la musique. Moi, j'écoute et j’aime beaucoup la musique, ça me donne de l’oxygène pour écrire. »