Hanna, psychologue ukrainienne à Brno : aider les autres pour s’aider soi-même
Vesna est la déesse du printemps dans la mythologie slave, mais aussi la plus ancienne association féminine de Brno, fondée en 1870. Depuis deux ans, Vesna est aussi un lieu d’accueil et de rencontre important en Moravie du Sud pour les familles ukrainiennes. Pour en savoir plus sur le passé et le présent de l’association, nous avons rencontré sa directrice Barbora Antonová et Hanna Mukha, une des réfugiées qui font aujourd’hui parti de l’équipe de Vesna et aident ses compatriotes à mieux s’intégrer en Tchéquie.
Hanna ne faisait pas partie des millions d’Ukrainiens qui ont fui leur pays dès le début de l’invasion russe. Avec ses deux filles, elle a quitté Mykolaïv, dans le sud de l’Ukraine, au printemps 2022, après avoir vécu pendant près de trois mois l’enfer de la guerre :
« A Mykolaïv, nous étions à dix kilomètres du territoire occupé et nous avions peur que la ville se retrouve elle aussi sous occupation russe. En tant que femme et mère de deux filles, j’étais de plus en plus inquiète. J’avais beaucoup d’amis à Kherson, je savais ce qui s’était passé là-bas. J’ai eu peur, alors nous sommes parties. »
« Nous nous sommes retrouvées à Brno un peu par hasard. Nous sommes venues en voiture, nous avons même emmené notre chien. Au bout de 20 heures de route, j’étais incapable de conduire. Quand j’ai vu que nous étions arrivées dans une grande ville, j’ai dit à mes filles : ‘je n’en peux plus, on reste là.’ »
« Vous savez, à Mykolaïv, qui était tout le temps sous les bombardements, nous ne savions plus si c’était le jour ou la nuit. Alors qu’ici, à Brno, tout était calme et nous nous sentions en sécurité. C’était le plus important. Dans un premier temps, nous étions hébergées dans une ancienne caserne. Nous étions plusieurs à vivre dans une seule pièce, avec notre chien en plus, ce qui n’était pas toujours facile. Mais nous étions très reconnaissantes. »
Tout comme des centaines d’autres familles ukrainiennes, Hanna et ses enfants ont pu bénéficier de l’aide humanitaire et psychologique de l’association Vesna, formée essentiellement par des bénévoles : celle-ci a par exemple lancé dès les premiers jours de la guerre, le projet caritatif Šatník (Garde-robe, en français), tout en se chargeant de l’hébergement des réfugiés et de la garde des enfants.
Aujourd’hui, Hanna fait partie de l’équipe de Vesna, où elle travaille comme institutrice au jardin d’enfants et met à profit ces compétences professionnelles, comme elle nous le raconte dans un tchèque quasi-parfait.
J’apprends le tchèque, pour m’exprimer comme une femme intelligente
« J’ai eu beaucoup de chance : quelques jours seulement après notre arrivée à Brno, j’ai pu commencer à fréquenter un cours de tchèque dispensé par l’Eglise évangélique, où une place venait de se libérer. Ensuite, j’ai suivi plusieurs autres cours, au centre d’intégration par exemple. Depuis six mois, je suis un cours individuel, que je paie moi-même. »
« Vous savez, au début, j’apprenais la langue par nécessité. A présent, j’ai un niveau suffisant pour me débrouiller dans la vie de tous les jours. Mais je continue à apprendre, parce que je veux m’exprimer mieux, comme une femme intelligente. Je suis motivée par mes collègues tchèques, ici à Vesna, qui sont adorables. Alors j’apprends, j’essaie de lire des livres et de regarder des films, pas très compliqués, des contes pour enfants par exemple. »
« Avant la guerre, je travaillais aussi dans une école maternelle en Ukraine. J’ai donc la chance de continuer à exercer ici le métier que j’aime. J’apporte aussi un soutien psychologique à mes compatriotes, aux parents, à tous ceux qui en ont besoin. Aussi, j’ai décidé de suivre une formation de psychothérapeute. Je me suis inscrite peu après mon arrivée en Tchéquie, en pensant que j’allais bientôt retourner en Ukraine et apporter une aide psychologique aux soldats. Il se trouve que je suis toujours à Brno… Mais je continue cette formation et j’espère être utile aux gens ici. En tout cas, cela m’aide, moi aussi. »
Ma fille est retournée en Ukraine, puis elle est revenue
Si Hanna a rapidement trouvé sa place à Brno, l’adaptation à la vie quotidienne dans un pays étranger a été plus compliquée pour ses filles, âgées aujourd’hui de 12 et 19 ans.
« Ma fille cadette va à l’école tchèque et trois fois par semaine, elle suit l’après-midi des cours à distance dispensés par son école en Ukraine. Parce que je ne sais toujours pas si on pourra y retourner ou non. Elle a donc beaucoup de travail, mais elle s’est déjà bien adaptée à la vie ici, même si la première année a été difficile. Tandis que ma fille aînée a mal supporté notre départ, elle en a beaucoup souffert. Elle a préféré retourner en Ukraine, mais au bout d’un an, elle est revenue en Tchéquie, parce qu’elle n’arrivait pas à vivre toute seule dans un pays en guerre. Depuis peu, ma fille est donc de retour. Elle ne parle pas encore tchèque, mais elle parle anglais et aura bientôt son diplôme universitaire en informatique, alors je pense qu’elle trouvera facilement du travail. »
Deux ans après l’invasion de son pays par la Russie, Hanna Mukha hésite toujours, entre rester ou rentrer :
« Notre immeuble à Mykolaïv a été endommagé. Dans notre appartement, il n’y a plus de fenêtres…. En fait, la situation est beaucoup plus facile pour les gens qui ont décidé de rester dans leur pays d’accueil ou alors pour ceux qui veulent absolument rentrer : la plupart d’entre eux l’ont d’ailleurs déjà fait. Le plus difficile, c’est quand on ne se sait pas trop quoi faire – et c’est précisément mon cas. »
Vesna, un lieu de rencontre et d’intégration
L’année dernière, la directrice de l’association Vesna, Barbora Antonová, a reçu pour ses activités en faveur des réfugiés ukrainiens, ainsi que d’autres personnes en difficultés, le Prix František Kriegel qui récompense le courage civique. Barbora nous fait visiter le bâtiment situé rue Údolní, au centre de Brno, que Vesna occupait déjà il y a plus de cent ans :
« Vesna a été fondée à la fin du XIXème siècle, à l’époque de l’émancipation nationale. A ses débuts, l’association s’est engagée dans le domaine de l’éducation : elle a notamment fondé, à Brno, qui était une ville germanophone, la première école pour les filles tchèques. Après la Première Guerre mondiale, Vesna gérait déjà 16 écoles pour filles, y compris une école d’infirmières. L’association collaborait avec de grandes personnalités de l’époque, comme le compositeur Leoš Janáček, l’architecte Dušan Jurkovič ou l’écrivaine Gabriela Preissová. »
Nous nous trouvons dans une pièce où il y a des meubles d’époque qui ont été créés justement par l’architecte Dušan Jurkovič…
« Oui, il a créé des séries de meubles pour les écoles Vesna, mais aujourd’hui il ne nous reste que quelques pièces. Elles appartiennent au musée de Brno. »
Un atelier de création textile, mais pas seulement
Barbora, où est-ce que nous allons maintenant ?
« Je vous emmène dans notre atelier de textile, un lieu accueillant destiné aux femmes qui veulent faire quelque chose de leurs mains. L’atelier est fréquenté par des Tchèques et des Ukrainiennes, mais aussi par des femmes d’autres nationalités installées à Brno et dans sa région. Quand les femmes travaillent ici, on entend parler tchèque, espagnol, anglais, français même… C’est un lieu très international. »
« Nous accueillons des femmes de tout âge, de petites filles comme des femmes plus âgées. Elles s’amusent à créer ensemble à partir des textiles que les gens nous amènent, comme des vieux vêtements ou des tissus. On essaye de fabriquer des jouets, des vêtements, des objets pour la maison… Tout ce que vous pouvez imaginer ! »
Quelle est l’histoire récente de l’association ?
« Vesna a été interdite sous les régimes nazi et communiste. Après la révolution de Velours, elle a relancé ses activités, mais celles-ci ont été de nouveau interrompues en 2018, car l’association a fait faillite. Nous avons pu les reprendre en février 2002, en apportant notre aide aux familles ukrainiennes. En fait, nous trouvons que les programmes développés pour les femmes ukrainiennes sont tellement intéressants que nous aimerions bien les mettre en place pour les Tchèques également. »
L’Etat tchèque ne profite pas du potentiel des Ukrainiens
Quels sont ces programmes mis en place pour les Ukrainiennes, à part l’atelier de couture ?
« Nous organisons beaucoup de cours et d’événements : nous enseignons le tchèque, l’anglais, nous proposons des cours d’informatique… Notre collègue Olga, qui a travaillé à Kyiv en tant qu’experte de communication, donne des cours aux femmes ukrainiennes qui veulent travailler ici dans l’industrie de la beauté par exemple. Il y aussi des cours sur la communication, sur les modèles culturels. La plupart des femmes qui viennent ici ont une excellente éducation et beaucoup d’expériences professionnelles, mais l’Etat tchèque n’utilise pas leur potentiel. Nous essayons de les aider dans leur recherche d’un emploi qui correspondrait à leur qualification. Et puis, évidemment, on continue à aider matériellement les Ukrainiens et leurs familles, parce que leurs revenus sont très faibles. »
« Nous avons de nombreux projets et ce gros travail ne serait pas possible sans l’enthousiasme et l’engagement de notre équipe qui fait vraiment vivre Vesna. »