Hedda Baier - Becher
La Becherovka, le classique des boissons alcoolisées tchèques. Cette spécialité de la Bohême de l'ouest, peut être servie en apéritif tout comme en digestif. On trouve ce liquide doré au reflet verdâtre presque dans tous les magasins de la République tchèque. Le goût et l'odeur sont assez spécifique : on aime ou on n'aime pas, « ça passe ou ça casse ». August Schaller, médecin de Karlovy Vary (Karlsbad) dans la première moitié du XXe, recommandait cette boisson aux patients souffrants de troubles digestifs et de manque d'appétit. Cette théorie est d'ailleurs soutenue par de nombreux médecins, même aujourd'hui. On l'appelle la treizième source de Karlovy Vary. Faisons un petit historique de la famille Becher, créatrice de la fameuse Becherovka, et surtout du dernier descendant ou plutôt descendante, Hedda Baier-Becher.
Le pharmacien Josef Vitus Becher commença la production de liqueurs à base d'herbes déjà en 1794. Onze ans plus tard, il logea dans sa maison le médecin personnel du comte Plettenberg Mietinger, l'Anglais Frobrig. Les deux hommes avaient beaucoup de points communs et devinrent bientôt de très bons amis. Avant son départ définitif le médecin Frobrig avait transmis à Josef Becher la formule de son Elixir de longue vie. Peu après le départ du médecin, le pharmacien se mit au travail. Il mélangea tous les ingrédients, suivant la formule et attendit le temps nécessaire pour obtenir des résultats. Il trouva le goût excellent et décida de commencer la production, avec une petite modification, de cette nouvelle découverte. J.V. Becher a testé la production pendant deux ans. Finalement, le produit a été présenté sur le marché sous l'insigne de Carlsbad English Bitter ou Original Karlsbader Becherbitter - l'Anglaise Amer de Karlovy Vary. Et ce fut d'ailleurs Josef Vitus Becher qui appela le liquide après la première dégustation, la treizième source de Karlovy Vary.
La forme aplatie de la bouteille, si familière de nos jours, n'apparait que trente ans plus tard. A cette période, la distillerie est gérée par Johann Becher, fils. C'est lui qui prend l'initiative de construire une nouvelle usine et de l'équiper d'un dispositif technique moderne. Le dernier héritier fut Alfred Becher. Il importait les herbes et les plantes médicinales nécessaires pour la production de la Becherovka de Madagascar, de l'Asie et de l'Afrique et un tiers provenait des environs de Karlovy Vary. Alfred Becher faisait le mélange lui-même, mais comme il souffrait d'asthme, il en apprit l'art à sa fille Hedda pour qu'elle puisse l'assister.
Hedda Baier - Becher, fille d'Alfred Becher, est née le 24 mars 1914 à Karlovy Vary. Après le décès de son père en 1940, elle se charge de la direction de la maison. Depuis la fondation de l'entreprise, c'est pour la première fois qu'une femme est à la tête de la distillerie. Ce n'est pas une période facile à vivre. La guerre limite les importations des herbes en provenance d'outre-mer, jusqu'à les supprimer. Hedda épouse son fiancé Baier qui part aussitôt à la guerre, pour en devenir une des multiples victimes. Le frère de Hedda a le même destin, il est tué au front en 1939. La fin de la guerre n'apporte qu'un bref réconfort. Quelques semaines de bonheur et l'argent, la réussite ne sont que poussière. La famille Becher est d'origine allemande et doit donc être expulsée du pays. Il en est de même pour les effectifs de la distillerie. Mais avant Hedda doit subir un interrogatoire serré. La police d'Etat veut la formule de production de la Becherovka. Hedda résiste de toutes ses forces mais finalement elle lâche. Le coffret contenant les bijoux de famille, l'arbre généalogique et la fameuse formule de production se trouve à quelques pas de la distillerie, dans la forêt. Hedda, sa mère et ses deux enfants sont obligés de quitter la Bohême. Le seul bagage autorisé est une valise de cinq kilos contenant des effets personnels. La famille Becher s'installe à Cologne. La jeune femme aimerait bien remettre en marche la production de la Becherovka pour sauver la tradition. D'ailleurs, la marque de la Becherovka est protégée auprès de la Cour Internationale de Berne. Hedda a la formule en tête sauf qu'elle ne connaît pas le procédé technologique, et il y a aussi ce sentiment d'insécurité, la crainte de ne pas réussir. Heureusement pour elle, un des ex-employés ayant travaillé dans la production de la distillerie vient la trouver pour lui dire qu'il connait le procédé technologique et lui propose de remettre sur pied l'usine. Plus d'entraves et on repart à zéro ! Hedda Becher ne peut pas s'empêcher de penser à son entreprise familiale perdue en Bohême. Et là, pendant ce temps... La distillerie est confisquée et gérée par l'état. Dans les années cinquante les dirigeants communistes veulent carrément fermer la boîte. Le directeur de l'époque, Vaclav Lupinek remue ciel et terre pour faire vivre l'entreprise. Et il y arrivera. La distillerie Becherovka a survécu au régime totalitaire, à la production parallèle de cette boisson en Allemagne et à la contrefaçon de la Becherovka produite en Slovaquie par l'entrepreneur tchèque Zdenek Hoffmann. Ce dernier prétendait que son père aurait reçu un acte de donation de la part d'Alfred Becher, lui remettant ainsi tous les droits de production, de conditionnement, ainsi que les droits à la vignette et à la capsule. Cette déclaration, l'acte même et la signature sont catégoriquement niés par une déclaration notariée de Hedda Becher.Hedda Baier-Becher est revenue au pays pour la première fois en 1981, avec sa fille et son beau-fils. L'émotion lui fit venir les larmes aux yeux.