Hockey – Mondial : le Canada sur une autre planète, la République tchèque sur la sienne

Photo: ČTK

La fête a été belle, très belle même, mais elle est finie. Organisé en République tchèque pour la première fois depuis onze ans, le championnat du monde de hockey sur glace, grande fête populaire, s’est achevé dimanche soir à Prague sur la victoire du Canada. Dans une finale à sens unique qui restera gravée dans les annales du jeu pour son score fleuve, les doubles champions olympiques en titre ont étrillé la Russie (6-1). Vainqueur de ses dix matchs disputés durant le tournoi, le Canada a logiquement décroché le vingt-cinquième titre de champions du monde de son histoire, son premier depuis 2007. Comme l’année dernière à l’issue du Mondial à Minsk, la République tchèque, elle, a terminé son Mondial au pied du podium. Incapable d’inscrire le moindre but lors de sa demi-finale perdue contre le Canada (0-2) samedi, puis lors du match pour la médaille de bronze contre les Etats-Unis dimanche (0-3), la Reprezentace doit se contenter de la quatrième place.

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La France a beau n’avoir sauvé sa place dans le groupe de l’élite mondiale et évité la dernière place de son groupe que lors des tirs au but de son dernier match contre la Lettonie, ses joueurs n’en resteront pas moins les auteurs d’une performance de choix : en ne s’inclinant que d’un petit but d’écart (3-4), les Bleus sont en effet l’équipe qui a réalisé le meilleur résultat contre le Canada lors de ce Mondial. Pour le reste, en inscrivant 66 buts en l’espace de dix rencontres pour seulement quinze encaissés, l’équipe à la feuille d’érable a tout écrasé sur son passage. A Prague, bien loin des stéréotypes désormais dépassés sur son hockey de bûcherons tout en force et en agressivité, le Canada, par l’excellence de son jeu, a rappelé à certains instants l’inarrêtable « machine rouge » de la grande époque soviétique. Ou pour ceux à qui le style made in URSS des années 1980 n’évoquerait aucun souvenir, le Canada dans sa version 2015 en République tchèque, c’était l’équivalent en version hockey du football total pratiqué par l’Ajax Amsterdam et les Pays-Bas une décennie encore plus tôt. Un régal pour les yeux et les amoureux du beau jeu.

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Dimanche soir, les « Russia, Russia ! » scandés par les milliers de supporters russes qui avaient fait leur la capitale tchèque pour l’occasion, n’ont pas résonné bien longtemps dans l’O2 Arena. La finale de rêve entre les deux plus grands rivaux que connaisse le hockey, a tourné au cauchemar pour la Sborna, dépossédée de son titre par les Nord-Américains. Dominés dès l’entame de match, menés au score à compter de la 19e minute, humiliés dans le deuxième tiers-temps puis finalement tournés en bourriques dans le troisième, les stars russes Alexander Ovetchkine, Ievgueni Malkine et leur partenaires ont plutôt mal vécu la chose. Passablement vexés et mauvais perdants, ils ont quitté la glace à l’issue du match sans même attendre l’hymne canadien, et ce contrairement à l’usage en hockey qui veut qu’au terme d’un match international, les deux équipes écoutent ensemble l’hymne du pays vainqueur.

Ce comportement n’a nullement gâché la fête dans le camp canadien, bien au contraire sans doute même. Avant de rejoindre un vestiaire qui serait bientôt chargé d’effluves de bière et de champagne, l’attaquant Sean Couturier, un des rares francophones du Team Canada, s’est arrêté devant la presse pour partager sa joie :

« C’est incroyable ! Avec l’équipe qu’on avait, on était confiants en arrivant ici, mais on savait aussi que ce serait un tournoi long et difficile. On est donc très heureux d’avoir rempli notre mission. »

Sidney Crosby,  photo: ČTK
Défait en finale par la même Russie en 2008 et 2009, et sevré de titre depuis huit ans, le Canada, qui a souvent considéré le championnat du monde comme une épreuve de seconde importance, avait fait cette année de la reconquête du trophée une priorité. Cet état d’esprit explique la présence en République tchèque de la plupart de ses meilleurs joueurs, Sidney Crosby dans le rôle de capitaine bien entendu en tête. A 27 ans, celui qui est considéré comme le meilleur hockeyeur du monde actuel est devenu le vingt-sixième joueur de l’histoire à intégrer le Triple Gold Club, un cercle très fermé qui regroupe les vainqueurs des trois trophées majeurs : la Coupe Stanley en NHL, le tournoi olympique et le championnat du monde. Auteur du troisième but de son équipe en finale dimanche, Sidney Crosby, bien que très mesuré dans ses propos, savourait, lui aussi, le moment présent :

« Vous ne disputez pas une finale en pensant que vous pouvez la gagner avec un tel écart au score, surtout contre la Russie. C’est un adversaire redoutable jusqu’au bout. Même quand vous avez deux ou trois buts d’avance, tout reste possible avec eux. Mais plus le temps passait et plus la fin du match approchait, plus nous avons réalisé que nous étions proches du but. Ce n’est pas souvent le cas et c’est plutôt sympa de pouvoir profiter de tels moments sur la glace. »

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A Prague, et malgré des play-offs en NHL disputés parallèlement au championnat du monde, les Canadiens ont une nouvelle démontré que, lorsqu’ils alignent ce qu’ils ont de mieux à disposition, quelle que la compétition, et un peu comme la Nouvelle-Zélande en rugby ou les Etats-Unis en basket, ils sont bien les maîtres du jeu, leurs deux titres olympiques de Vancouver et Sotchi en 2010 et 2014 confirmant la donne. Mais plus encore qu’un assemblage de stars de dernière minute, cette sélection canadienne a marqué le tournoi par la force collective qu’elle a dégagée durant un peu plus de deux semaines. C’est d’ailleurs ce qu’a également mis en avant Sean Couturier au moment d’expliquer la recette du succès :

« Je pense que c’est grâce à l’équipe qui a été mise en place, à commencer par l’entraîneur, avec de très bons systèmes. Tout le monde était impliqué et poussait dans la même direction. On avait tous le même objectif et personne n’a fait attention à ses statistiques personnelles. Ce qui comptait, c’était la victoire et je pense que c’est ce qui a fait la différence. »

Jaromír Jágr,  photo: ČTK
Cet esprit d’équipe, on ne peut pas leur reprocher, habitait également les joueurs tchèques. Mais après un quart de finale riche en émotions quelques jours plus tôt contre la Finlande, Jaromír Jágr et ses partenaires sont restés muets lors de leurs deux derniers matchs. En n’inscrivant pas le moindre but lors de la demi-finale contre le Canada et le du match de consolation contre les Etats-Unis, la Reprezentace, malgré le soutien d’un public exemplaire jusqu’au bout, pouvait difficilement espérer mieux que cette quatrième place finale, un classement qui correspond à son potentiel de ces dernières années, plus limité en qualité et en quantité que celui des autres grandes nations du hockey mondial.

Jaromír Jágr,  photo: ČTK
Comme lors du dernier Mondial en 2014 en Biélorussie, comme lors du championnat 2013, comme lors des JO de Sotchi, la République tchèque termine une grande compétition sans médaille. Plus inquiétant encore, sur les dix-huit derniers matchs disputés contre les six autres équipes appartenant à l’élite mondiale (Canada, Russie, Etats-Unis, Finlande, Suède et Suisse) dans le cadre d’un Mondial ou du tournoi olympique, elle ne s’est imposée qu’à trois reprises… Les raisons de ces échecs répétés sont multiples.

A l’heure du bilan, mieux vaut donc retenir que ce Mondial tchèque, qui a établi un nouveau record d’affluence avec plus de 741 000 spectateurs, a été une immense fête réussie à tous points de vue. Ou encore que Jaromír Jágr, qui a annoncé sa retraite définitive en équipe nationale à l’issue de la défaite contre les Américains, a finalement été élu MVP (meilleur joueur) du tournoi. Oui, même sans médaille, on s’est bien amusé à Prague et à Ostrava pendant deux semaines…