Holešovice, ou les réminiscences de l’ère industrielle
Le 25 novembre dernier, 130 ans se sont écoulés depuis le ralliement de Holešovice et de Bubny à la ville de Prague. A l’époque, ces deux quartiers étaient encore des villages indépendants, mais en 1884, Holešovice et Bubny avaient été les les premières communes à être ralliées à la capitale sans avoir l’appellation de "ville". A l’occasion de cet anniversaire, le Musée de la ville de Prague organise une exposition intitulée « Holešovice-Bubny / Dans l’étreinte de la Vltava », qui restera ouverte au public jusqu’au 19 avril 2015. Même si le nom du village de Bubny a disparu en 1960, après avoir adopté préalablement en 1850 le nom de la commune de Holešovice, découvrons dans cette rubrique ces deux quartiers historiques et leurs proches alentours.
« C’est une histoire pleine de couleurs. A l’origine, Holešovice-Bubny étaient deux hameaux de pêcheurs sur les bords de la Vltava. Entre les deux, il y avait des pâturages et des champs, où paissaient des moutons, d’où notamment le nom de la rue Na ovčinách (Sur la bergerie en français) par où on faisait passer les troupeaux, de même que la rue U Průhonu (A la draille) qui désigne un chemin de transhumance. La transformation en banlieue industrielle n’a commencé que vers la seconde moitié du XIXe siècle. La construction de la voie ferrée, qui a facilité le transport du charbon, mais aussi l’existence d’un port, grâce auquel Prague était reliée à Hambourg, ont été d’une grande importance pour le développement de Holešovice. »
La Révolution industrielle du XIXe siècle va profondément toucher ce quartier pragois. Jan Jungmann décrit l’aspect de Holešovice-Bubny à cette époque-là :
« L’industrialisation est faite de façon éclair. De petites usines ainsi que des entreprises plus grandes y ont vu le jour, que ce soit des usines de constructions mécaniques ou des fonderies. Peu de gens savent, par exemple, que le très talentueux fondeur et sculpteur, František Anýž, avait lui aussi son atelier dans le quartier de Holešovice. Des entreprises d’importance pour la capitale y étaient basées, telles qu’abattoir, une usine à gaz, la brasserie de Holešovice, et bien d’autres encore. »Point de repère du quartier, l’église qui se tient sur la place Strossmayerovo náměstí est dédiée à saint Antoine de Padoue, le patron des enfants, des femmes, des pauvres et des personnes âgées. Même si, le soir venu, Strossmayerovo náměstí, ou tout simplement le « Stros » comme l’appellent familièrement les Pragois, est quelque peu déserté, cela n’enlève rien à son charme de carrefour réunissant Holešovice et Letná, deux quartiers du septième arrondissement. Sur le « Stros », appelé ainsi en hommage à l’évêque catholique et parlementaire croate, Josip Juraj Strossmayer, l’église Saint-Antoine vaut le détour. Œuvre de l’architecte František Mikš, il s’agit de l’une des dernières constructions de style néo-gothique à Prague. Inaugurée il y a cent ans exactement à l’époque où fleurissait l’Art nouveau, l’église Saint-Antoine a donné un souffle nouveau au quartier. Historien, Richard Biegel nous en dévoile davantage à propos de cette église :
« C’est ici que se termine le grand boulevard, celui qui mène jusqu'au quartier de Letná. Je crois que l’église a donné à ce lieu un caractère de grande ville. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle est une sorte de miniature de la cathédrale de Saint-Guy située au château de Prague, elle-même réalisée par František Mikš, en collaboration avec un autre architecte, Josef Mocker. C’est donc l’un des derniers ouvrages du XIXe siècle, qui a donné à ce quartier relativement jeune une impression d’ancienneté. »A quelques mètres de l’église Saint-Antoine, se trouve un bâtiment de petite taille de style néo-renaissance. Construit en 1904, il a servi de bains publics jusque dans les années 1980. Jan Jugmann précise quel était le rôle de ces bains :
« Chaque arrondissement de de Prague avait des bains publics. Au début du XXe les salles de bain privées étaient un luxe que tous les propriétaires ne pouvaient pas se permettre. Les gens allaient se baigner dans la Vltava et, parfois, allaient se savonner dans les bains publics. »
Situé entre les rues Argentinská, Jateční, Komunardů et le quai Bubenský nábřeží, le marché de Prague (Pražská tržnice), appelé aussi le marché de Holešovice (Holešovická tržnice), a été construit en 1895 et servi d’abattoir jusqu’en 1983. A cette date, les vingt halls que compte l’imposant bâtiment ont été transformés en marché et petits magasins. En 1993, ce complexe a été classé monument culturel.
A l’heure actuelle, cet espace de plusieurs centaines de mètres carrés compte toujours divers boutiques, ainsi que des restaurants un marché de fruits et de légumes les matins. Depuis début novembre, un centre d’art a investi deux halls du marché, offrant ainsi un lieu exceptionnel aux arts alternatifs et par ailleurs au cirque contemporain. Le centre a été baptisé Jatka 78, « jatka » signifiant abattoir en tchèque (www.jatka78.cz/en/). Ce centre accueille différentes troupes tchèques et même des créations internationales.Malgré ses joyaux d’architecture néo-Renaissance, le septième arrondissement de Prague ne cesse de se transformer. Les habitants de la rue Veletržní, une des principales artères du quartier, ont récemment vu s’ouvrir une fosse gigantesque, où un centre commercial doit prochainement voir le jour. Les travaux n’ont pas encore débuté. Cela n’empêche pas à Zuzana Strnadová, directrice du Musée de la ville de Prague et habitante du septième arrondissement, d’émettre cette objection :
« Ce projet me gêne sincèrement, et ce d’autant plus que Prague 7 est à l’heure actuelle un lieu où les relations de voisinage ont leur importance. Il existe par exemple un grand nombre de petits commerces, où les gens se connaissent et aiment aller. Ce centre commercial me préoccupe car il risque d’altérer ce caractère unique du quartier. Le petit quartier pragois pourrait être voué à disparaître. »
L’historien Jan Jungmann rappele quelles ont été par le passé les composantes de la vie de Holešovice-Bubny :
« La caractéristique principale de Holešovice-Bubny était sa grande diversité des lieux. Letná et les environs de l’avenue Dukelských hrdinů, avec ses superbes bâtiments, étaient habités par des gens plus aisés. A l’est de cette avenue, le quartier était en majorité ouvrier, plus pauvre. La vie de tous les joursétait également été très variée. On se baignait le long des quais de Holešovice, certains allaient même se baigner sur l’île de Štvanice, où plusieurs piscines flottantes étaient ancrées. Il y avait un grand nombre de restaurants, de cafés, de bars, avec leur atmosphère propre. On y jouait du théâtre. Des représentations avaient notamment lieu au théâtre Uranie, situé dans le jardin de la brasserie de Holešovice, et ce depuis sa création en 1902 jusqu’en 1946, date à laquelle le théâtre a disparu dans les flammes. Il était très apprécié du public et avait une influence considérable sur toute la scène artistique de la capitale. »
Aujourd’hui, le nombre de cafés et lieux de rencontre a considérablement baissé. La célèbre brasserie U Procházků a été remplacée par une droguerie, et le bistrot U Sojků par une banque. Jan Jungmann poursuit :« C’étaient des foyers de vie sociale. Un des plus grands lieux de rencontre était ce restaurant qui se trouve dans un jardin (zahradni restaurace) près du théâtre Uranie. Ce dernier avait été soutenu par le propriétaire de la brasserie de Holešovice, qui était un grand amateur de théâtre. On y avait également transporté un toboggan du Parc des expositions (Výstaviště), les visiteurs se divertissaient beaucoup. »
Construit en 1891, le Parc des expositions en question accueille chaque année des fêtes foraines, des expositions internationales et divers évènements culturels, mais doit subir dans les cinq ans à venir une profonde rénovation ; en 2008, l’aile gauche a complètement été détruite par un incendie.
Le quartier de Holešovice peut se prévaloir enfin du Palais des foires (Veletržní palác), qui abrite une grande partie de la collection d’œuvres d’art de la Galerie nationale. Mais le joyau le plus précieux reste peut-être bel et bien le parc de Stromovka, officiellement appelée Královská obora, « La réserve de chasse royale », et qui s’étale sur une surface de 89 hectares. Néanmoins, Jan Jungmann conclut par le fait que tous les lieux du quartier n’ont pas été préservés :
« Malheureusement, la zone appelée Zátory n’a pas été conservée. D’après mon avis, elle a été détruite de façon complètement barbare à la fin des années 1970. A sa place, a été construite la gare de Prague-Holešovice, mais je crois qu’une importante partie de ce quartier a été détruite de façon complètement inutile. A l’heure actuelle, nous pouvons toujours y voir des parcelles abandonnées et embroussaillées. Ce qui a beaucoup changé après 1990, fût également le méandre de Holešovice, où la majorité des usines industrielles ont disparu. Les lieux d’autres usines sont passés par une reconversion : ils ont été aménagés en salles d’exposition, en bureaux et même en appartements. La brasserie de Holešovice a elle aussi été réaménagée. D’une manière générale, on peut dire que l’ère industrielle est toujours profondément ancrée dans le caractère du quartier de Holešovice. »Si le quartier de Holešovice reste toutefois un lieu où on ne voit déambuler que très rarement les touristes, il reste un quartier magique, dont les lieux méritent une attention encore plus minutieuse.