Hommage au « passant de Prague »

Guillaume Apollinaire
0:00
/
0:00

En 1902, Wilhelm Apolinary de Kostrowicki plus connu sous le nom de Guillaume Apollinaire se rendait à Prague, voyage qu’il immortalisa dans un conte fantastique publié dans son recueil de 1910 « L’Hérésiarque et Cie ». C’est à l’occasion d’une toute nouvelle traduction en tchèque de son poème « Zone » que se déroulait, lundi 12 décembre, à l’Institut Français de Prague une soirée-conférence consacrée au célèbre poète français.

« Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure »,

Guillaume Apollinaire
mais de Guillaume Apollinaire, c’est avant tout l’influence sur les générations de poètes postérieures qui reste. Les œuvres résolument modernes de l’écrivain français, principalement actif entre 1900 et 1918, ont ainsi beaucoup influencé les jeunes poètes tchèques du début du XXe siècle.

Par ailleurs la Bohême de l’époque n’était pas inconnue à Apollinaire qui y avait fait un voyage en 1902, Prague l’ayant beaucoup marqué. Ce voyage aboutira d’ailleurs au « Passant de Prague », conte fantastique issu de son Recueil « L’Hérésiarque et Cie », sorte de plongée fantasmagorique dans l’histoire culturelle tchèque à travers la figure légendaire du Juif errant.

C’est donc sous forme d’hommage au poète que s’est déroulée une soirée conférence consacrée à Apollinaire lundi soir à l’Institut Français de Prague, à l’occasion d’une nouvelle traduction en tchèque de son poème « Zone » et de l’inauguration d’un buste dans le centre-ville.

Etaient présentes madame Claude Debon, professeur à l’université de la Sorbonne à Paris et doyenne de la société des Apollinariens de France, Aleš Pohorský, professeur d’études romanes à l’université Charles de Prague et spécialiste du poète et Claude Weisz, cinéaste, et réalisateur d’un film sur la vie d’Apollinaire intitulé « La Chanson du Mal-Aimé » (1980), projeté à l’issue de la soirée.

Mais quels sont les liens si forts qui existent entre la République tchèque et le poète, réponse avec le professeur Aleš Pohorský :

« Comme je l’ai dit, Apollinaire est venu en 1902. Il a été traduit très tôt, et très vite, par les poètes qui se rangeaient encore du côté de la génération symboliste et décadente, car vous savez que les anciens décadents sont devenus les premiers avant-gardistes. Evidemment, c’est aussi grâce à la francophilie si intense autour de 1900 jusqu’à la première guerre mondiale. Et bien sûr, chose sans doute la plus importante : la traduction rapide et quasi immédiate par Karel Čapek de ce poème qui a tant marqué toute notre poésie, tellement que le mot ‘zone’, en tchèque ‘pásmo’, est devenu une forme littéraire à part entière. »

L’œuvre de Guillaume Apollinaire a donc dès le début été accueillie à bras ouverts par les hommes de lettres tchèque. A partir de cette période les traductions, nombreuses, se sont enchaînées. Aleš Pohorský :

« Il y a des tas de traductions. Les toutes premières traductions ont été faites par Procházka. Et par la suite, après la traduction de Čapek, il y a d’autres traductions faites par Seifert, Nezval, Konstantin Biebl et d’autres traducteurs. Ceci sans interruption quasiment jusqu’à la deuxième guerre mondiale, et même au-delà, car souvent les anciens avant-gardistes sont revenus après une période difficile au début des années 5190. Ils reviennent à ce souvenir, à cette réminiscence de la proximité entre Paris et Prague, entre l’avant-garde française et l’avant-garde tchèque. Mais ceci passe aussi par les années 1970, par exemple avec la traduction de Karel Sís, toujours pour ‘Zone’, ensuite la traduction de Petr Kopta qui a été une excellente traduction, malheureusement un peu oubliée, et publiée pour la première fois en 1978, l’année qui suivait la signature par Kopta de la Charte 77, un geste courageux. Par la suite, il y a eu la toute dernière traduction : celle de Petr Skarlant qui est sans doute, je l’espère, une des meilleures. »

Par ailleurs la poésie tchèque de la première moitié du XXe siècle était très active et est largement reconnue aujourd’hui avec des artistes tels que Seifert ou Nezval. Celle-ci a subi une très forte influence de la part de l’œuvre apollinarienne :

« Ce qu’il faut souligner c’est que cela était tellement bienvenu et tellement à propos, publié dans un moment tellement privilégié, que ‘Zone’ a fait ses petits, en quelque sorte ses enfants. On peut évoquer ‘L’Acrobate’ ou les poésies de Závada par exemple. Tous ces ‘Zones’ tchèques qui sont parus notamment au cours des années 1920. »

Le poète « mal aimé » aura donc marqué son empreinte dans l’histoire de la poésie tchèque, inaugurant la modernité poétique et ouvrant la voie aux générations d’avant-garde. L’ombre de Laquedem, le Juif errant d’Apollinaire, passant de Prague, plane encore sur la capitale tchèque.