"Il est très difficile de mener une politique d’austérité budgétaire et de relancer l’économie."

Martin Janičko, photo: ČT24

Doctorant en économie à Prague, Martin Janíčko est spécialisé dans les secteurs de la macroéconomie, de l’économie industrielle et de l’innovation financière. Au micro de Radio Prague, il donne une analyse de la situation difficile dans laquelle se trouve l’économie tchèque, en récession depuis fin 2011, confrontée à un niveau de chômage sans précédent et évoque l’échec de la politique d’austérité de la coalition gouvernementale de Petr Nečas.

Martin Janíčko,  photo: ČT24
L’économie tchèque est en récession depuis le dernier trimestre 2011, la plus longue récession depuis 1997. Le PIB s’est contracté de 1,2% en 2012 par rapport à l’année précédente. Qu’est-ce qui selon vous explique cette crise ?

« Il y a plusieurs raison derrière cette crise. C’est surtout la consommation domestique qui est morose. Il y a ensuite les contraintes budgétaires qui sont partout et notamment dans l’investissement public, dans la consommation publique en général, et cela pèse sur le transfert public vers les ménages. Après, il y a les exportations qui vont mieux. Ce n’est pas énorme mais c’est mieux que le reste. Enfin, le chômage pèse sur la consommation domestique et pèse aussi sur les investissements. Dans l’économie moderne, tout est lié et les investissements privés sont aussi très moroses à cause de l’incertitude qui règne et qui ne permet pas d’envisager précisément ces investissements. Parmi les nombreuses raisons qui expliquent cette crise, je pense que les trois que j’ai mentionnées sont les plus importantes. »

Vous avez évoqué la question de la baisse de la consommation intérieure. Des chiffres ont récemment été publiés et témoignent d’une baisse du salaire réel des Tchèques, peut-être lié à la hausse de la TVA décidée par le gouvernement de Petr Nečas. Son cabinet n’a pas l’air de lutter contre la chute du pouvoir d’achat ?

« Il n’a pas beaucoup de moyens pour lutter contre cela. Car le gouvernement de Petr Nečas suit le chemin de l’austérité budgétaire. Il veut également diminuer les salaires dans la fonction publique ce qui pèse aussi sur la consommation domestique. Pour les salaires dans le secteur privé, comme vous l’avez dit, la hausse de la TVA a un impact important. Il y aussi des augmentations d’impôts, notamment en ce qui concerne la progressivité de l’imposition qui a également un impact sur la consommation au bout du compte. Le problème du gouvernement, c’est le manque de moyens. Il est très difficile de mener une politique d’austérité budgétaire et de relancer l’économie. »

Photo: Barbora Kmentová
Justement, on peut se poser des questions sur cette politique d’austérité menée par le gouvernement qui a pour effet de contracter l’économie. D’autant plus que la dette publique en République tchèque est plus faible que dans la plupart des pays européens. Alors quel est l’enjeu de cette politique d’austérité en République tchèque ?

« Le problème est que quand on suit le chemin de l’austérité, on peut réussir si l’économie est également relancée, si les gens sont confiants dans l’avenir, s’ils consomment, etc. Mais dans les conditions qui prévalent actuellement, ce n’est pas possible car l’économie va très mal. La hausse des impôts est aussi un problème. Vous savez, la TVA est la taxe la plus injuste parce que c’est une imposition linéaire qui touche tout le monde. Il serait peut-être mieux que les riches paient leur part plutôt que soumettre tout le monde à cette hausse de la TVA. Cela pèse énormément sur la consommation, on le sait très bien. On pourrait aussi réussir avec l’austérité budgétaire mais il nous faut une relance économique. Sans relance économique, ce n’est pas possible. C’est un calcul keynésien très simple qui n’est apparemment pas compris par notre gouvernement. C’est un peu dommage. Nous sommes un des pays les plus ‘austères’ en Europe centrale et occidentale et cela ne nous aide pas.

C’est vraiment difficile. Il faut améliorer le recouvrement d’impôt, c’est certain et cela n’a pas été fait par notre gouvernement. Le recouvrement d’impôt en République tchèque est vraiment mauvais, il faut l’améliorer. Il faudrait également lutter contre l’évasion fiscale qui est assez importante chez nous. Il faut ensuite trouver les moyens de relancer l’économie par des investissements dans l’innovation, dans les infrastructures et dans les secteurs qui ont des effets multiplicateurs importants et qui peuvent aider notre économie dans son ensemble. »

Photo: Klára Stejskalová / ČRo
Concernant l’austérité, en début année, Olivier Blanchard et Daniel Leigh, deux économistes du Fonds monétaire internationale (FMI), ont admis une erreur sous-estimant l’impact négatif des politiques d’austérité que cette institution prône pourtant partout en Europe et notamment en Grèce avec des résultats très discutables. Pourquoi alors en Europe les gouvernements s’acharnent-ils à mener ces politiques d’austérité ?

« A propos d’Olivier Blanchard, je suis bien d’accord avec lui. Il se trouve qu’on a largement sous-estimé les effets multiplicateurs parce qu’on pensait que ceux-ci étaient moins importants qu’auparavant et notamment dans les années 1960, 1970. Maintenant, on sait que les multiplicateurs keynésiens sont plus importants que prévu et c’est pourquoi nous avons sous-estimé les effets de l’austérité.

Pour revenir à votre question, les gouvernements s’acharnent avec ces politiques d’austérité parce qu’ils ont peur des marchés financiers. C’est aussi un peu malheureux à notre époque car ces marchés nous disent ce que l’on doit faire et ne pas faire. Il y a là un manque de légitimité parce que les marchés financiers n’ont été élus par personne. Cela s’explique aussi du fait de l’Union européenne qui impose aux Etats de mener ces politiques d’austérité. Il y a au moins deux choses derrière cela. Tout d’abord on peut dire que la majorité des gouvernements en Europe sont de droite. Cela signifie que c’est une philosophie libérale de mener les politiques d’austérité. Il s’agit de diminuer le rôle de l’Etat jugé trop important et non légitime. C’est aussi pour cela que c’est la politique poursuivie par le gouvernement de Petr Nečas qui est lui-même de droite. »

En République tchèque, le chômage augmente également significativement. Il a atteint officiellement 8,3% en février et on a l’impression que ce gouvernement n’a pas véritablement de politique en faveur de l’emploi ?

« Oui, cela est lié à la baisse de la consommation. Maintenant, les moyens de lutter contre le chômage sont presque anéantis parce que la politique ‘proactive’, comme on l’appelle ici, ne peut être menée faute de financements. Il faut s’appuyer sur une relance de la consommation des ménages. Par ailleurs, il n’y a pas de moyens de lutter contre le chômage chez nous car il n’y a pas d’argent disponible. C’est toujours difficile de lutter contre le chômage si on est très limité au niveau budgétaire et aussi au niveau idéologique. »

Photo: Archives de Radio Prague
Est-ce que vous pensez qu’il y a un projet alternatif en République tchèque, mené peut-être par l’opposition sociale-démocrate ou par un autre parti, à cette politique d’austérité ?

« Il y a un projet derrière oui, mais c’est la même chose pour les sociaux-démocrates. Avec le budget et la dette tels qu’ils sont aujourd’hui, on sera très limité. Les sociaux-démocrates veulent certainement dépenser plus, investir plus que le gouvernement actuellement en place. Mais cela ne changera pas grand-chose. Comme la République tchèque est une petite économie ouverte, nous sommes très dépendants de la consommation partout en Europe et même ailleurs. Donc il est vraiment difficile dans le contexte actuel de mener notre propre politique qui nous sauverait de la récession. Je pense néanmoins qu’il faut trouver les moyens de relancer l’investissement, c’est essentiel, et de trouver peut-être des emplois pour les plus vulnérables. »