Il y a 30 ans décédait Gustáv Husák, le « président de l’oubli »
Ce jeudi, trente ans se sont écoulés depuis la mort du dernier président communiste de Tchécoslovaquie, Gustáv Husák. Cet homme plein de contradictions reste surtout le symbole de l’époque de « normalisation » qui a suivi l’écrasement du Printemps de Prague en 1968.
Brillant orateur et intellectuel cultivé, résistant au nazisme puis prisonnier politique à l’époque des purges staliniennes, homme politique ayant mis son talent au service du Parti communiste qui l’a exclu trois fois de ses rangs, l’ancien président Gustáv Husák est mort dans l’oubli le 18 novembre 1991, à l’âge de 78 ans, dans un hôpital de Bratislava, deux ans après avoir été évincé du pouvoir par la révolution de Velours.
Dans les années 1980, au crépuscule de sa longue carrière politique, Gustáv Husák était un vieux monsieur qui, abrité derrière de grosses lunettes, répétait chaque Nouvel An, sur la première des deux chaînes de télévision, le même discours dans un mélange étrange de tchèque et de slovaque. Qualifié de « président de l’oubli » par l’écrivain Milan Kundera, Gustáv Husák avait effectivement pour mission de faire oublier à ses compatriotes l’espoir suscité par le Printemps de Prague. Mais il serait faux de réduire la carrière politique de Husák à sa longue présidence de la République qu’il a assurée entre 1975 et 1989.
Né en janvier 1913 dans une famille modeste à Dúbravka, commune intégrée à présent à la capitale slovaque, Gustáv Husák a réussi, dès sa jeunesse, à grimper dans l’échelle sociale et politique. Diplômé en droit à Bratislava, il adhère au PC slovaque à l’âge de vingt ans. Pendant la guerre, il s’engage dans la résistance, ce qui lui vaut plusieurs séjours en prison, et devient l’une des principales figures du soulèvement national slovaque contre le nazisme. Convaincu toute sa vie de la nécessité du « rôle dirigeant du Parti communiste »,
Husák participe à l’établissement du monopole du parti dans le pays après la Libération et devient de facto chef du gouvernement slovaque. Symbole du Slovaque moyen qui a réussi dans la vie et assez populaire auprès de ses compatriotes, Gustáv Husák est toutefois arrêté en 1951, accusé « par les siens » de « nationalisme bourgeois » et condamné à perpétuité dans un procès politique de 1954. Il quittera finalement la prison en 1960. L’historien Michal Macháček, auteur d’une biographie de Gustáv Husák parue en 2018 dit à ce propos :
« Ce qui est assez étonnant, c’est sa ténacité qui lui a sans doute permis de survivre. Il a passé neuf ans en prison, où ses camarades communistes ont fait des choses terribles aux détenus. Husák était l’une des rares personnes à ne pas avoir avoué. (…) Même lors du procès truqué, il a tenu bon et a dit ce qu'il pensait. Ce qui est assez également assez unique, c’est qu’il s’est maintenu dans la haute politique depuis les années 1930 jusqu’aux années 1980, même en étant exclu de son parti à trois reprises. »
Lors du Printemps de Prague de 1968, Husák se comporte d'abord comme un partisan du courant réformiste au sein du Parti communiste et soutient le Premier secrétaire Alexander Dubček, symbole de la politique du socialisme « à visage humain ». En avril 1968, Gustáv Husák devient même vice-Premier ministre et participe au processus de fédéralisation de la Tchécoslovaquie.
Coup de théâtre après l'invasion du pays par les troupes du pacte de Varsovie : Gustav Husák saisit l’occasion de se montrer utile à Moscou. Mélangeant courage et opportunisme, il réussit à convaincre les chefs du Kremlin que c’est lui qui sera le meilleur « normalisateur » de la Tchécoslovaquie récalcitrante.
En avril 1969, Husák remplace Dubček au poste de chef du Parti communiste de Tchécoslovaquie et dès 1975 il cumule les postes de Secrétaire général du parti et de Président de la République. Artisan de la « normalisation » politique dans le pays, qui a impliqué des persécutions, des arrestations et la censure, Husák a essayé d’effacer, d’une certaine manière, le vestige du Printemps de Prague même après la chute du régime communiste en 1989, comme l’explique Michal Macháček :
« Gustáv Husák a démissionné le 10 décembre 1989. Ce n’est pas anodin. Cette date qui marque la Journée des droits de l’homme a été choisie par Vaclav Havel, en tant que leader de l’opposition. (…) En tant que président, il a encore nommé un nouveau gouvernement. Puisque celui-ci a été dirigé par le Slovaque Marián Čalfa, il a été clair que le futur président allait être un Tchèque. Du coup, ce ne pouvait pas être Alexander Dubček. Par ailleurs, les témoins de l’époque ont raconté que Husák s’opposait fermement à la potentielle candidature de Dubček au poste de président de la Tchécoslovaquie, ce Dubček qui était son grand critique dans les années 1950 et 1970. Les deux hommes politiques ont collaboré de manière pragmatique en 1968, mais après l’occupation soviétique, Husák et les autorités de Moscou ont tout fait pour que Dubcek quitte la haute politique. »
La mort de Gustáv Husák en 1991 n’a fait l’objet que d’une brève dans les informations de la radio publique tchécoslovaque.