Gustáv Husák, la vie et l’œuvre du président « normalisateur »
Jeune radical, résistant pragmatique, prisonnier politique, président autoritaire – c’est par ces quatre étapes que nous pourrions résumer la biographie et la carrière politique de Gustáv Husák. Cet homme parvenu au sommet du pouvoir dans son pays, reste pour beaucoup surtout le représentant du régime totalitaire, et une personnification du mal. La grande monographie de Gustáv Husák qui vient de sortir aux éditions Vyšehrad propose cependant un portrait beaucoup plus complexe et nuancé de cet homme qui a laissé une trace profonde dans l’histoire tchécoslovaque de la seconde moitié du XXe siècle.
Un communiste convaincu trois fois expulsé de son parti
L’auteur de la monographie est un historien qui fait partie de la génération que nous appelons aujourd’hui « les enfants de Husák ». Né en 1986, Michal Macháček a vu le jour dans une Tchécoslovaquie occupée par l’armée soviétique, à l'époque qui entrera dans l’histoire comme la période de la normalisation, période où Gustáv Husák est d’abord secrétaire général du Parti communiste puis aussi président de la République. Et c’est la vie et la carrière de Gustáv Husák qui deviendront plus tard aussi l’objet des recherches du jeune historien :« Dès le début, j’ai été intrigué par l’histoire de cette vie qui était très dramatique. Qui d’autre s’est fait trois fois expulser du Parti communiste tout en restant fidèle au parti et à l’idéologie communiste ? Qui d’autre est né dans des conditions extrêmement modestes en Slovaquie et a fini son itinéraire au Château des rois de Bohême ? C’est cela qui m’a intéressé et plus je progressais dans mes recherches, plus cela m’intriguait. La biographie de Gustáv Husák permet de très bien illustrer l’histoire du XXe siècle et aussi l’histoire des relations entre Tchèques et Slovaques. »
Victime des procès staliniens
Michal Macháček estime que la personnalité de Gustáv Husák a été modelée dans une grande mesure par le milieu où il lui fallait vivre. Né en 1913, ce fils d’ouvrier agricole qui perd sa mère à l’âge d’un an, est sensible à la question sociale ce qui l’amène à s’engager dans le mouvement estudiantin, puis au Parti communiste de Tchécoslovaquie. Il s’inscrit à l’université de Bratislava et ses études finies il commence à travailler dans un bureau d’avocat. Après le démantèlement de la Tchécoslovaquie en 1938 et le début de la Deuxième Guerre mondiale, il n’accepte pas l’existence de l’Etat slovaque soutenu par Hitler, entre dans la résistance et vers la fin de la guerre participera au Soulèvement national slovaque. Après la guerre, sa carrière politique est rapide et brillante. Il occupe des positions importantes dans les organes gouvernementaux en Slovaquie mais son ascension sociale est brutalement interrompue en 1950 lorsqu’il est accusé de nationalisme bourgeois. Michal Macháček explique ce que recouvre cette accusation :« On peut le définir de la façon suivante. D’après cette accusation, Gustáv Husák aurait préféré les intérêts nationaux slovaques aux intérêts du mouvement communiste. C’était une accusation officielle qui a été fabriquée de toutes pièces. Vers la fin des années 1940, on lance à Moscou un appel à traquer l’ennemi intérieur dans l’appareil des partis communistes. Ces purges étaient liées à la discorde entre la Yougoslavie de Tito et l’Union soviétique de Staline. Ce dernier cherchait à éviter toute rébellion dans d’autres pays socialistes. Les dignitaires communistes vivent alors dans une atmosphère de peur, se dénoncent mutuellement et font suivre des informations compromettantes à Moscou. Et cela retombe aussi sur Gustáv Husák. »
Un prisonnier incommode
Gustáv Husák est donc une des victimes de la chasse aux sorcières déclenchée par Staline pour terroriser ses opposants dans l’ensemble de l’empire soviétique. En 1954, il est condamné à perpétuité, mais le prisonnier Husák ne se laisse pas briser par ses geôliers. Michal Macháček constate :« Gustáv Husák a été un prisonnier assez indiscipliné parce qu’il refusait d’avouer ces crimes. Il a d’abord avoué sous une terrible pression physique et psychique, mais ensuite il s’est rétracté, a renié ses aveux et s’est endurci. Et à partir de ce moment-là il n’a plus jamais rien avoué. Il faut constater qu’il était très courageux et il se peut que cela lui ait sauvé la vie. Il n’a pas pu être utilisé par la justice communiste dans les procès manipulés où les accusés étaient obligés d’apprendre par cœur des scénarios préparés d’avance. Il risquait de faire capoter cette machinerie judiciaire et ne pouvait donc pas être utilisé dans les procès parce que cela aurait donné une mauvaise impression. »
L’homme de l’avenir
Amnistié en 1960, Gustáv Husák tente de nouveau sa chance en politique. Sa carrière redémarre mais il ne progresse que lentement dans la hiérarchie du Parti communiste. Michal Macháček démontre dans son livre que c’est le Printemps de Prague, cette courte période de libéralisation en 1968, qui relance Gustáv Husák au premier plan :
« Husák profite de la libéralisation de 1968 qui s’est produite surtout grâce aux journalistes et aux médias et se lance dans l’arène médiatique en mars de la même année. Il donne une importante série d’interviews, participe à de nombreux débats et récolte une grande popularité. Même le premier secrétaire du Parti communiste Alexander Dubček se rend compte qu’il ne pourra pas arrêter l’envol de cet homme politique et qu’il sera obligé de lui donner une fonction pour éviter que celui-ci ne lui mette des bâtons dans les roues. »
Le normalisateur
Gustáv Husák devient donc un des représentants du mouvement qui cherche à donner au socialisme un visage humain ce qui est évidemment très mal vu à Moscou. Après quelques avertissements qui restent sans écho, Léonid Brejnev décide d’écraser le Printemps de Prague par les chars. Le pays est occupé par les armées du Pacte de Varsovie et à ce moment-là, Gustáv Husák saisit l’occasion de se montrer utile à l’occupant soviétique. Mélangeant courage et opportunisme, il réussit à convaincre les chefs du Kremlin que c’est lui qui sera le meilleur « normalisateur » de la Tchécoslovaquie récalcitrante. Et c’est le début de l’étape la plus importante et la plus sombre de sa carrière politique et de sa vie. En avril 1969, il remplace Alexander Dubček au poste de chef du Parti communiste de Tchécoslovaquie et dès 1975 il cumule les postes de secrétaire général du parti et de président de la République. Il s’installe pour deux décennies au sommet de la hiérarchie politique, mais il est évident qu’il ne peut pas décider librement et que c’est à Moscou qu’il doit répondre de ses actes. Il est toutefois l’homme le plus puissant de Tchécoslovaquie et donc aussi le principal responsable des mesures draconiennes prises par le régime pour normaliser le pays. Dans le cadre de ces mesures, le régime procède à des purges pratiquement dans toutes les branches de la vie politique, économique et culturelle et installe ses représentants à tous les postes d’importance. La censure et la propagande officielle envahissent les médias et le pays, coupé de son contexte international, sombre dans la soumission et la léthargie.La désillusion d’un vieux communiste
Ce n’est qu’en 1977, lorsqu’un groupe d’intellectuels tchèques lance la Charte 77, document appelant le régime à respecter les droits de l’Homme, qu’un changement possible commence à poindre à l’horizon. La réaction des autorités totalitaire est d’autant plus violente : de nombreux signataires de la Charte sont emprisonnés et d’autres sont obligés de s’exiler. C’est pourtant le début d’un lent processus qui aboutira douze ans plus tard à la révolution de 1989, à la chute du régime communiste et aussi à l’abdication de Gustáv Husák qui mourra deux ans plus tard à Bratislava. Michal Macháček conclut :« Je crois qu’il se rendait compte qu’un grand changement était en train de s’opérer. Gustáv Husák a été un des artisans du système communiste en Tchécoslovaquie après 1945 qui cherchait à surpasser le régime de l’entre-deux-guerres. Et, à la fin de sa carrière, il doit assister à la restauration de ce régime d’avant-guerre, au retour de la démocratie parlementaire pluraliste et du système capitaliste. Et je pense que ça a été pour lui une grande désillusion. »