Il y a 60 ans, les hockeyeurs champions du monde étaient envoyés dans les camps d’internement communistes
Il y a soixante ans de cela, en mars 1950, la justice communiste avait condamné à de lourdes peines d’emprisonnement et de travaux forcés la majorité des joueurs qui composaient alors l’équipe nationale tchécoslovaque de hockey sur glace, championne du monde en titre. Retour sur l’un des procès politiques les plus marquants du début des années 1950 dans la Tchécoslovaquie communiste, dont les motifs restent, aujourd’hui encore, source de points d’interrogation.
« Je suis très heureux que ce film ait vu le jour. Le 13 mars, cela fera 60 ans que le régime communiste nous a arrêtés, et la réalité aujourd’hui est que personne ou presque ne connaît notre histoire. Vous savez, lorsque je suis invité dans les écoles pour témoigner, je dis souvent qu’il est presque dommage que l’un ou plusieurs d’entre nous n’aient pas été condamnés à mort. Si nous avions été pendus, cela aurait au moins fait parler de nous. Mais parce que ça n’a pas été le cas, notre histoire est passée sous silence. Je suis donc heureux que ce dossier soit rouvert. »
Augustin Bubník, aussi appelé Gustav Bubník, a 81 ans. En 1950, il avait 21 ans et sa carrière prometteuse de hockeyeur devant lui, lorsqu’il a été condamné à quatorze ans de réclusion et de travaux forcés aux motifs de haute trahison, espionnage et subversion. Soixante ans plus tard, il est le dernier des douze joueurs condamnés à être encore en vie et en bonne santé. Un miracle après être passé par les mines d’uranium, là où le régime communiste envoyait ses prisonniers politiques. La semaine dernière, Augustin Bubník, très ému, a assisté dans un cinéma de Prague à la présentation aux médias d’un nouveau film documentaire intitulé « Hors jeu » et diffusé par la Télévision tchèque à l’occasion du 60e anniversaire de l’arrestation des joueurs. Dans ce film, qui emmène le spectateur dans les cellules de la police communiste, les prisons et les camps de travail, Augustin Bubník sert de guide en racontant son histoire et celle de ses coéquipiers. Une idée qui a été celle du réalisateur Ivan Biel :« C’est le premier film de fond sur ce thème. Plusieurs portraits des hockeyeurs ont déjà été réalisés, dans lesquels le procès et les condamnations sont évoqués. Mais aucun film sur l’ensemble de cette affaire n’avait encore été réalisé. Il faut dire que ce n’est pas simple. Il y a encore beaucoup de responsables en poste aujourd’hui qui l’étaient déjà avant la révolution en 1989 et qui ne souhaitaient pas qu’un tel film voie le jour. Et puis, pour monsieur Bubník, c’était dur aussi. Sur le plan émotionnel, bien évidemment, par exemple lorsque nous sommes retournés dans les mines d’uranium. J’ai appris beaucoup de choses avec lui, son témoignage m’a ouvert les yeux. »Aujourd’hui encore, les raisons qui ont poussé les autorités politiques à persécuter ces sportifs héros de la nation, dont certains étaient encore mineurs au moment de leur arrestation, restent mal connues. Toujours est-il que la Tchécoslovaquie n’a pas défendu son titre de championne du monde en Grande-Bretagne en 1950, comme elle s’apprêtait pourtant à le faire. Augustin Bubník se souvient :
« Mais malheureusement, dès l’aéroport, il y a eu des problèmes. On nous a accusés de vouloir émigrer. Finalement, au lieu de partir à Londres, on s’est retrouvés dans une petite brasserie juste derrière le Théâtre national à Prague. On a bu un coup pour oublier notre déception et nous remonter le moral en somme. Mais ce que l’on ne savait pas, c’est que l’on était déjà pris au piège. La StB, la police secrète, savait tout de ce que nous ne faisions. On suppose que quelqu’un l’avait informée. »Le 11 mars, le vol à destination de Londres est donc annulé à la dernière minute, officieusement parce que deux journalistes qui devaient accompagner l’équipe n’ont pas obtenu leur visa. Un mensonge, en réalité. Deux jours plus tard, les joueurs, à l’exception du capitaine Vladimír Zábrodský, sont arrêtés à la sortie d’une brasserie, accusés d’avoir scandé, provoqués par des policiers en civil, des slogans anticommunistes. Augustin Bubník était de la partie :
« Nous pensons, ou du moins nous supposons que toute cette histoire a été mise en scène par les Soviétiques. A l’époque, eux commençaient seulement à jouer au hockey, c’est même nous qui leur avons appris à jouer, et ils avaient besoin de liquider notre équipe nationale. Aujourd’hui, on est donc à peu près certains que ce sont les Soviétiques qui sont à l’origine de tout cela. Mais, bien entendu, on ne peut pas non plus oublier que un seul joueur de toute l’équipe n’a pas été arrêté, notre capitaine Vladimír Zábrodský. On pense que c’est peut-être lui qui a collaboré avec la police. Je dis bien ‘peut-être’, même si on sait grâce aux archives qu’il était un agent de la StB. On connaît son nom et son numéro secrets. Mais on attend toujours qu’il nous donne des explications. Mais jusqu’à maintenant, tout est resté très secret. »
La semaine dernière, Vladimír Zábrodský, qui vit désormais en Suède depuis son émigration dans les années 1960, a présenté sa biographie au public à l’occasion d’un match du Sparta Prague. Mais un des meilleurs joueurs de l’histoire du hockey tchèque a toujours refusé de s’exprimer sur le sujet et aucune preuve contre lui n’a jamais été apportée.
Restent donc les faits : après leur arrestation en mars et de longs mois d’audition et de torture, les douze hockeyeurs sont condamnés, en septembre 1950, soit juste après l’exécution de Milada Horáková, à des peines allant de huit mois à quinze ans pour la plus lourde. Trois jours avant Noël, emprisonnement et travaux forcés sont confirmés en appel par la Cour suprême. S’ensuivent les cinq années les plus noires de la vie d’Augustin Bubník :
« Lorsque Staline et Gottwald sont morts, c’est Antonin Zapotocky qui est devenu président de la République. Lorsqu’il était Premier ministre, c’est lui qui nous avait reçus après nos titres de champions du monde en 1947 et 1949 et notre médaille d’argent olympique en 1948. Il nous appréciait donc beaucoup. Et c’est lui qui nous a accordé une amnistie après cinq ans de peine, au lieu de quatorze pour moi. »
Cinq ans de vie perdus. Pour beaucoup une carrière fichue, pour d’autres, surtout, grandement affaiblis physiquement et moralement, une mort lente et prématurée qui les attendait quelques années plus tard dans l’anonymat. Sans que l’on sache toujours très bien pourquoi, soixante ans plus tard…