Il y a 80 ans, l’exécution en masse des Tchèques impliqués dans l’attentat contre Heydrich
Le 24 octobre 1942, 262 Tchèques ont été fusillés dans l’ancien camp de concentration de Mauthausen, sur le territoire autrichien, dans le cadre des répressions déclenchées par les nazis suite à l’assassinat du protecteur de Bohême-Moravie Reinhard Heydrich. La plupart des victimes, qui ont aidé les auteurs de l’attentat, étaient membres de l’association sportive, éducative et culturelle Sokol, une des organisations tchèques les plus frappées par la terreur nazie.
Très haut placé dans la hiérarchie du Troisième Reich, chef des services secrets nazis et planificateur de la « solution finale à la question juive », Reinhard Heydrich a ordonné de dissoudre le Sokol peu après sa nomination, par Hitler, à la tête du Protectorat de Bohême-Moravie. C’est ainsi que le 8 octobre 1941, près de 1 500 représentants de ce mouvement sportif et patriotique tchèque ont été arrêtés et déportés dans des camps de concentration.
L’opération Anthropoid
Ces arrestations massives n’ont pas empêché les Sokols de poursuivre leur action dans la résistance. Sans eux, l’attentat contre Heydrich, perpétré le 27 mai 1942 par les parachutistes Jan Kubiš et Jozef Gabčík, n’aurait probablement jamais eu lieu. De nombreuses familles réunies au sein du Sokol ont aidé les deux jeunes militaires formés en Grande-Bretagne et envoyés sur le territoire tchécoslovaque dans le cadre de l’opération Anthropoid, ainsi que les membres des autres opérations organisées par la résistance tchèque en Grande-Bretagne, à savoir Bivouac, Silver A, Out Distance ou Intransitive.
Jozef Gabčík et Jan Kubiš sont arrivés sur le territoire tchèque, plus précisément à Nehvizdy, non loin de Prague, dans la nuit du 28 décembre 1941. Un vaste réseau de collaborateurs les a aidés à accomplir leur mission en cachant leur matériel et leurs affaires, en les hébergeant, en leur fournissant nourriture et vêtements. Des familles entières ont été impliquées dans l’opération et les noms de quelques-unes d’entre-elles sont entrées dans l’histoire : les Moravec ou les Novák, dont la fille Jindřiška, âgée de 14 ans, a emmené le vélo d’un des auteurs de l’attentat après les faits, ce qui lui a coûté la vie.
Le souvenir se perpétue à Šestajovice
A Šestajovice, petite commune de la banlieue de Prague, la branche locale du mouvement Sokol perpétue le souvenir de ses deux membres, morts, eux aussi, à Mauthausen il y a bientôt 80 ans. Ici, tous les enfants savent qui étaient Marie Stará, enseignante à l’école du village, et son mari Jaroslav, propriétaire d’une jardinerie. Deux plaques commémoratives avec leurs noms gravés ont été apposées, il y a quelques années, sur la façade de l’école et près de leur ancienne maison, où la gestapo a arrêté Jaroslav Starý en juillet 1942 puis sa femme un mois plus tard. On écoute Vlastislav Janík, historien au Musée régional de Brandýs nad Labem :
« Pour les époux Starý, les ennuis ont commencé dès l’annexion des Sudètes par Hitler en 1938. De nombreux Tchèques ont alors dû quitter les régions frontalières rattachées à l’Allemagne et ont été déplacés à l’intérieur du pays. Pour créer des emplois, le gouvernement a décidé de licencier les femmes fonctionnaires qui pouvaient être soutenues matériellement par leurs maris. C’était le cas de Marie Stará, qui travaillait comme institutrice à l’école de Šestajovice depuis 1922. Elle a été obligée de quitter son poste en 1939. »
Le réseau clandestin du Sokol
Deux ans plus tard, Jan Kubiš et Jozef Gabčík atterrissent à Nehvizdy, une bourgade située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Prague, près de Šestajovice. Les époux Starý, ainsi que d’autres familles des villages voisins, tous membres du Sokol, les prennent en charge :
« Le premier représentant du Sokol que les parachutistes ont contacté à Nehvizdy a été František Kroutil, qui dirigeait la branche locale de l’association. Il les a mis en lien avec un certain Břetislav Bauman, meunier dans un village voisin qui a d’abord caché leurs équipements, leurs armes et leurs munitions chez lui, avant de les transporter, avec Jaroslav Starý, à Prague. C’est aussi probablement grâce à Jaroslav Starý que les parachutistes sont ensuite entrés en contact avec les Sokols du quartier pragois de Vysočany, qui les ont hébergés et soutenus jusqu’à la fin de leur mission, c’est-à-dire jusqu’à leur mort dans la crypte de l’église Saints-Cyrille-et-Méthode le 18 juin 1942, où ils s’étaient réfugiés après avoir tué Heydrich. »
« Je crois que l’aide de ces familles a été importante : à la campagne, on avait davantage de vivres qu’à Prague, où tout devait être acheté avec des coupons. À Mělník, Neratovice, Kostelec nad Labem ou Šestajovice, les habitants de toutes ces villes et communes de Bohême centrale ont aidé matériellement les auteurs de l’attentat. »
De Terezín à Mauthausen
Après la mort d’Heydrich, le Protectorat de Bohême-Moravie a été frappé de répressions sans précédent qui se sont traduites notamment par les massacres des villages de Lidice et de Ležáky. Pendant les mois suivants, les nazis ont progressivement démantelé le réseau de collaborateurs des parachutistes. Vlastislav Janík :
« Les époux Starý ont été arrêtés relativement tard, à l’été 1942, après plusieurs vagues d’arrestations. En théorie, ils auraient pu se retrouver à la forteresse de Terezín, où ils étaient détenus, même si les hommes et les femmes y vivaient séparément. Ensuite, ils se sont peut-être vus lorsqu’ils ont été transférés, le 23 octobre, au camp de Mauthausen avec les 260 autres Tchèques. A la gare, hommes et femmes ont de nouveau été séparés. Les femmes ont été transportées vers le camp probablement en bus, tandis que les hommes s’y sont rendus à pied. »
« Le lendemain, ils ont tous été exécutés par balle, l’un après l’autre. Même s’ils avaient été condamnés à mort dès la fin septembre, ils ne s’y attendaient pas. On leur a dit qu’ils allaient passer un examen médical. Ils ont été fusillés dans une cave, un condamné toutes les deux minutes. Les nazis étaient déguisés en médecins et on y passait de la musique pour que les autres n’entendent pas les coups de feu. »
Petite histoire de Jaroslav Starý, jardinier et soldat
Les proches des époux Starý, qui eux n’avaient pas d’enfants, ont échappé aux persécutions. Les enfants des résistants tchèques tués à Mauthausen, quant à eux, ont été internés à Prague. Ceux qui sont encore en vie et leurs descendants se réuniront le 23 octobre prochain à Panenské Břežany, dans l’ancienne résidence de Heydrich transformée en musée. On y présentera, entre autres, des documents inédits liés à la vie de Jaroslav Starý :
« Nous exposerons la correspondance de Jaroslav Starý avec son frère et ses médailles. Car il a eu un parcours intéressant : en 1914, il est parti en Grande-Bretagne, où il a vécu pendant trois ans dans un camp de prisonniers. Ensuite, il a pu s’engager dans l’armée britannique : il a combattu en Inde et a participé à la 3e guerre anglo-afghane en 1919, avant de rejoindre la Tchécoslovaquie. Nous connaissons l’histoire des légionnaires tchèques qui se sont engagés pendant la Grande Guerre en France, en Russie ou en Italie, mais lui, il est un des rares Tchèques à avoir combattu au Royaume-Uni à cette époque-là. »
« On sait que Jaroslav aimait le sport et la musique, et les plantes évidemment, puisqu’il était jardinier. Dans les lettres qu’il envoyait à son frère Josef, il décrit la flore parfois exotique des pays dans lesquels il est passé. De retour en Tchécoslovaquie, il a valorisé toutes ses expériences. Ses affaires marchaient même très bien dans l’entre-deux-guerres. Grâce à des proches qui s’y rendaient quotidiennement pour leur travail, Jaroslav Starý livrait des fleurs fraîches à un commerçant du centre de Prague. »
Fin octobre, l’historien Vlastislav Janík évoquera le parcours de Jaroslav Starý, de sa femme et des autres résistants tchèques morts à Mauthausen il y a 80 ans, lors d’une conférence organisée au Bastogne War Museum, en Belgique, dans le cadre de l’exposition consacrée à l’opération Anthropoid. Elle est à voir dans ce musée dédié à la Seconde Guerre mondiale dans les Ardennes jusqu’à fin août 2023.