Industrie : craintes et incertitudes à l’usine Liberty Ostrava, où 2 600 emplois sont menacés
Déclarée en faillite en juin, l’usine métallurgique Liberty Ostrava envisage de fermer sa cokerie et prévoit des licenciements massifs, un fait rare en Tchéquie. En collaboration avec les syndicats et le gouvernement, la direction de la société tente de trouver une solution pour sauver le plus d’emplois possible et la majorité du potentiel de production.
Tous les employés de l’usine métallurgique Liberty à Ostrava, chef-lieu de la région de Moravie-Silésie, savaient depuis des mois que leur entreprise n’était pas dans une forme olympique. Pour autant, s’attendaient-ils à des coupes dans les effectifs aussi drastiques ?
Dans un communiqué publié le 23 juillet, la direction de Liberty Ostrava a annoncé, en effet, son intention de fermer définitivement la cokerie, qui constitue le cœur de son activité, afin de « garantir l’attractivité de l’entreprise pour de nouveaux propriétaires ou investisseurs potentiels ». Selon le porte-parole de la société, Ivo Štěrba, aussi difficile puisse-t-elle être à accepter, cette mesure était devenue indispensable :
« C’est à regret que nous avons annoncé aux syndicats la réduction des effectifs dans le cadre de la procédure d’insolvabilité. Cette mesure s’imposait néanmoins pour procéder aux réductions de coûts nécessaires. »
D’après les estimations du président du syndicat KOVO Liberty ČR, Petr Slanina, près de 2 600 des 5 000 emplois que compte l’entreprise sont aujourd’hui menacés. La première vague de licenciements, la plus importante, pourrait intervenir d’ici fin octobre, la seconde en janvier 2025.
Une usine qui tourne au ralenti depuis octobre 2023
Cela fait néanmoins déjà plusieurs mois que le quotidien des employés de Liberty Ostrava est rythmé par les annonces moroses de la direction. Signe précurseur des difficultés qui les attendaient, en octobre dernier, au motif d’une demande insuffisante, la firme silésienne avait annoncé réduire l’activité du dernier haut fourneau encore exploité. Depuis, les mauvaises nouvelles se sont enchaînées.
En décembre, suite à l’arrêt de l’approvisionnement en énergie par la société Tameh Czech, pour créances impayées, Liberty a été contraint de renvoyer chez eux la majorité de ses employés. Initialement prévu en janvier, leur retour à l’usine n’a finalement jamais eu lieu.
En avril, une lueur d’espoir avait émergé avec l’approbation par la majorité des créanciers d’un plan de restructuration. Mais cet espoir a été vite balayé, retoqué par la société Tameh Czech qui a jugé le projet « irréaliste ».
Conséquence de cette décision, en juin, l’usine métallurgique a déposé le bilan, annonçant être dans l’incapacité d’honorer ses arriérés d’un montant total de quelque 5 milliards de couronnes (près de 200 millions d’euros). Dans la foulée, le tribunal régional d’Ostrava a déclaré la société en faillite.
Face à la précarité de la situation, et au manque de visibilité, certains employés ont préféré prendre les devants et rendre leur tablier, conscients aussi qu’à compter du mois d’août l’État cesserait de compenser à hauteur de 95 % les salaires impayés par la société privée. Toujours plus nombreux à l’approche de cette échéance, ces départs inquiètent particulièrement Petr Slanina. Le responsable syndical redoute que cette vague de démissions fasse perdre de la valeur à l’entreprise et complique encore davantage la recherche d’un nouvel investisseur pour une éventuelle reprise.
Donquixote et Moravia Steel aux aguets
Après que le ministre de l’Industrie, Jozef Síkela (STAN), a répété, en fin de semaine dernière, que l’État n’avait pas l’intention d’entrer au capital de la société, un investisseur potentiel s’est finalement manifesté. Basée à Třinec, à une trentaine de kilomètres d’Ostrava, Moravia Steel, dont le chiffre d’affaires en fait une des vingt plus grandes sociétés tchèques, a déclaré envisager sérieusement la possibilité d’exploiter certaines opérations de l’activité secondaire de Liberty Ostrava, et notamment sa tuberie.
Jeudi dernier, la direction de Moravia Steel s’est entretenue avec des membres du gouvernement et ses plans, tels qu’ils ont été exposés, ont été salués par le ministre des Finances, Zbyněk Stanjura (ODS) :
« Nous avons entendu un plan très concret : un plan à la fois stratégique sur la manière de préserver l’acier vert en Tchéquie et concret quant à la manière de procéder dans les jours et semaines à venir. Il existe donc des pistes réelles pour préserver la production dite secondaire à Liberty Ostrava et une partie substantielle des emplois. »
Si le rachat de l’activité secondaire permettrait de sauver un certain nombre d’emplois, le responsable syndical Petr Slanina préférerait néanmoins que le futur acquéreur d’Ostrava Liberty reprenne l’ensemble de la production, et pas seulement une partie comme cela est donc pour l’heure envisagé :
« Je ne peux imaginer l’usine métallurgique être démantelée de telle sorte qu’un investisseur récupérerait la tuberie, un autre les lamineries et un dernier les lignes de montage. Ce n’est pas réaliste, selon moi, et je pense qu’un tel partage serait source de beaucoup de problèmes à l’avenir. »
À ce stade, toutefois, aucun investisseur n’a manifesté d’intérêt pour reprendre l’activité principale de production de coke et d’acier de l’entreprise en faillite. La firme polonaise Donquixote, qui, lundi, a annoncé avoir signé un contrat avec Liberty Ostrava, ne l’est pas davantage. L’entreprise propose de reprendre uniquement l’activité secondaire de la société silésienne, à savoir la tuberie, la tréfilerie et les deux lamineries. L’offre polonaise doit à présent être étudiée par la justice.
Fondée en 1951, dans les premières années du régime communiste en Tchécoslovaquie, sous le nom de ‘Nouvelle aciérie Klement Gottwald’, l’ancêtre de Liberty Ostrava a longtemps compté parmi les fleurons de l’industrie métallurgique en Europe centrale. Privatisée au lendemain de la révolution de Velours, au début des années 1990, l’usine a ensuite changé de mains à plusieurs reprises. En 2019, elle a finalement été revendue par ArcelorMittal au groupe britannique Liberty Steel, son propriétaire actuel, qui l’a rebaptisée Liberty Ostrava.
Le changement de propriétaire n’a cependant pas permis de résoudre les difficultés économiques rencontrées par l’entreprise. La fermeture annoncée de la cokerie et les licenciements subséquents seraient un nouveau coup dur pour la Moravie-Silésie, l’une des régions économiquement les plus défavorisées de Tchéquie avec un taux de chômage (5,2 % en juin dernier) régulièrement supérieur à la moyenne nationale. Pour Josef Bělica (ANO), le président de la région de l’est du pays, voisine de la Pologne et de la Slovaquie, la cessation de l’activité principale de Liberty Ostrava serait un désastre économique, estimant à près de 600 le nombre d’entreprises qui pâtiraient des conséquences de la fermeture de la cokerie.