Interrogations autour de l’élection présidentielle au suffrage universel direct et de la politique migratoire tchèque

En vertu de l’amendement à la loi constitutionnelle qui a été adopté successivement par les deux chambres du Parlement, les Tchèques auront désormais la possibilité d’élire le président de la République au suffrage universel direct. Pour les uns, cette décision n’est pas dépourvue de risques, tandis que pour d’autres, apparemment plus nombreux, elle se présente comme une démarche positive et un certain espoir. La presse est devenue une bonne plate-forme pour l’étalage d’arguments pour ou contre ce premier scrutin présidentiel « direct » dans l’histoire du pays.

Beaucoup de commentaires apparus ces derniers jours dans les médias soulignent qu’en dépit des apparences, il ne s’agit pas d’une décision révolutionnaire, compte tenu du fait que les pouvoirs présidentiels demeureront les mêmes qu’auparavant, donc assez restreintes. Ceci dit, il y a lieu pour eux de s’interroger sérieusement et largement sur les écueils ou les avantages que celle-ci apporte.

Tout en admettant qu’il existe d’assez forts arguments contre le suffrage universel direct – comme l’éventualité de la montée en flèche d’une célébrité ou d’un oligarque s’appuyant sur sa richesse – Martin Komárek du quotidien Mladá fronta Dnes estime que dans la situation actuelle, les avantages prévalent. Il explique :

« Les raisons ne sont ni constitutionnelles, ni philosophiques ou historiques, mais purement politiques. Le prestige de la classe politique est actuellement au point zéro... Donc tout changement de système, tant qu’il ne s’agit pas bien sûr d’un glissement vers la dictature, est positif. D’autant plus qu’une grande partie des citoyens souhaitent un scrutin direct. »

Et de rappeler dans ce contexte que les représentants de l’ensemble des partis politiques avaient promis à plusieurs reprises la mise en valeur du suffrage universel direct sans pourtant jamais tenir jusqu’ici, sous différents prétextes, leur promesse.

Le prestige de la classe politique est actuellement au point zéro...

« Il serait naïf de croire que l’accomplissement de cette promesse puisse élever considérablement la confiance des gens à l’égard de la démocratie et des partis politiques... Mais quand les choses vont mal, et la politique tchèque va effectivement fort mal, tout changement est source d’espoir. Et pourquoi ne pas croire que les citoyens vont faire un bon choix ? »

Dans la même édition de ce journal, Petr Kolman, juriste et professeur universitaire, explique pourquoi il ne partage pas à ce sujet l’enthousiasme d’une grande partie de ses concitoyens et étudiants. L’élection du président au suffrage universel direct constitue d’après lui l’introduction d’un élément étranger dans la structure constitutionnelle du pays qui n’est pas fondé sur un système présidentiel.

« Le suffrage universel direct aurait un sens si le président tchèque avait d’importants pouvoirs, ce qui n’est pas le cas.... En outre, il risque d’approfondir encore davantage la ‘fatigue des électeurs’, compte tenu du nombre d’élections, régionales, municipales, législatives, sénatoriales, qui ne cessent de se succéder. Au début, on peut s’attendre à un taux de participation élevé, mais celui-ci aura par la suite tendance à baisser inévitablement ».

« Pourquoi modifier un procédé qui fonctionne ? », s’interroge-t-il en conclusion soulignant que l’élection au suffrage universel direct coûtera beaucoup plus cher que celle par le Parlement.

Aleš Gerloch
Le quotidien économique Hospodářské noviny a donné pour sa part la parole à Aleš Gerloch de la Faculté de droit de l’Université Charles, un des rares experts en la matière du droit constitutionnel à soutenir cette élection au suffrage universel direct et qui s’attend à ce qu’elle diminue l’influence des partis politiques. Il estime :

« Il y a toute une série d’Etats qui fonctionnent sur la base d’un système parlementaire et dans lesquels pourtant, les gens peuvent choisir eux-mêmes leur président. D’après ce que je sais, aucun d’entre eux n’affronte les problèmes graves que l’on appréhende dans notre pays. Il peut arriver bien sûr que les gens choisissent par exemple un populiste ou encore qu’il y ait des conflits et des malentendus entre le président et le gouvernement. Mais cela peut arriver même quand le président est élu par le Parlement. »

La prochaine élection présidentielle en Tchéquie aura lieu au début de l’année 2013, date de l’expiration du deuxième quinquennat de l’actuel président Václav Klaus.

Cependant il n’y pas que la future élection présidentielle tchèque qui est au centre de l’intérêt de la presse nationale. Dans son agenda international, elle se penche souvent, aussi, sur tout ce qui marque la situation sur la scène politique française à l’approche de l’élection présidentielle dans ce pays. La dernière édition du prestigieux hebdomadaire Respekt brosse par exemple un portrait détaillé du candidat socialiste François Hollande sous le titre « Au nom du peuple contre les banquiers ».


Photo: Archives de ČRo7
« Les Tchèques ne pourront pas survivre sans les immigrés. Toutefois, ils font tout pour leur rendre leur vie difficile ». Tel est le titre d’un article paru dans une récente édition du quotidien Mladá fronta Dnes, dans lequel son auteur Martin Rozumek, directeur de l’Organisation d’aide aux réfugiés, s’interroge sur les conditions des ressortissants étrangers qui choisissent la République tchèque comme pays d’accueil. Il écrit :

« En dépit du fait que les Tchèques n’aiment pas vivre avec des étrangers, car, à en croire les sondages, ils ne veulent avoir pour voisins ni Ukrainiens ni Vietnamiens, et encore moins des Rom, il est évident qu’ils devront s’habituer à cette nouvelle donne. En effet, selon les données de l’Office tchèque des statistiques, sans les immigrés, la population tchèque serait en déclin déjà dès l’année 2013. »

Un déclin démographique sera d’ailleurs inévitable même avec l’arrivée d’immigrés, mais son évolution serait quand même moins dramatique et plus lente. Ainsi, suivant le rythme de 20 000 nouveaux venus par an comme c’est le cas aujourd’hui, le pays aurait dans cent ans près d’un million d’habitants de moins qu’aujourd’hui (10,5 millions).

Plus loin, Martin Rozumek signale que les Tchèques cherchent par tous les moyens à rendre aux ressortissants étrangers la vie pénible, notamment en ce qui concerne les procédures d’octroi des permis de séjour et de travail. Il écrit :

Photo illustrative: Kristýna Maková
« Nous savons tous que sans main d’œuvre étrangère, il serait difficile de construire ne serait-ce qu’une seule nouvelle maison. Mais la majorité de ces travailleurs sont embauchés par l’intermédiaire d’agences suspectes qui les arnaquent systématiquement. D’un autre côté, l’Etat tchèque se comporte mal vis-à-vis des entrepreneurs étrangers... Il n’est donc guère étonnant qu’entre 2008 et 2010, le nombre d’étrangers établis en Tchéquie ait commencé à diminuer. Les Ukrainiens, la communauté la plus nombreuse sur le territoire tchèque, qui nous est culturellement la plus proche et qui s’intègre facilement, commencent à quitter de plus en plus souvent la Tchéquie ».

L’auteur de l’article souligne qu’il est absolument nécessaire que la République tchèque définisse les priorités de sa politique migratoire. Elle doit déclarer combien de ressortissants étrangers et de quels pays elle veut prioritairement accueillir et créer pour cela des conditions transparentes. Il s’agit par la suite de soutenir leur intégration et de se comporter à leur égard dignement. En conclusion, il écrit :

Les Tchèques ne pourront pas survivre sans les immigrés.

« Il faut ouvrir un large débat pour mettre fin à la jungle migratoire. Cet agenda doit être une partie importante du programme de l’ensemble des partis politiques tchèques ».

Selon les données officielles, la République tchèque accueille à l’heure actuelle plus de 400 000 ressortissants étrangers qui y vivent légalement. Une étude réalisée récemment par des experts de l’Université Charles révèle que le nombre de ressortissants étrangers qui vivent dans le pays illégalement serait presque aussi élevé.