Israël et l'aide tchécoslovaque
Trois ans après la fin de la Shoah en 1948, l'Etat d'Israël naît et menace aussitôt de disparaître. Ses voisins de la Ligue arabe lui déclarent la guerre et Yigael Yadin, le chef des opérations de la Haganah, estime les chances de survie d'Israël à cinquante-cinquante. Le ministre américain des Affaires étrangères, Georges Marshall, prédit quant à lui sa défaite. Ce sont en partie les livraisons d'armes en provenance de Tchécoslovaquie qui lui donneront tort. A l'occasion des commémorations sur l'Holocauste, nous revenons sur cet événement fondateur pour les relations tchéco-israéliennes.
Dès le lendemain du vote à l'ONU, le président Ben Gourion confie à Ehud Avriel la mission de se procurer des armes en Europe afin d'équiper la Haganah, l'embryon de Tsahal, l'armée israélienne. Ehud Avriel n'est pas n'importe qui. Durant la Seconde Guerre mondiale, il a réussi à sauver un très grand nombre de Juifs. Il s'installe d'abord à Paris, après s'être servi de faux documents avec un en-tête officiel éthiopien. Il part ensuite pour Prague et prend contact avec une société d'armement tchèque qui lui propose des livraisons en décembre 1947. Le 14 janvier 1948, il signe un contrat d'un montant de 12 millions de dollars incluant l'achat de 24 500 fusils, 5 000 mitrailleuses légères, 200 mitrailleuses lourdes, 54 millions de cartouches et 25 avions Messerschmitt. Ceux-ci seront démontés par des techniciens militaires tchécoslovaques et envoyés par avion en Israël. En Tchécoslovaquie, des bases d'entraînement pour les pilotes et les parachutistes israéliens sont même organisées secrètement.
Même après le coup de Prague en février 1948, le régime communiste pratiquera la même politique. L'ampleur des livraisons fait l'objet de controverses mais celles-ci se font régulières à partir d'avril 1948.Après la naissance de l'Etat d'Israël en mai et la déclaration de guerre de ses voisins, l'ONU décide l'embargo sur les armes à destination de la région. Or, la petite armée de 70 000 hommes levée en Israël manque cruellement de moyens. Les délais d'arrivée se font attendre et en face, les armées arabes alignent artillerie et aviation de chasse.
Sur demande de Staline, les autorités tchécoslovaques mobilisent l'aérodrome de Zatec et son personnel. Début avril, Ehud Avriel acquiert un DC-4 qui permettra d'acheminer un premier lot comprenant 140 mitrailleuses MG34 et plusieurs dizaines de milliers de cartouches. Le 20 mai, le même DC-4 transporte un Messerschmitt 109, le premier avion de la future force aérienne israélienne.
En début d'année 1948, Ezer Weizmann, pilote de chasse de la Haganah et futur président isréaélien, ramène pour sa part de vieux Messerschmitt allemands fournis par l'armée tchécoslovaque.Après quelques difficultés comme l'occupation du Néguev par l'Egypte, la Haganah peut enfin organiser la contre-attaque. La dernière contribution de Prague, peut-être la plus importante, a consisté en la création d'une unité de volontaires juifs d'origine tchèque. Celle-ci arriva en Israël en décembre 1948.
Quelles sont alors les motivations de Staline ? L'URSS, comme les Etats-Unis, a reconnu l'Etat d'Israël lors de sa proclamation. Mais s'il passe outre l'embargo des armes décrété par l'ONU, c'est qu'il voit en l'Etat hébreu l'opportunité d'étendre son influence au Proche-Orient. Rappelons qu'à l'époque, les pays arabes entretiennent d'étroites relations avec la Grande-Bretagne. En outre, on compte après la guerre de nombreux Juifs d'obédience communiste. L'idéologie même de l'Etat d'Israël est, avec les kibboutz, fortement emprunte de socialisme. Quand Staline réalisera, après l'armistice signé en 1949, qu'Israël ne sera pas une nouvelle démocratie populaire, il pratique une virulente politique anti-sioniste, qui n'épargnera pas la Tchécoslovaquie.
Dans les années soixante, certains opposants réunis au sein de l'Union des écrivains proclament leur désaccord avec la ligne anti-israélienne officielle. Le Slovaque Ladislav Mnacko se rend à Tel Aviv et se désolidarise officiellement de la politique de son pays. A son retour, il sera déchu de la nationalité tchécoslovaque.
Aujourd'hui, on peut voir, dans l'escalier du musée de l'Armée à Zizkov, une grande plaque officielle envoyée par l'Etat hébreu. Celui-ci y exprime sa reconnaissance à l'aide fournie en 1948 par l'armée tchécoslovaque. Cet épisode aura sans doute contribué à la stabilité des relations tchéco-israéliennes depuis la fin du communisme.