Ivana et Vasek, un des six couples filmés par Helena Trestikova sous le communisme et aujourd'hui

Manzelske etudy (Histoires de couple), photo: www.dokument-festival.cz
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Quelle différence entre l'institution du mariage sous le communisme et aujourd'hui, seize ans après la Révolution de velours ? Cette question est au coeur d'un cycle de films documentaires réalisés dans les années 1980 et 2000 par Helena Trestikova, une des cinéastes les plus renommées en Tchéquie. Deux épisodes de ce cycle ont été récemment présentés en première et primés au Festival international du film documentaire de Jihlava.

1980... L'année de la mise en service, après treize ans de travaux, de l'autoroute entre Prague, Brno et Bratislava. L'année de la spartakiade, la fameuse fête de gymnastique socialiste, l'année des Jeux olympiques de Moscou, boycottés par les Etats-Unis et où les athlètes tchécoslovaques gagnent trois médailles d'or. En tennis, l'équipe tchécoslovaque remporte pour la première fois la Coupe Davis. Toujours en 1980 disparaît le célèbre acteur tchèque Jan Werich et le réalisateur Jiri Menzel adapte au cinéma « Postriziny » (La chevelure sacrifiée) de Bohumil Hrabal. Les autorités communistes mettent en place L'Office fédéral pour la presse et les informations, une institution de censure. Nous sommes en 1980... trois ans après la publication de la Charte 77 qui mobilise les opposants au régime et cinq ans avant le début de la perestroïka... La chute du communisme est encore loin, le régime totalitaire semble éternel...

Nous sommes en 1980 et la jeune documentariste Helena Trestikova commence à suivre, avec une caméra, six couples tchèques. Six couples qui ont un seul et unique point commun : ils viennent de se marier à Staromestska radnice, la mairie de la Veille-Ville de Prague. Helena Trestikova et son équipe filmeront, pendant six ans, leurs vies. Ils saisiront des moments ordinaires et les périodes charnières de leurs aventures de jeunes mariés. Ainsi naîtra un cycle de films documentaires, intitulé Manzelske etudy (Histoires de couple). Vingt ans après le début du projet, en 1999, la réalisatrice décide de récidiver. Elle frappe à nouveau à la porte de ses héros de jadis, pour leur reposer sa question habituelle : alors, quoi de neuf ? Vingt ans après, tout a changé. L'époque, le régime, les conditions et le rythme de vie... Et les gens, bien sûr. Là encore, Helena Trestikova se lance à nouveau, pendant six ans, dans le tournage. Le fruit de son travail de longue haleine, les « Histoires de couple I et II » seront diffusées, en début d'année prochaine, sur la télévision publique.

« L'idée originelle, née dans les studios Kratky film (Court métrage), était de s'interroger sur le fait : pourquoi y a-t-il tant de divorces parmi les jeunes. L'idée était donc de les suivre pendant cinq ans, pour voir où, quand et comment commencent les problèmes au sein d'un couple ou, au contraire, ce qui le rend solide. Il nous a fallu, pour cette expérience, trouver des jeunes mariés de 18 à 24 ans environ de toutes les tranches sociales, non divorcés et sans enfants. En collaboration avec le registre d'état civil du premier arrondissement de Prague, nous avons choisis d'abord dix couples, ensuite leur nombre a baissé à six. Au début, nous ne savions strictement rien sur ces gens et nous n'étions pas sûrs qu'ils tiennent jusqu'au bout. Mais ils ont tenu, je crois même qu'en dépit de quelques moments de crise, ils ont pris goût à cette expérience particulière. Ensuite, leurs destins ont été bien sûr très différents. Sinon, des six couples, il y en a trois qui se sont séparés. Cela correspond tout à fait aux statistiques, selon lesquelles un couple sur deux, dans cette catégorie d'âge, divorce. »

Au festival de Jihlava, Helena Trestikova a décidé de présenter deux documentaires de son cycle, relatant la vie de Vaclav et Ivana.

« Je l'aime, elle m'aime.... alors on s'est marié. Ça ne peut pas se terminer mal ! », disent Vasek et Ivana le jour de leur mariage. Etudiants en architecture, ils vivent dans un mini-appartement à Nusle. Ils mettent plusieurs années à le retaper - eh oui, trouver une piaule à Prague a toujours été une galère... Ils sont bientôt quatre à vivre dans ce petit deux-pièces... Entre-temps, Vasek passe par le service militaire obligatoire. La vie n'est pas toujours facile, mais ils semblent heureux...

Dix ans après la Révolution de velours, on retrouve Ivana et Vaclav dans leur grande maison qu'ils ont eux-mêmes construite quelque part dans le quatrième arrondissement de Prague. Ils ont cinq enfants, le benjamin va encore à la maternelle. Un fait rare dans la République tchèque post-communiste ! Ils sont devenus, chacun de leur côté, commerçants. Mais... les affaires ne vont pas bien, les rêves s'évanouissent. Un de leur fils, Martin, vagabonde dans la ville et flirte avec la drogue.

« Les histoires que je filme ne se terminent pas avec la dernière image. J'espère revenir encore aux destins de mes héros... », a dit l'inlassable Helena Trestikova dans une interview à la presse. « Une question me trotte dans la tête : qu'est-ce qu'un mariage heureux ? Ivana et Vasek sont restés ensemble et font face aux problèmes que leur apportent leurs multiples et épuisantes activités. Ivana a tenté de se suicider, mais elle est toujours en vie. Vasek a pleuré plusieurs fois devant la caméra, mais il continue à exploiter son entreprise et à en vouloir à ses enfants parce qu'ils ne les comprend pas. Chaque jour il guette devant son magasin les clients. La vie continue. C'est peut-être ça, un mariage heureux. »

Mais si les documentaires de Helena Trestikova sont des analyses psychologiques fines, utiles à tout candidat au mariage, ils sont aussi et surtout un témoignage, une réflexion sur deux époques différentes. Son regard jeté sur les années 80, méconnues des nouvelles générations et vues déjà avec un certain recul par ceux qui les ont vécus, se révèle comme particulièrement intéressant. Les réactions des festivaliers de Jihlava, surtout des plus jeunes, qui n'ont jamais vu des centaines de soldats partir d'une même gare au service militaire, des gens faire des queues d'un kilomètre pour acheter un sapin de Noël ou téléphoner d'une cabine à pièces, en sont la preuve.

Festival international du film documentaire de Jihlava,  photo: CTK
Quels sont les pièges dans lesquels peut tomber un documentariste qui se lance dans des projets semblables d'aussi longue haleine ? Réponse de Jean-Pierre Rehm, directeur du Festival du film documentaire de Marseille et membre du jury à Jihlava.

« L'année dernière, j'ai présenté en compétition un documentaire d'un cinéaste belge, Hugues Le Paige, 'Il Fare Politica', où il a suivi pendant vingt ans des amis à lui, qui étaient des militants communistes italiens. Il les a suivis du temps de la grandeur du PCI et aujourd'hui, après la transformation du parti. C'était, bien sûr, un document extrêmement intéressant ! Cette idée-là de suivre sur un long temps, je pense que c'est une très bonne chose. Elle n'est pas nouvelle, Jean Eustache avait proposé ça avec 'La rosière de Pessac', quand il avait fait deux films sur une cérémonie. J'ai montré aussi, il y a deux ans, un cinéaste qui a filmé pendant vingt temps une cérémonie qui avait lieu tous les ans, donc de 1984 à 2004, des films assez brefs, de dix minutes à chaque fois. C'est passionnant, on apprend beaucoup de choses. Mais tout dépend de comment c'est fait. C'est une bonne idée de prendre en compte le temps qui passe, mais le temps, on ne le prend pas n'importe comment. Il ne suffit pas de dire : 'rendez-vous dans un an'. Parce que si au moment où on a filmé, on n'a rien filmé, on n'a rien saisi de la réalité, dans vingt ans, on n'aura plus rien. A chaque fois que le film est fait, ça doit être une chose importante. Il ne faut pas croire que l'idée est plus forte que le film. Il faut que le film porte l'idée. »

Auteur: Magdalena Segertová
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