Jakub Arbes, père d’un nouveau genre littéraire
180 ans se sont écoulés depuis la naissance de Jakub Arbes (1840-1914), écrivain et journaliste qui a laissé une trace profonde dans la littérature et le journalisme tchèques. Nous lui devons entre autres l’invention d’un nouveau genre littéraire qui a été repris par la suite par toute une série d’autres auteurs tchèques.
« Nous examinons les temps révolus avec un sourire pitoyable, nous nous moquons de la naïveté, de la maladresse et de la brutalité de nos ancêtres, sans nous rendre compte que les générations futures se moqueront de nous de la même façon. »
Voilà ce qu’a écrit Jakub Arbes et cette réflexion démontre qu’il s’agissait d’un esprit original et capable de considérer la vie avec le détachement d’un philosophe.
Un enfant du quartier de Smíchov
Jakub Arbes est un enfant du quartier pragois de Smíchov qui n’est, au moment de sa naissance, qu’un village entouré de champs, de jardins et de vignobles. Le garçon est cependant témoin du développement impétueux de cette banlieue pragoise qui se transforme rapidement et où surgissent de nouveaux immeubles de rapport, des usines et des brasseries.
Son père est un simple cordonnier et le jeune Jakub semble être destiné d’abord à reprendre le métier paternel, mais ses résultats scolaires sont si prometteurs que ses parents décident de l’inscrire dans un lycée technique. C’est là où le jeune homme attiré par la littérature rencontre le poète Jan Neruda qui sera son ami, son maître et son arbitre littéraire. Pavel Šidák de l’Institut de littérature tchèque, souligne l’importance de cette amitié pour l’avenir de ce jeune adepte de la littérature et du journalisme :
« La rencontre entre Neruda et Arbes a été décisive. Neruda n’était que de six ans son aîné mais à cette époque-là il était déjà un journaliste bien établi et il a convaincu Arbes qui était linguistiquement indifférent, de choisir la langue tchèque. Encore dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’indécision de Jakub Arbes qui hésitait entre le tchèque et l’allemand était tout à fait typique. Sous l’influence de Neruda, Arbes devient non seulement écrivain de langue tchèque mais aussi un grand défenseur de la langue et de tout ce qui avait trait à la culture tchèque. »
Un journaliste radical et intrépide
Comme cela arrive souvent, le chemin vers la littérature mène d’abord par le journalisme. Le jeune Jakub collabore au début avec plusieurs périodiques de moindre importance pour devenir finalement rédacteur indépendant d’un important journal d’opposition. Pavel Šidák résume cette étape de la carrière journalistique du futur écrivain :
« Ce qui était typique pour lui c’était son travail dans le journal Národní listy (La Gazette nationale), périodique radical dirigé par un homme politique, Julius Grégr. La radicalité de ce journal était due en grande partie justement à Jakub Arbes et elle n’est pas restée sans conséquences car le journaliste a finalement passé 13 mois en prison. Après son retour, il était déjà une personnalité trop symbolique et il a été obligé de quitter son journal pour ne pas provoquer les autorités autrichiennes et pour sauver l’existence de ce périodique. »
Se fourrer la tête dans un guêpier
Jakub Arbes est de ces journalistes qui osent se fourrer la tête dans un guêpier. Ses articles agacent souvent les autorités et ses démêlés avec la justice autrichienne sont proverbiaux. Rien qu’en cinq ans, il subit près d’une centaine d’interrogatoires, il fait à peu près 60 fois l’objet d’une accusation et il comparaît près de 50 fois devant la justice. Dans la plupart des cas il se charge lui-même de sa défense. Habitué des salles d’audience, il réussit souvent à tourner en dérision ses accusateurs et mêmes les tribunaux qui le jugent. Et il ne se laisse pas décourager même quand il est accusé de haute trahison et poursuit imperturbablement son métier de journaliste d’opposition.
Son heure de gloire survient lorsqu’il réussit à obliger le tribunal de Vienne à annuler son procès allemand et à reprendre la procédure en langue tchèque. Mais il subit aussi les conséquences de ces actes et après avoir été écroué pendant 13 mois dans la prison de la ville de Česká Lípa, il perd son poste de rédacteur dans son journal. Désormais, il est écrivain à plein temps et il est obligé de gagner péniblement sa vie et celle de sa famille.
Helena Šebestová, archiviste du Musée de la littérature nationale, qui connaît bien la correspondance de Jakub Arbes, constate cependant que les inspirations ne lui manquaient pas :
« Arbes était connu comme un homme foisonnant d’idées. Son inventivité a été incroyable dès le début. Né en 1840, il avait dès 1860 déjà une réserve de sujets qu’il allait développer par exemple trente ans plus tard. »
Inventeur d'un nouveau genre littéraire
Avec le temps, l’écrivain crée une œuvre abondante et riche. Outre d’innombrables articles dans les journaux, il écrit des contes, des romans sur les problèmes sociaux, des récits édifiants et il est considéré même comme inventeur d’un nouveau genre littéraire – le romaneto. Pavel Šidák résume les caractéristiques de ces récits qui permettent à Jakub Arbes de déployer ses dons littéraires, de mettre en valeur l’originalité de ses inspirations :
« Le romaneto est probablement le seul genre littéraire créée par les Tchèques. Le mot a été inventé par Jan Neruda pour désigner le genre du récit de Jakub Arbes intitulé Svatý Xaverius (Saint Xavier). Arbes écrit les textes de ce genre à partir des années 1860. C’est un genre spécial qui combine la narration du roman avec la concision de la nouvelle. Ce qui est typique pour le romaneto, c’est la combinaison des motifs fantastiques et des éléments d’horreur inspirés du roman gothique avec un dénouement rationnel. Il y a donc un motif fantastique, mystérieux, qui finit par être expliqué rationnellement. »
Cela reflète, selon Pavel Šidák, deux sources de l’inspiration de Jakub Arbes, d’une part sa connaissance des sciences exactes, il a étudié à polytechnique, d’autre part l’influence des genres littéraires appréciés par les lecteurs de son époque et notamment du roman gothique.
L’énigme de Saint Xavier
Le héros du romaneto Saint Xavier est un homme fasciné par le tableau représentant saint Xavier sur un autel de l’église Saint-Nicolas de Malá Strana à Prague. Il s’avère que le peintre baroque qui est l'auteur du tableau, a peint sur sa toile des signes symboliques susceptibles de permettre à celui qui comprendra leur signification de trouver un trésor caché dans une banlieue de Prague. L’homme se lance à la recherche du trésor et c’est une aventure mystérieuse et dangereuse qui aboutira à une issue fatale.
Jakub Arbes écrira une trentaine de récits de ce genre qui le situent parmi les premiers auteurs tchèques de science-fiction et lui assureront une place de choix dans la littérature tchèque du XIXe siècle. Il meurt en 1914 à la veille de la Première Guerre mondiale laissant non seulement une trace profonde sur la scène littéraire mais aussi un souvenir d’un homme intègre et courageux qui a su faire face aux puissants de ce monde. Helena Šebestová conclut :
« Arbes est un homme qui réagit à ce qu’il y a autour de lui. Il n’a jamais courbé l’échine, il n’a jamais flatté quelqu’un pour obtenir des avantages particuliers par des moyens contraires à la morale. La société dans laquelle il a vécu, avait ses problèmes, le système politique n’était certes pas idéal et Arbes s’efforçait de rendre l’existence du peuple tchèque honnête et digne. Je pense qu’aujourd’hui c’est la même chose. Il faut agir pour que les gens soient moraux, pour qu’ils ne soient pas honteux, pour qu’ils ne se laissent pas emberlificoter par l’argent et le pouvoir. »