Jan Zajíc, l’oublié

Jan Zajíc
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Il y a 45 ans de cela, le 25 février 1969, quarante jours après Jan Palach, six mois après l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie et vingt-et-un ans jour pour jour après la prise du pouvoir par le parti communiste en Tchécoslovaquie, Jan Zajíc était le deuxième étudiant à s’immoler par le feu dans le centre de Prague. Mais après les importantes manifestations qui avaient accompagné l’enterrement de Jan Palach quelques semaines plus tôt, la StB, la police secrète, mit tout en œuvre pour passer sous silence le sacrifice de Jan Zajíc. Et avec un certain succès, comme le confirmera l’histoire.

Jan Zajíc
« Le 25 février entre 13H30 et 13H45 à Prague sur la place Venceslas au numéro 38, un jeune homme s’est suicidé en s’immolant par le feu. Selon les pièces à conviction trouvées sur place, il s’agirait de JZ, lycéen de la région de Šumperk. »

C’est en ces termes dénués de toute émotion que la Radio tchécoslovaque a informé ses auditeurs de la mort, quelques heures plus tôt, de JZ – Jan Zajíc, étudiant de 18 ans originaire de Moravie du Nord. Comme Jan Palach, Jan Zajíc entendait protester contre l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’armée soviétique et dénoncer le processus de Normalisation enclenché dans son pays suite à l’écrasement du Printemps de Prague le mois d’août précédent. Ancienne professeure de Jan Zajíc, Pavla Veselá se souvient que son élève a toujours entretenu une profonde haine de l’occupant :

« Quand les Russes sont arrivés dans le pays en 1968, Jan et ses copains attendaient sur la place de la ville, ils avaient des pavés à côté d’eux et étaient prêts à ‘accueillir’ les chars. Malheureusement pour eux, aucun char n’est venu jusqu’à Vítkov. Mais déjà à l’époque, on voyait leur détermination et leur volonté de manifester leur désapprobation avec ce qui s’était passé. »

En janvier 1969, Jan Zajíc, sans l’accord de ses parents, s’était rendu à Prague, comme des centaines de milliers de personnes, pour assister à l’enterrement de Jan Palach. Certains de ses proches supposent que c’est à ce moment-là qu’il décida de se transformer, lui aussi, en torche vivante. Pourtant, le 20 janvier, le lendemain du geste de Jan Palach, le poète Jaroslav Seifert, qui deviendra prix Nobel de la littérature en 1984, avait appelé les jeunes Tchèques, dans un texte lu au journal télévisé, à ne pas se résigner mais aussi et surtout à ne pas tomber dans l’extrémisme :

Jaroslav Seifert,  photo: Archives de ČRo
« A vous, les garçons, qui vous êtes résolus à mourir. Nous ne voulons pas vivre sans la liberté et c’est pourquoi nous ne vivrons pas sans la liberté. C’est la volonté de nous tous, de tous les gens qui luttent pour la liberté de notre peuple et pour leur propre liberté. Personne ne doit rester seul, pas même vous, les étudiants, qui avaient décidé de commettre le plus désespéré des actes. Vous ne devez pas avoir le sentiment qu’il n’y a pas d’autre voie que celle que vous avez vous-mêmes choisie. Je vous en supplie, ne pensez pas dans votre désespoir que nos affaires ne peuvent être résolues qu’immédiatement et qu’il n’y a qu’ici que nous cherchons une solution. Vous avez le droit de faire de vous-mêmes ce que vous voulez. Mais si vous ne voulez pas que nous nous tuions tous, ne vous tuez pas ! »

L’appel de l’écrivain ne sera pas entendu par Jan Zajíc. Déçu que le geste de Jan Palach ne stoppe pas la léthargie et l’indifférence dans lesquelles était plongée la société tchécoslovaque, le jeune homme décide à son tour de sacrifier sa vie. C’est ainsi que le 25 février, en haut de la place Venceslas, il met le feu à ses vêtements imbibés de produits chimiques. Contrairement à Jan Palach, mort trois jours plus tard, Jan Zajíc succombe le jour-même à ses brûlures. Et ce n’est pas là la seule différence avec Jan Palach, comme l’explique l’historien Petr Blažek :

Photo: Kristýna Maková,  Radio Prague Int.
« Même s’il avait émis le vœu d’être enterré à Prague comme l’avait été Jan Palach pour que les funérailles se transforment en une grande manifestation nationale, ses parents ont finalement accepté, sous la pression de la police, que Jan soit enterré dans sa ville natale. »

Jan Zajíc fut donc inhumé à Vítkov, le 2 mars 1969. Un mois et deux jours plus tard, à Jihlava cette fois, un troisième homme, Evžen Plocek, ouvrier de 39 ans, s’immolait à son tour par le feu, toujours pour les mêmes motifs que Jan Palach et Jan Zajíc. Mais censure du régime aidant, encore un peu plus oublié de l’histoire que les deux premiers.