Jan Zrzavy ou le rêve de la Bretagne
Jan Zrzavy. La simple vue par écrit de son nom a autrefois dû en effrayer plus d'un en France, pour qui voulait prononcer le patronyme de ce peintre tchèque dont le destin est en partie lié à l'Hexagone. Depuis la fin mai, le manège du Palais Wallenstein accueille une rétrospective de son oeuvre, à l'occasion des trente ans de sa disparition. L'occasion de se pencher sur un personnage et des tableaux qui souvent, donnent l'impression de nous embarquer dans un monde onirique et mythologique, parfois dérangeant.
250 oeuvres en tout, dessins, peintures à l'huile, illustrations, essais graphiques : la Galerie nationale, dépositaire de l'oeuvre de Jan Zrzavy a rassemblé un éventail représentatif de la création de l'artiste, né en 1890.
Ondrej Chrobak, directeur de la Collection des oeuvres graphiques et dessins de la Galerie nationale rappelle qu'après la Seconde guerre mondiale, Zrzavy fut interdit, comme bon nombre d'artistes, par les autorités communistes, avant de pouvoir retrouver le chemin des galeries et salles d'exposition lors des débuts de la libéralisation du régime, dans les années 1960 :
« Les expositions de Jan Zrzavy, après la Deuxième guerre mondiale, ont toujours été un événement non seulement culturel mais aussi et surtout politique. En 1963 s'est déroulée une exposition dans la galerie Manes. 110 000 personnes sont venues voir cette exposition, un chiffre tout à fait honorable et surtout inimaginable aujourd'hui. Le conservateur de l'époque a plus tard déclaré que cet intérêt n'était pas uniquement lié à l'oeuvre de Jan Zrzavy en tant que telle, mais à sa personnalité et aux connotations politiques du phénomène. Jan Zrzavy a toujours été, surtout après la coupure de 1948, considéré par les représentants du réalisme socialiste comme un des liens avec la culture de la Première République, avec la tradition de l'art moderne. Pour la plupart des gens qui venaient le voir, c'était une forme de « résistance molle » liée à la libéralisation qui avait commencé en 1963. »
Mais Jan Zrzavy, rappelle Ondrej Chrobak, n'était pas qu'une figure de l'opposition. En 1965, il fut nommé « artiste national » et beaucoup d'apparatchiks, qui de toute évidence versaient dans l'art et la qualité, souhaitaient faire l'acquisition de certaines de ses oeuvres. En 1990, re-belotte : une exposition est à nouveau organisée, mais toujours dans un contexte politique fort... Pour Ondrej Chrobak, donc, cette nouvelle exposition est enfin l'occasion de voir des oeuvres de Zrzavy, délestées de leur charge politique et d'apprécier sa création du seul point de vue esthétique.
Le nom et l'oeuvre de Jan Zrzavy sont étroitement liés à une région de France où il passa plus d'une dizaine d'années : la Bretagne. Zuzana Novotna, commissaire de l'exposition rétrospective rappelle comment le peintre tchèque a fait connaissance avec la France et cette région :
« Jan Zrzavy est né avant 1900. Lorsqu'il a commencé à créer, c'était une époque où Paris était un centre artistique, où tous les jeunes artistes de l'avant-garde venaient s'y installer. En 1906 ou 1907, Jan Zrzavy a fait son premier voyage à Paris où il a découvert Leonard de Vinci au Louvre. Bien entendu, l'art tchèque était influencé par Paris. Il a alors découvert Gauguin qui peignait aussi en Bretagne. Ça a été la deuxième impulsion pour revenir. On dit que c'est sa petite amie qui a choisi la Bretagne comme destination où il a alors pu se concentrer sur son travail au début des années 1920. Il vit d'abord à Paris, se rend de plus en plus en Bretagne où il finit par construire sa maison où il passe l'essentiel des années 30. »
Ses retours en Tchécoslovaquie sont peu fréquents. Mais cette lune de miel entre Zrzavy et la France prend fin avec les Accords de Munich en 1938 : Jan Zrzavy rentre dans son pays d'origine. Il est d'une part furieux du « lâchage » français et d'autre part, obligé de retourner chez lui, car le climat politique international a bien entendu changé. Pourtant la France continue de l'inspirer. Pendant la guerre, il continue à peindre la Bretagne d'après ses souvenirs et après guerre, il y retourne encore une seule et dernière fois. L'Italie et la Grèce seront ses destinations à l'avenir.
De manière instinctive, il sent et s'intègre dans l'air du temps artistique de la fin du 19ème siècle et réagit aux essais de l'avant-garde. Comme le confirme Zuzana Novotna :
« Jan Zrzavy était un artiste solitaire mais il suivait bien entendu les courants artistiques autour de lui. Avant la guerre, il était dans l'association Sursum et en 1918, dans le groupe Tvrdosijni avec Josef Capek. Il a pris de l'indépendance justement avec ses voyages en Bretagne. Il avait plusieurs amis qui l'ont aidé à se faire connaître. Plus tard il a fait la rencontre d'Otakar Storch-Merien : pour la maison d'édition de celui-ci, il a réalisé plusieurs illustrations de livres comme Maj (de Karel Hynek Macha, ndlr) et Kytice (de Karel Jaromir Erben, ndlr) qui sont donc liés à son nom dans les années 1930. La sortie de Maj en 1925 a donc beaucoup rapproché Zrzavy du public et il est devenu un artiste recherché. »
Kytice, c'est aussi une cantate de Bohuslav Martinu que le compositeur tchèque avait créée exprès pour son ami Jan Zrzavy.
Influencé par le pointilliste George Seurat et symbolisme « primitif » de Paul Gauguin, il est à l'écoute de son temps, des styles de la décadence et de l'expressionnisme mais aussi du cubisme, grâce à son ami Bohumil Kubista. Ses modèles, il les trouve dans la peinture médiévale de la Bohême : Maître Théodoric, mais aussi en Italie : Fra Angelico, Giotto et Léonard de Vinci, mais aussi Le Greco. Léonard de Vinci fut d'ailleurs son modèle depuis l'enfance lorsqu'il étudiait les principes picturaux que celui-ci avait théorisés.
Monde magique tout en rondeurs ou en figures simples, géométriques. Figures toutes en courbes ou visages taillés au couteau comme dans du bois tendre. Paysages oniriques ou plus réalistes. Zrzavy surprend et attendrit. Il met parfois mal à l'aise, un peu comme peuvent le faire certains visages de femmes peints par Lucas Cranach, où pour les femmes aux yeux étirés de chat on ne sait si on doit les admirer ou en avoir peur.
Une ambivalence des formes esthétiques, des changemesnts au cours de sa création, qui d'après Zuzana Novotna, correspondent à sa propre ambivalence psychique et à une expression qui virait parfois au n arcissisme :
« Zrzavy a créé son propre mythe, il s'auto-stylisait. Et cela depuis son jeune âge. A l'Ecole des Arts et Métiers, il a pris le surnom de 'Gauguin'. Plus tard, il a incarné l'image du vieillard à la grosse moustache bien entretenue, avec béret et habit de velours. Il aimait à se représenter : on peut voir certains de ses portraits dans l'exposition. Il se projetait aussi dans d'autres personnages de ses thèmes, comme Asurbanipal ou encore dans des figures plus problématiques telles que les fées des bois où l'on retrouve cette forme d'ambivalence : narcissisme voire homoérotisme. »
L'exposition des oeuvres de Jan Zrzavy s'achèvera le 16 septembre.