La Bretagne vue par des artistes tchèques

Jan Zrzavý, 'Les bateaux dormants', 1935, photo: Galerie nationale de Prague

« Bonjour, Monsieur Gauguin », tel est le nom d’une exposition conçue par la Galerie nationale de Prague et le Musée départemental breton de Quimper. Inaugurée la semaine dernière au Palais Kinský, sur la place de la Vielle-Ville de Prague, elle témoigne de la présence des artistes tchèques en Bretagne entre 1850 et 1950. Elle rassemble des œuvres de personnalités connues et moins connues de l’art tchèque, tels que Jaroslav Čermák, Otakar Lebeda, Alfons Mucha, František Kupka, Vojtěch Preissig, Jan Zrzavý, Toyen, ou encore Věra Jičínská et Jan Křížek. Radio Prague a rencontré Philippe Le Stum, directeur du Musée départemental breton, venu à Prague pour le vernissage :

Philippe Le Stum devant 'La vague' de František Kupka,  photo: Magdalena Hrozínková
« L’exposition a été présentée au cours de l’été dernier à Quimper, avec un très grand succès public. Ici, à Prague, elle est encore plus importante en échelle : le Palais Kinský dispose de grandes salles et, par conséquent, d’autres œuvres de la Galerie nationale et des musées tchèques ont pu l’enrichir. En plus, nous avons complété cette exposition par de nombreuses œuvres provenant des collections du Musée départemental breton. »

Comment avez-vous découvert les œuvres de créateurs tchèques inspirés par le littoral breton ?

« Il se trouve que dans les collections du Musée départemental breton, nous avons une lithographie d’Alfons Mucha qui représente une Bretonne. Cela nous intriguait. Nous connaissions aussi l’œuvre de Jan Zrzavý, bien que ce soit un artiste très peu connu en France. Tout cela nous a donné l’idée de rechercher s’il n’y avait pas d’autres artistes tchèques à être venus en Bretagne. Il y a quatre ans de cela, nous sommes entrés en contact avec la Galerie nationale de Prague et avec sa commissaire Anna Pravdová en particulier, qui est une spécialiste de la présence des artistes tchèques en France. Elle nous a confirmé qu’effectivement, un grand nombre d’artistes tchèques avaient travaillé en Bretagne aux XIXe et XXe siècles. A partir de ce moment, nous avons intensifié nos recherches, en collaboration avec nos partenaires tchèques, pour arriver à un nombre significatif d’artistes qui ont pu donner corps à cette exposition. »

Jan Zrzavý,  'Les bateaux dormants',  1935,  photo: Galerie nationale de Prague

Quels ont été les lieux privilégiés de ces artistes tchèques en Bretagne, des lieux que l’on retrouve sur leurs tableaux ?

« Cette question nous intéressait particulièrement car le Musée départemental est situé en Finistère, à l’extrême pointe de la Bretagne. Les artistes tchèques étaient beaucoup influencés justement par la Bretagne la plus occidentale. Par exemple Jan Zrzavý, lui, n’a pratiquement travaillé qu’en Finistère. Franišek Kupka y a travaillé aussi, même s’il a séjourné également dans d’autres endroits. Ce qui leur plaisait sans doute dans cette région, c’était la mer. On le voit dans la grande œuvre de Kupka, intitulée ‘La vague’, qui avait fait l’affiche de l’exposition à Quimper. Les costumes du Finistère, particulièrement riches et diversifiés, ont également attiré ces artistes. »

Les peintres tchèques apportent-ils un regard nouveau sur la péninsule ?

Václav Brožík,  'Les enfants à travers les bois',  1891 | Photo: Galerie nationale de Prague
« Cela dépend des époques. Au XIXe siècle, nous ne pouvons pas vraiment parler d’un regard spécifiquement tchèque sur la Bretagne. D’ailleurs, nous avons associé dans l’exposition des œuvres d’artistes français ayant travaillé en Bretagne dans les années 1860-1880 à des artistes tchèques comme Jaroslav Čermák, Soběslav Pinkas ou Vaclav Brožík. Finalement, il existe entre eux une cohérence et un regard très proche. Par contre, certains artistes du XXe siècle ont une vision spécifique de la Bretagne. Jan Zrzavý par exemple a peint la Bretagne et le Finistère en particulier comme aucun autre peintre au monde. Kupka également a une vision symboliste très originale de l’extrême ouest de la France. Mais cette originalité est peut-être moins liée au fait qu’ils soient tchèques et plus au fait qu’ils aient, en tant qu’individus et artistes, des personnalités et des perceptions bien spécifiques. »

Pourriez-vous rappeler les noms d’artistes français représentés dans cette exposition ?

« La Bretagne a surtout été représentée par des artistes qui n’étaient pas forcément originaires de cette partie de la France. Nous présentons par exemple Henri Rivière, un lithographe important. Nous prêtons également une œuvre d’Henry Mosler, un des premiers peintres américains à fréquenter Pont-Aven. Nous présentons Lucien Simon, Victor Roussin, ainsi que les peintres de l’école de Pont-Aven tels Paul Sérusier, Georges Lacombe. Evidemment, Paul Gauguin est présent dans l’exposition, essentiellement à travers son chef-d’œuvre ‘Bonjour, Monsieur Gauguin’, qui a donné son titre à l’exposition. Conservé à la Galerie nationale de Prague, ce tableau avait été présenté à Quimper l’été dernier. »

Karel Špillar,  'Le paysage de Bretagne',  photo de l'exposition: Magdalena Hrozínková
A l’occasion du vernissage de l’exposition ‘Bonjour, Monsieur Gauguin’, vous avez donné une conférence à l’Institut français de Prague, une conférence sur la Bretagne artistique. Quel a été son sujet plus précisément ?

« Avec ma collègue Margareth Le Guellec-Dabrowska, nous explorons depuis une douzaine d’années la présence d’artistes européens en Bretagne entre le milieu du XIXe siècle et la Deuxième Guerre mondiale. Nous avons consacré successivement des expositions aux artistes polonais, russes, roumains et britanniques qui avaient été fascinés par la Bretagne. Cela nous a permis de montrer que la région a tenu une place particulière dans l’histoire de l’Europe. Il était évident à un moment de consacrer une exposition sur des artistes tchèques. Le thème de la conférence portait justement sur cette attractivité particulière de la Bretagne sur des artistes européens. »

L’exposition « Bonjour, Monsieur Gauguin » est ouverte au Palais Kinský jusqu’au 17 mars 2019.