Agnieszka Holland présente à Prague son film « Green Border »
La célèbre réalisatrice polonaise Agnieszka Holland était à Prague cette semaine, pour assister à la première de son nouveau film « Green Border » (Hranice en tchèque). Fiction sur le drame migratoire à la frontière polono-biélorusse en 2021, sa sortie en Pologne, en septembre dernier, a été accompagnée d’une violente campagne calomnieuse de la part du gouvernement sortant. Co-produit par la Télévision tchèque et soutenu par le Fonds tchèque pour la cinématographie, le film a reçu le prix du jury à la Mostra de Venise.
« Le gouvernement populiste et nationaliste polonais a lancé une campagne haineuse comme je n’en avais jamais vécu, pas même sous le régime communiste. Mais elle a eu l’effet inverse. En réalité, cela a fait une excellente publicité à mon film », a constaté Agnieszka Holland à l’issue de la projection de presse de « Green Border », s’adressant aux journalistes dans un tchèque parfait qu’elle doit à ses études à l’école de cinéma de Prague, la FAMU, à la fin des années 1960.
Sorti en septembre dernier, dans un contexte électoral tendu en Pologne, son film « relève de la propagande nazie » selon le gouvernement ultra-conservateur. Le but de ce film est « d’insulter l'uniforme polonais, d'insulter les Polonais, de présenter la défense honnête de la frontière polonaise, la frontière de l'UE, comme un crime », a déclaré le chef du parti nationaliste Droit et Justice, Jaroslaw Kaczynski.
A Varsovie, les critiques à l’encontre de la réalisatrice de 74 ans ont donné lieu à des menaces de violences physiques. Dans la foulée, l’Académie tchèque du cinéma et de la télévision, de même que le chef de la diplomatie tchèque Jan Lipavský, ont exprimé leur soutien à la cinéaste.
Malgré (ou grâce à) cette virulente critique, « Green Border » s’est hissé dès sa sortie en tête du box-office en Pologne et avec plus de 700 000 entrées à ce jour, aspire à devenir le film polonais le plus vu en 2023. Un succès qui a agréablement surpris Agnieszka Holland, interrogée, à l’occasion de la première du film à Prague, par la Radio publique tchèque :
« Non, je ne m’attendais pas à cet accueil, surtout pas en Pologne, où nous espérions peut-être attirer 150 000 spectateurs. Si nous pensions à un succès public, c’était dans d’autres pays, par exemple en France. C’est quand même un film de deux heures et demi, en noir et blanc, un film qui n’est pas facile à regarder, car il est très émotif à certains moments. Ce n’est pas un film d’aventure, même si notre objectif était aussi, évidemment, de captiver le spectateur. »
« Tout ce qui apparaît dans le film a été soigneusement documenté par notre équipe, tout est basé sur des histoires vraies. Par exemple, pour les scènes qui montrent le comportement de gardes-frontières polonais et biélorusses, nous nous sommes renseignés à chaque fois auprès de deux sources différentes. Les hommes politiques qui étaient si embarrassés par le film savent parfaitement que le film reflète la réalité. Or ils ont voulu la dissimuler et la manipuler pour en tirer profit pendant la campagne électorale. Ils ont essayé de faire du film leur outil de propagande. Mais le public a compris que les choses étaient plus compliquées que cela : le film montre le côté humain des gens qui se retrouvent à la frontière, que ce soient les réfugiés, les soldats et policiers ou encore les activistes et travailleurs humanitaires. Du coup, il est plus difficile de mener ce discours simpliste et haineux. »
Un film qui parle à la conscience de nous tous
« Je ne sais pas si ‘Green Border’ a influencé le comportement des électeurs polonais. Il est vrai que les spectateurs étaient nombreux à me dire que le film les avait interpellés, que soudain, ils ressentaient le besoin d’exprimer leur opinion, de ‘faire quelque chose’. Et les élections législatives étaient une bonne occasion pour cela. »
« Green Border » dépeint le calvaire des migrants, originaires d'Asie et du Moyen-Orient, qui, victimes de la politique d’Alexandre Loukachenko, tentent d’entrer illégalement en Pologne depuis la Biélorussie avant d’être repoussés par les gardes-frontières polonais, secondés par l’armée. Ce drame humanitaire s’est déroulé par un temps glacial, dans une forêt polonaise, en novembre 2021. Agnieszka Holland raconte le tournage :
« Ce film a nécessité beaucoup d’énergie. J’avais deux jeunes réalisatrices à mes côtés qui avaient chacune son équipe. Nous avons tourné parallèlement, à différents endroits. Car dans le film, il y a plusieurs histoires et plusieurs lignes narratives. Nous avons tourné le film en 24 jours, ce qui est un record, vu l’ampleur du projet. Je dois particulièrement remercier le monteur tchèque Pavel Hrdlička qui a déjà collaboré à plusieurs de mes films. Nous avons tourné dans une forêt privée près de Varsovie, car je n’aurais jamais obtenu l’autorisation de travailler à la frontière avec la Biélorussie, où se trouve un parc national. Mais la forêt que nous avions trouvée ressemble beaucoup à celle où s’est passée l’histoire réelle, avec des marécages aussi. »
« Les personnes qui jouent les rôles de migrants, je les ai trouvées en France et en Belgique, notamment une famille de Syriens. Ils se trouvent qu’ils sont acteurs. Ils m’ont beaucoup aidée à donner de l’authenticité à l’histoire que je raconte. Nous avons discuté de chaque scène et ils y ont ajouté plein de détails auxquels moi-même je n’aurais jamais pensé. Surtout, ils ont l’expérience des immigrés. Par exemple, l’un de mes acteurs a été emprisonné par le régime de Bachar al-Assad et a passé ensuite trois ans dans un camp de réfugiés, où il pratiquait une sorte de thérapie par le théâtre avec des enfants. Donc les protagonistes du film, ce sont des personnes qui ont connu l’enfer des migrants. »
« ‘Green Border’ a mis en colère la Pologne de Kaczynski, mais parle à la conscience de chacun d’entre nous », constate le journaliste et ancien ambassadeur tchèque en France Petr Janyška dans les pages du journal Deník N, critiquant l’Europe, y compris la Tchéquie, qui « ferme les yeux devant souffrance des réfugiés. ». Sur le même ton, le site de la Radio tchèque titre « Agnieszka Holland dit une vérité désagréable sur la Pologne et sur l’Europe ».
En attendant l’éventuelle nomination pour le Prix du cinéma européen, Agnieszka Holland travaille déjà sur son prochain film : le biopic sur Franz Kafka coproduit, lui-aussi, par la Tchéquie et plusieurs autres pays.