Jean-Pierre Améris : « Il faut vivre des choses pour pouvoir ensuite les raconter dans un film »
Retour une dernière fois sur la 18e édition du Festival du film français qui s’est clos fin novembre, avec le film « Une famille à louer », du réalisateur Jean-Pierre Améris, sorti sur les écrans tchèques le 3 décembre. Pour Jean-Pierre Améris, c’était un retour à Prague, puisqu’il avait déjà passé quelques mois de tournage dans la capitale tchèque il y a quelques années, pour son film L’Homme qui rit. Avant de parler de cette expérience, il est revenu au micro de Radio Prague sur les origines de son dernier opus, « Une famille à louer ».
Donc, du côté du fait d’être ensemble…
« C’est vraiment le sujet du film. Plus qu’un éloge de la famille, c’est un éloge du risque qu’il faut prendre pour sortir de soi, de sa solitude, pour surmonter ses inhibitions. C’est ce que font mes personnages en acceptant ce contrat fantaisiste… »
Chacun à sa façon, car ils sont tous deux très différents…
« Ces deux personnages sont totalement différents mais finalement ils se respectent beaucoup, sont intrigués l’un par l’autre, mais surtout ce sont des personnages courageux. Lui, c’est un homme très riche, mais coincé, handicapé des sentiments et elle est une mère de famille qui a une vraie joie de vivre, qui est courageuse, mère célibataire de deux pères différents. Elle voit arriver cet homme qui lui propose de la sauver de sa galère et de ses dettes si elle accepte de le prendre ‘en stage’ dans sa famille pendant trois mois, et elle pourrait dire : ‘Vous êtes malade !’ Mais elle l’accepte. C’est ce que j’aime chez eux, cette prise de risques. Le vrai sujet du film c’est ça. La famille, c’est le fait d’être ensemble, de prendre le risque d’être ensemble, malgré les difficultés. Ce qui sauve les quatre personnages (je compte les enfants), c’est leur complicité et leur humour, et leur capacité enfantine à jouer. »Benoît Poelvoorde incarne un des héros de ce film. Il est présent dans trois films du Festival du film français à Prague. On a l’impression que c’est un acteur que les réalisateurs s’arrachent…
« Il faut dire que c’est un immense comédien. Il a à la fois un génie comique et énormément d’émotion en lui, comme souvent les acteurs comiques. C’est la deuxième fois que je tourne avec lui puisqu’il jouait dans Les émotifs anonymes. C’est une chance pour moi, en tant que réalisateur, d’avoir trouvé un alter ego en lui. On a beaucoup de points communs, je me reconnais en lui. D’ailleurs, dans Une famille à louer, il y a beaucoup de lui, c’est aussi un portrait de lui. Il est comme moi : on arrivait à 50 ans, sans enfants, avec une nostalgie de cela, en se disant qu’on ne serait jamais père et qu’on ne connaîtrait pas cette expérience, tout en ne supportant pas les enfants plus de vingt minutes ! Il y a vraiment quelque chose de lui dans le personnage, sa maniaquerie par exemple. On voit le personnage obsédé par un grain de poussière sur la chaussure de Violette et passer l’aspirateur. Je l’ai vu faire chez Benoît Poelvoorde ! C’est ce qui est beau dans ce film, c’est qu’il y a beaucoup de sincérité, tant du côté de Benoît Poelvoorde que du côté de Virginie Efira. »
Virginie Efira est aussi une actrice belge, comme Benoît Poelvoorde. On dirait que les acteurs belges ont la cote auprès des réalisateurs français…
« Il faut dire que les acteurs belges sont excellents et pour cette comédie un peu surréaliste, un peu fantaisiste, ce n’est peut-être pas pour rien qu’il y a deux acteurs belges. Ils se connaissaient déjà pour commencer. Ils avaient eu quelques scènes ensemble dans un film d’Anne Fontaine. Mais surtout, il y a un esprit belge et une capacité chez ces acteurs et actrices à ne pas avoir peur d’aller vers le comique. Virginie Efira est d’une grande générosité, on le voit, elle est un peu habillé comme Julia Roberts dans Erin Brokovitch, elle sur le fil de la vulgarité sans jamais être vulgaire. Mais elle y va, elle n’a pas de souci de son image et en même temps, elle joue tout avec une telle sincérité que les choses deviennent belles. Je lui avais montré comme référence, sans prétention aucune évidemment : Les nuits de Cabiria de Fellini avec Juliette Massina, grande actrice et ce personnage de petite prostituée romaine qui se fait avoir par tout le monde mais qui a toujours foi dans la vie, et Erin Brokovitch avec Julia Roberts, qui était vraiment une référence. La part un peu surréaliste et fantaisiste du film est propre à ces acteurs belges qui sont parfois moins cartésiens que les Français. »N’est-ce pas de cela dont devraient être capables les acteurs ? D’avoir la capacité d’incarner un peu tout ?
« C’est très juste. C’est un rêve de tomber sur deux acteurs comme ceux-là, qui sont capables de jouer avec leur image. Benoît Poelvoorde joue cet homme très coincé, qui apparaît en pyjama, en pantoufles de cuir, avec une lampe frontale pour lire la nuit. Evidemment, ça surprend Violette qui n’est pas habituée à ce genre d’hommes. Benoît Poelvoorde me disait justement que ce n’était pas très sexy ! Moi je lui disais que j’étais comme ça à la maison, alors il a répondu ‘Respect !’ C’est ça qui lui plaît, c’est que c’est sincère de ma part. Ce n’est jamais contre les personnages. J’ai de l’autodérision et ça m’amuse de rire de moi-même. En même temps, il y a une tendresse pour les personnages et les acteurs. »Après L’homme qui rit et Marie Heurtin, vous revenez à la comédie. Est-ce un genre dans lequel vous vous sentez plus à l’aise ? Ou alors vous aimez l’éclectisme ?
« Pour moi, la comédie, c’est le genre que je préférais quand j’étais jeune et que je découvrais le cinéma. Tout vient de Franck Capra, de Lubitsch, ou d’actrices comme Ginger Rogers, donc les grandes comédies américaines des années 1940. Si j’en étais capable, je ne ferais que des comédies. Mais je n’en suis pas capable car c’est difficile à écrire et on ne peut pas calculer. Là, comme le film a eu beaucoup de succès en France, on me dit de refaire une comédie. Mais ça ne marche pas comme cela. Les prochains films ne sont pas des comédies, ça ne me vient pas pour l’instant. Il faut suivre son inspiration et être sincère dans les films que l’on fait. Il ne faut surtout pas calculer. Pour moi la vraie comédie, c’est celle de Bruno Podalydès, de Pierre Salvadori… Des films qui mêlent comédie et choses plus graves. C’est la comédie de la vie. La différence avec le drame, c’est qu’il y a un parti-pris de montrer les choses de manière joyeuse, même les difficultés. »
En même temps, en France, on a un rapport assez schizophrénique à la comédie : à la fois les comédies ont un succès auprès du public, mais le succès critique ne va pas forcément de pair. Est-ce quelque chose qui évolue quand même ?
« Je n’ai pas l’impression que ce rapport à la comédie évolue. Le public l’apprécie, les gens ont envie de se distraire. Mais en effet, la comédie n’a pas systématiquement la cote chez les critiques. J’ai souvent entendu dire : après Marie Heurtin, Jean-Pierre Améris se détend avec Une famille à louer. Déjà, rien ne me détend, mais en plus, je n’ai pas eu l’impression de faire quelque chose en-dessous, parce que c’est fait pour rire. Au contraire, dans une comédie, il ne faut pas que le travail se voit, or il y a un énorme travail derrière. On le dit toujours, et je pense que c’est vrai : c’est plus difficile de faire rire que de faire pleurer.Vous êtes à Prague pour le Festival du film français, mais ce n’est pas la première fois que vous tournez ici, puisque votre film L’homme qui rit a été tourné aux studios Barrandov et avec de nombreux acteurs et figurants tchèques. Quels souvenirs gardez-vous du tournage ?
« J’ai un souvenir fabuleux de ce tournage à Prague aux studios Barrandov au début de 2012. C’était un rêve d’enfant de faire ce film d’après le livre de Victor Hugo que j’avais lu adolescent, qui était comme un conte. Ce que les studios Barrandov m’ont apporté, c’est justement de pouvoir réaliser ce rêve de jeune cinéphile, de créer un univers totalement irréel, un peu fantastique, avec une équipe tchèque qui était formidable, à la décoration, à l’image, et puis tous ces acteurs qui avaient le sens de la fantaisie. Mais ce n’était pas une surprise, pour moi qui adore le cinéma tchèque en plus de la grande époque, qu’ici on puisse trouver un écho à ma volonté de fantaisie et de surréalisme. Je me rends compte en le disant que je ne recherche pas des choses franco-françaises, mais plutôt des choses des pays de l’Est, ou anglo-saxonnes. Ce sont mes influences. »
En effet, le conte est encore très présent dans le cinéma tchèque, et ici, on tourne des contes de fée pour le grand écran…
« C’est ce que j’apprécie dans le cinéma tchèque et dans l’esprit qui règne ici. Cette part d’enfance me correspond, ainsi que le goût du conte et du fantastique, qu’on trouve même dans Une famille à louer. L’histoire est certes autobiographique, mais le traitement est celui d’une fable, même dans le choix des maisons. C’est un peu la Belle et la Bête, lui dans cette grande maison moderne très froide, et elle dans cette petite maison qui fait penser à la cabane de Peau d’âne. J’aime cet esprit et je me sens bien ici. »Avez-vous un projet en cours ?
« J’ai tourné trois films en trois ans. Il faut donc attendre un peu que le désir revienne et surtout la nécessité. J’essaye de faire des films qui me soient nécessaires, auxquels je crois totalement. J’ai des choses en écriture, mais je ne sais pas trop encore quel film faire. Rien ne s’est encore imposé comme une nécessité. Il faut un temps de respiration. Une famille à louer vient de ma vie, donc il faut vivre des choses pour pouvoir raconter des choses. »