Jean-Yves Potel et l'Europe retrouvée de l'après 1989
Participant au cycle de projections-débats Off the Wall, qui a contribué, à Paris et dans l’agglomération rouennaise, à la célébration du 25e anniversaire de la Révolution de velours, l’écrivain et universitaire Jean-Yves Potel a raconté, dans la première partie de l’entretien qu’il a accordé à Radio Prague, son engagement dans les années 1970 et 1980 en faveur des mouvements de dissidences dans les démocraties populaires centre-européennes, et en particulier en faveur des chartistes tchécoslovaques. Rares étaient alors ceux qui pensaient que les régimes communistes s’effondreraient aussi vite. Jean-Yves Potel avait cet espoir qu’il développe à présent en évoquant tout d’abord son vécu de ce fameux mois de novembre 1989.
Aviez-vous des inquiétudes sur la tournure que pouvaient prendre les événements ?
« Je n’étais pas du tout inquiet. Au contraire, nous étions tout à fait enthousiastes de ce qui se passait. »
Et 25 ans après, quel bilan tirez-vous ? Eprouvez-vous de la déception ?
« Je n’ai pas été déçu. Les Polonais disent toujours que ce sont les 25 meilleures années qu’ils ont connues depuis deux siècles. Ce sont des pays qui ont connu des changements, des bouleversements considérables mais qui ont été généralement dans le bon sens. Il reste des tas de problèmes politiques qui sont les mêmes que dans le reste de l’Europe et je ne suis d’ailleurs pas très optimiste sur l’évolution à venir de notre Europe, qui est en danger aujourd’hui. Il y a beaucoup de forces centrifuges.
Mais si on part du point de vue de la rupture avec le communisme qui se fait en 1989-1990, je crois que cela a été un grand événement et je ne suis absolument pas déçu. A l’époque, beaucoup de commentateurs prédisaient le pire. J’ai relu des articles écrits à l’époque, ces commentateurs pensaient que nous allions vers la catastrophe, que ces pays tomberaient dans la grande pauvreté… Les uns voyaient arriver des bidonvilles en Europe centrale, d’autres voyaient les annexes de l’Allemagne. Rien de tout cela ne s’est passé. Je pense que ces pays sont devenus des pays démocratiques et responsables, qui ont bien sûr des contradictions internes et chacun leurs intérêts. »
Le philosophe Alain Badiou, présent à Prague fin octobre dernier, considérait lui que la Révolution de velours ne constituait pas un « événement », au sens où elle n’avait rien inventé de nouveau ; on s’était contenté de copier le modèle occidentale du capitalisme libéral et de la démocratie représentative…
« Pour moi, il dit n’importe quoi. Je ne sais pas ce qu’il racontait à l’époque mais aujourd’hui Alain Badiou défend encore une bonne partie de l’ancien système. Je crois pour ma part que l’intégration de ces pays à l’Union européenne est l’une des principales réussites de ces 25 dernières années. Le système qu’ils ont mis en place n’est pas original, ils ont même intégré une norme démocratique qui est celle de l’Europe. Je pense qu’ils ont apporté du sang nouveau à l’Europe, une vision différente du monde. Je crois qu’il suffit de réfléchir cinq minutes. L’Europe n’est plus l’Europe sans ces pays, sans la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, etc. Je crois qu’ils ont beaucoup apporté à l’Europe. »
Vous parlez d’une nouvelle vision du monde. Quelle est-elle ?
« Je ne sais pas si c’est une vision du monde mais ces pays ont apporté une culture, une histoire, ils ont remis l’Europe en phase avec sa propre histoire. Nous avions une histoire bancale avec une Europe coupée en deux et il y a là un fait nouveau : ces pays sont rentrés dans l’UE, en sont devenus des membres à part entière, la Pologne ou la Tchéquie sont reconnus comme des Etats ou des cultures aussi importants pour l’Europe que l’Espagne, l’Italie ou la France. L’Europe s’est recentrée du point de vue culturel et du point de vue de son espace. C’est en quelque sorte une vision nouvelle de soi.
Pour autant, l’Europe est en crise. Vous avez une montée de mouvements anti-européens ou eurosceptiques au sein de l’Europe, qui ne sont d’ailleurs pas les plus forts dans les pays d’Europe centrale, à part peut-être pour la Hongrie. Il y a même un risque d’éclatement de l’Europe mais je ne pense pas que ce soit lié au fait que ces pays y aient été intégrés. Je pense même qu’au contraire le fait qu’ils soient membres de l’UE peut nous permettre de penser différemment cet avenir. »
Malgré le changement de 1989, l’intégration à l’UE, beaucoup de Tchèques se disent aujourd’hui déçus. Ils attendaient peut-être plus ou autre chose. Le parti communiste continue de faire des scores importants aux diverses élections. Comment expliquez-vous cette relative déception ?
« Il y a des déceptions dans tous les pays. Je ne connais pas la situation tchèque récente et je n’ai pas d’explication particulière sinon le contexte politique. Je crois que le fait d’avoir appliqué une politique économique ultralibérale n’a pas forcément été une bonne chose. Il y a toute une série de valeurs, d’idées, de façons de faire de la politique, qui étaient le propre de quelqu’un comme Havel, qui ont été bafouées, soit par son successeur, soit par différentes formations politiques, qui se sont davantage centrées sur l’intérêt économique, l’intérêt économique. Il y a effectivement dans cette économie de marché ultralibérale, dans cette désintégration de toute une série de valeurs, un phénomène qui peut se traduire par un soutien à des forces du passé ou à des forces réactionnaires. Cela ne valorise pour autant pas le régime d’avant. La rupture a eu lieu. Vous avez maintenant des Etats démocratiques qui ont leurs problèmes. »