Jiri Dedecek, président du PEN club tchèque : Günter Grass reste pour moi un auteur et un homme respectable
Il y a quelques jours, le grand écrivain allemand Günter Grass, 78 ans, Prix Nobel de littérature, a avoué avoir servi, pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans les rangs des unités Waffen SS. La « cause Grass » défraie la chronique, aussi, en République tchèque et divise en quelque sorte l'opinion publique. Des remous semblent s'annoncer également au sein du PEN club tchèque...
C'est le quotidien Mlada fronta Dnes qui réserve probablement la plus grande place à l' « aveu » de l'écrivain allemand dans le Frankfurter Algemeine Zeitung. Dans son édition de mardi, la parole est donnée à plusieurs personnalités de la vie culturelle tchèque. Arnost Lustig, l'écrivain tchèque, installé aux Etats-Unis :
« C'est regrettable. En même temps je salue le fait que pour Günter Grass, la conscience l'emporte sur sa renommée et sur sa carrière. A Auschwitz, j'ai fait connaissance d'un membre SS qui n'a trouvé personne d'autre avec qui bavarder que moi-même, un garçon juif de 17 ans...Il m'a dit que si sa mère et son père savaient ce qui se passait à Auschwitz, ils ne lui parleraient plus jamais. Il m'a dit qu'il ne retournerait plus jamais à Auschwitz et qu'il préférait aller au front à l'est, ce qui signifiait très probablement la mort... Je n'ai pas de pardon pour les membres SS, car c'étaient des assassins. Mais je pense que Grass n'était pas un assassin, qu'il n'a tué personne. Tout ce qu'il a tué, c'est son renom. La qualité d'un travail littéraire n'est pas forcément liée au caractère... ».
Jan Schmid, metteur en scène :
« Je pense que quand on est jeune, on est prêt un peu à tout. Mais ce qui compte ce sont la conscience et les codex moraux. L'oeuvre de Grass prouve qu'il ne mérite pas que l'on condamne son auteur».
Le critique impitoyable du régime communiste et de tous ceux qui ont collaboré tant bien que mal avec lui, Jan Rejzek, se pose la question de savoir pourquoi cet aveu arrive si tard. Il estime en même temps qu'il ne saura pas changer le regard des lecteurs tchèques sur la personnalité de Grass et sur son oeuvre. Le professeur de physique fixé en Suède, Frantisek Janouch, qui a le grand mérite d'avoir soutenu dans le passé les dissidents tchèques, apprécie que Grass ait révélé les péchés de sa jeunesse lui-même, au déclin de sa vie. Et de dire que cette démarche permettra à lui-même de mieux comprendre les livres de l'écrivain.
Dans l'article intitulé « Comment faire pour mettre sa vie en ordre », publié dans le quotidien Lidove noviny, son auteur Jaroslav Sonka constate que Günter Grass a atteint un certain niveau moral, en surmontant ses propres erreurs. Et de rappeler que durant les décennies qui ont suivi la SGM, il est devenu, de concert avec Heinrich Böll, « une autorité morale de l'Allemagne occidentale, une personne critiquant vigoureusement tout ce qui risquait d'entraver l'épuration morale qui a été mise sur place dès la fin de la période nazie ».
Comme ailleurs, c'est notamment à son roman « Le Tambour » que Günter Grass doit sa popularité auprès des lecteurs tchèques. Sa première version tchèque y est parue, déjà, vers la fin des années soixante. Les liens qui rattachent l'écrivain allemand à la Tchéquie sont d'ailleurs privilégiés. Comme le souligne l'écrivain Jiri Stransky, du temps du Mur de Berlin, Grass accordait un soutien et une importante aide aux dissidents tchécoslovaques, nombre d'hommes de lettres tchèques déclarent avoir des liens d'amitié avec lui. En 1994, Günter Grass s'est vu décerner par le PEN club tchèque, dont il est le membre honorifique, le Prix Karel Capek. Pourtant, selon Stransky, qui est l'ex-président de cette institution, on peut s'attendre à ce que certaines voix négatives à l'égard de Grass s'élèvent désormais en son sein. Le président nouvellement élu du PEN club tchèque, Jiri Dedecek, déclare de son côté publiquement beaucoup d'indulgence et de compréhension pour ce que Günter Grass avait fait dans sa jeunesse. Pourquoi ? Ecoutons son explication. "Mais justement, parce qu'il l'a fait dans sa jeunesse, il l'a fait en tant que jeune garçon, adolescent, et vous connaissez sûrement, vous les auditeurs français, la fameuse chanson de Georges Brassens, la Tondue, la chanson qui décrit la situation d'après la guerre, où tous les gens qui se cachaient pendant cinq ou six ans, soudains deviennent héros, soudains sont prêts à chercher des victimes, des soi-disants ennemis. Je n'ai pas l'intention de me venger, de prouver ma morale sur le cas de Günter Grass. Pour moi, tout ce qu'il a fait dans sa jeunesse, et surtout parce qu'il l'a fait dans sa jeunesse, est tout à fait compréhensible. Il reste pour moi un auteur et un homme respectable ».Le séisme provoqué par son aveu, en Pologne notamment, est-il d'après-vous gonflé, exagéré ?
« Absolument, très exagéré, très gonflé. J'espère seulement qu'il ne l'a pas fait pour des raisons publicitaires, parce que toute la vérité, c'est une très bonne publicité d'ailleurs. Ce que cet aveu a provoqué en Pologne, j'en sais déjà quelque chose, parce qu'on m'a téléphonné de télévisions de Gdansk et de Varsovie. En parlant avec les rédacteurs, j'ai constaté qu'ils étaient très très agités. Je ne sais pas si c'est le bon cas de reprocher quelque chose à un jeune homme de seize ans. Si je vous racontais ce que je faisais à cette époque, quand j'avais seize ans, vous seriez certainement bien surpris... »
Le PEN club tchèque, dont vous êtes le président, se réunira en septembre pour décider de la position à prendre à l'égard du « cas Grass ». De quel côté penchent les sympathies de ses membres ?
« Ce que j'exprime ici, dans notre conversation, c'est mon opinion personnelle. Mais j'ai déjà parlé avec deux membres du PEN club, dont Jiri Stransky, mon prédécesseur, et Ivan Klima, et les deux expriment la même opinion, l'opinion de la tolérance et de la compréhension. Et j'espère que ces voix seront les plus importantes, pendant notre réunion. Alors parler par exemple de ce qu'il faut retirer le Prix Capek à Günter Grass ou d'autre chose, serait exagéré ».
Pensez-vous que cet aveu de Grass est à même d'inspirer certains parmi les écrivains tchèque, ceux qui ont collaboré sous le communisme avec la police d'Etat, à faire preuve de la même sincérité, du même courage ?
« Je serais bien content, parce que nous avons deux générations de collaborateurs - entre paranthèse - une génération de Günter Grass, les écrivains de quatre-vingts, soixante-dix ans, et puis celle de la nouvelle génération qui a collaboré avec le totalitarisme communiste. Alors il serait souhaitable qu'ils fassent la même chose ».
Günter Grass représente-t-il pour vous l'une des voix intellectuelles fortes, dont l'Europe a aujourd'hui besoin ?
« Oui. Je me souviens bien de son discours pendant le congrès du PEN club de mai à Berlin, et là, j'ai pu constater que c'est un intellectuel qui est très fort et qui a une vue de situation très brillante ».
L'une des rares voix intellectuelles, en Europe ?
« Non, je ne crois pas que ça soit une voix rare, car il y en a beaucoup qui parlent de la même voix, mais c'est une des voix les plus fortes».