Jiří Dědeček : « Je suis un francophile chevronné »
Parmi les personnalités qui jettent des ponts entre les cultures tchèque et française il y a Jiří Dědeček, artiste qui s’est fait remarquer dans plusieurs domaines dont notamment la poésie, la chanson et la traduction. Le temps passe vite et le lundi 13 février Jiří Dědeček soufflera ses soixante-dix bougies. RPI n’a pas manqué cette occasion pour évoquer avec lui son riche itinéraire artistique.
Les souvenirs d’enfance à Karlovy Vary
Vous êtes né, il y a tout juste 70 ans, à Karlovy Vary - Carlsbad, célèbre station thermale fréquentée jadis par des célébrités et des puissants du monde entier. Quelle a été l’importance de ce lieu de naissance pour vous ? Dans quelle mesure a-t-il influencé le reste de votre vie ?
« C’était mon enfance. J’y ai passé mes années les plus sensibles à partir de ma naissance jusqu’à mes onze ans. C’était le temps des amours d’enfant, des jeux sauvages. A cette époque-là, Karlovy Vary était une ville sombre dévastée par la guerre et par le début du régime communiste. J’en garde donc un souvenir très profond et inoubliable parce que l’enfance, c’est ce qui importe dans la vie. »
« Je n’ai jamais fait de politique »
Vous êtes poète et écrivain et aussi ce qu’on appelle un ACI, c’est-à-dire auteur, compositeur, interprète. Mais outre cela, vous avez fait dans la vie beaucoup d’autres choses. Vous vous êtes engagé dans le mouvement écologiste, vous avez fait même de la politique et il ne faut pas oublier que vous êtes aussi éditeur. Alors, laquelle de ces nombreuses activités a-t-elle été essentielle pour vous ?
« Il faut d’abord dire que je n’ai jamais fait de politique. J’ai un peu aidé le Parti des Verts à gagner quelques points dans la bataille électorale en 2010 et après je me suis retiré. Je n’ai jamais été membre d’un parti. Alors dire que j’ai fait de la politique, c’est un peu trop fort. Vous dites éditeur, chanteur, compositeur, traducteur. Tout cela me donne la possibilité de me reposer un peu, si je suis fatigué par exemple par mon activité d’interprète, quand je voyage beaucoup. Je peux me reposer en traduisant quelque chose, en restant à la maison dans mon fauteuil préféré et en travaillant avec un dictionnaire. Et puis je peux redémarrer ou bien je peux m’occuper de nos livres et de notre maison d’édition. Ça se complète. »
Le duo Burian-Dědeček
Dans les années 1970 et 1980, vous avez étroitement collaboré avec Jan Burian. Vous avez formé avec lui un duo artistique qui a créé tout un répertoire de chansons et de sketches bien populaires à l’époque. Pourquoi avez-vous mis fin à cette collaboration ?
« On continue quand même mais chacun a sa propre voie. Honza Burian est orienté plutôt vers la musique un peu expérimentale, électronique. Moi, je suis traditionnaliste. J’aime jouer dans des restaurants pleins de monde sans amplification électrique. On s’est séparés après dix ans de travail commun parce que rien de notre répertoire n’a été conservé. Rien. On a démarré avec Jan Burian dans les pires années de la normalisation en 1973-74. Notre production n’a laissé aucune trace : ni CD, ni LP, ni livre. Rien du tout, sauf la mémoire des gens qui venaient nous voir. Là, il faut dire qu’on s’est un peu gravé dans la mémoire des spectateurs mais cela nous paraissait un peu insuffisant. »
Vous êtes également traducteur. D’où vient votre intérêt pour la culture et la langue françaises. Vous considérez-vous comme un francophile ?
« Bien sûr, aujourd’hui je peux le dire, je suis un francophile chevronné. Mais au début c’était un hasard, comme toutes les choses importantes dans la vie. On devait obligatoirement apprendre une langue étrangère dès l’école élémentaire. C’était le russe et puis encore une autre langue étrangère. Et bien sûr moi, comme tous mes amis, je voulais prendre des leçons d’anglais mais il n’y avait plus de place. On m’a donc poussé vers le français et c’est comme ça que ma ‘carrière’ de traducteur et d’interprète de français a commencé. Elle a commencé par hasard. »
Des affinités avec Brassens
Parmi les auteurs que vous avez traduits, il y a Georges Brassens. Vous avez non seulement traduit ses chansons, vous les avez aussi interprétées et enregistrées. On sent que vous avez des affinités avec Brassens. Pourquoi ce chansonnier? Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement chez Brassens qui est un auteur assez spécial ?
« Aujourd’hui, Brassens fait partie du passé. Mais à l’époque où je l’ai connu, il était encore en vie. C’était le début des années 1980. J’avais une fiancée en France. Je voulais quitter la République socialiste tchécoslovaque, mais partir légalement. J’avais une amie à Aix-en-Provence qui ’avait promis de m’épouser. Cela s’appelait à l’époque un mariage blanc. Comme ça, j’aurais pu me déplacer, j’aurais pu vivre en France. Et alors pour l’anniversaire du jour où nous avons fait connaissance, elle m’a offert un disque de Georges Brassens, un disque célèbre avec sa photo qui le représente moustachu et avec son chat. Elle me l’a donné en disant : ‘Ça pourrait t’intéresser parce que c’est quelqu’un qui chante aussi mal que toi et qui ne sait pas jouer de la guitare comme toi.’ Alors, cela m’a un peu surpris mais bientôt j’allais constater que c’était quelqu’un qui savait chanter mieux que moi et qui savait jouer mieux que moi. Personnellement, je ne l’ai jamais rencontré. »
Héritier de František Gellner
Vous êtes auteur de plusieurs recueils de poésies. Il est évident que vous aimez jouer avec la langue. Pouvez-vous dire quels sont les thèmes majeurs de votre poésie ? Etes-vous vraiment l’héritier de František Gellner, poète de la désillusion, comme le pensent certains critiques ? Quel est le rôle de l’humour et de l’ironie dans votre poésie ?
« Cela me flatte si quelqu’un dit que je suis un vrai héritier de Gellner parce que c’est un poète que j’admire beaucoup et que j’interprète parfois. Les deux textes les plus réussis sur mon dernier CD sont des poèmes de Gellner. Mes thèmes préférés ? Ça dépend. Si j’écris pour les enfants, ce sont des calambours, des non-sens. Si j’écris pour un CD, c’est-à-dire des paroles de chansons, alors ce sont des thèmes, je dirais, actuels, des thèmes qui me préoccupent en tant que citoyen. Si j’écris pour moi-même, alors ce sont des thèmes plus intimes. Par exemple dans mon dernier recueil de poésies qui s’appelle Le Courrier de là-haut je décris les états d’âme entre le sommeil et le réveil. Ce sont des poèmes d’insomnie qui sont très intimes. Il m’est impossible de définir les thèmes de mes poésies en général. Lorsqu’on a demandé une fois à Brassens quels étaient les thèmes préférés de ses chansons, de sa poésie, il a dit : ‘La vie, l’amour, la mort.’ Oui, c’est comme ça. »
Président du PEN Club tchèque
Vous avez été élu à plusieurs reprises président du PEN Club tchèque. Qu’est-ce-que cette association d’écrivains représente pour vous et dans quel sens a-t-elle évolué sous votre direction ?
« J’ai été élu quatre fois président du PEN Club tchèque et j’ai servi cette organisation pendant 16 ans. De tous les président du PEN club, j’étais celui qui a occupé ce poste le plus longtemps. Aujourd’hui je ne suis plus président du PEN Club. Pour moi c’étaient des années de bonheur et de tragédies, Le bonheur consistait dans les visites de mes amis à l’étranger à l’époque où le PEN Club avait encore de l’argent. Mais la situation se détériore de plus en plus. Aujourd’hui on n’a pas d’argent pour voyager, on n’a même pas d’argent pour payer une secrétaire. Et c’est dû à la situation culturelle et politique en général. Le livre ne vaut rien aujourd’hui. Ce qui importe, c’est l’art visuel. Le livre, c’est un art pour 4 % des habitants de n’importe quel pays – avec une exception, et ce sont les pays en voie de développement. Là-bas, le livre signifie encore quelque chose. »
Mais malgré cette situation du livre que vous voyez comme lamentable, vous êtes quand même éditeur. Pourquoi vous êtes-vous lancé encore dans cette activité et quel genre de livres publiez-vous?
« C’est ma femme qui a eu l’idée de créer notre maison d’édition qui s’appelle Limonádový Joe. On publie les livres de mon beau-père Jiří Brdečka connu comme scénariste de plusieurs films très populaires en République tchèque. Et puis nous publions aussi des textes de ma femme Tereza Brdečková et de moi-même. C’est une maison d’édition strictement familiale. Je suis éditeur de mes propres livres. Je publie ce que j’écris et en plus je le vends en voyageant et en chantant un peu partout en République tchèque. Les gens viennent, je signe mes livres et je les vends. Je ne peux pas faire des livres pour le business. Etre éditeur de soi-même est beaucoup plus facile que d’éditer ce qu’on publie généralement. »
Ecrire, chanter et faire des disques
A 70 ans, on peut se retourner sur son passé, mais on peut aussi faire des projets d’avenir. Comment voyez-vous aujourd’hui votre avenir de poète, de chansonnier et d’éditeur ?
« On dit que la vieillesse n’a pas d’avenir mais aujourd’hui soixante-dix ans, ce n’est pas beaucoup. J’espère rester ici encore quelques années. Mes projets sont toujours les mêmes – écrire encore un livre, faire encore un CD, donner encore quelques bons concerts. Actuellement je suis en train d’écrire un livre pour enfants. »