Jiří Žák (II) : « Le Grand Blond est, en réalité, un homme triste »
Avec Jiří Žák, nous sommes assis dans sa loge au théâtre pragois Divadlo na Vinohradech, non loin de la Radio tchèque, dans ce même théâtre où joue l’épouse de l’ex-président Václav Havel, Dagmar Havlová. D’ailleurs, Jiří Žák devrait publier, cette année, un livre intitulé « Divadlo podle Havla » (Le théâtre selon Havel). Il s’agit d’un entretien qu’il a réalisé avec le dramaturge Václav Havel… L’ancien président tchèque n’est pas l’unique célébrité que Jiří Žák a connue et interviewée. Dans les années 1990, il a réalisé, pour la Télévision tchèque, une série d’entretiens avec, entre autres, Jean Marais, Robert Hossein ou Robert Merle. L’une des rares actrices françaises qu’il a pu rencontrer était Marlène Jobert. Jiří Žák :
« Les gens se font une fausse image des comédiens. Ils pensent que ce sont des gens qui débitent des blagues à tour de bras. Moi-même, je me souviens qu’un jour, j’ai assisté, un peu malgré moi, à une fête de mariage. On m’a assis à la table en me disant : ‘Et maintenant, à toi de nous amuser !’. J’étais choqué, car je ne suis pas un humoriste, je suis acteur, ce que les gens ont tendance à confondre. Cette histoire me revient à l’esprit quand je pense à Pierre Richard : c’est un homme cultivé, intelligent et triste. Je le connais assez bien, puisque Pierre Richard est un ami intime du scénariste Didier Kaminka, qui est mon propre ami.
« Un traducteur pragois, Saša Jerie, raconte une histoire typique pour Pierre Richard. Il avait traduit en tchèque la pièce de Kaminka ‘La solitude d’un gardien de but’ et a invité Kaminka et Richard à Prague pour le spectacle. Je crois qu’ils se sont fait voler quelque chose et se sont retrouvés à la gendarmerie. Comme les gendarmes ne manifestaient aucun intérêt pour le comédien, Saša Jerie, ne pouvant plus se retenir, leur a dit : ‘Vous vous rendez compte que vous avez devant vous le Grand Blond avec une chaussure noire ? Ils étaient très étonnés et ont rétorqué : ‘Ah bon ? C’est lequel ?’ Pierre Richard est très discret. Si vous le croisiez, vous ne le reconnaîtriez pas. »
Le hasard a voulu que certaines interviews prévues par Jří Žák, des rendez-vous déjà fixés, par exemple avec Gilbert Bécaud, Gérard Depardieu, Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon, ne se soient jamais réalisées, pour différentes raisons. Jiří Žák a pu rencontrer Alain Delon dans des circonstances assez particulières :
« Il y a un certain temps, j’ai traduit un livre sur Jean Gabin. Et à travers Jean Gabin, j’ai fait la connaissance de la famille de Lino Ventura, qui était déjà mort à cette époque-là. J’ai connu son fils Laurent et sa fille Clelia. Nous sommes devenus amis. Un jour, ils m’ont invité dans la célèbre émission de télévision ‘Vivement dimanche’, consacrée à Lino Ventura. C’était mon heure de gloire. En arrivant au studio, je suis passé à côté des portes des loges où étaient inscrits les noms des invités : il y avait Jean-Loup Dabadie, le scénariste des films de Lino Ventura, sur une autre porte, il était marqué Charles Aznavour, sur une autre Jiří Žák, et à côté de moi, il y avait Alain Delon, la famille Gabin et la famille Ventura. J’étais en bonne compagnie ! C’est donc à cette occasion que j’ai rencontré Alain Delon. Nous nous sommes très bien entendus. Ce serait bien de l’interviewer, mais je me sens prêt à écrire plutôt un livre sur lui. »Jiří Žák qui a pu passer des moments en compagnie des vedettes du cinéma français, a réussi ce dont rêvent de nombreux cinéphiles et même de nombreux journalistes :
« Le fait d’être tchèque a été peut-être un atout pour moi. Mes interlocuteurs connaissaient la République tchèque, Robert Hossein par exemple a tourné ici un film avec Marina Vlady. Mais ce qui m’a surtout ouvert des portes, c’était le fait que je ne sois pas journaliste. Jean Marais m’a dit : ‘Je ne te parlerais pas si tu venais de l’auditoire. Mais toi, tu viens de la scène, tu es mon collègue.’La complicité entre comédiens dépasse les frontières, affirme Jiří Žák et raconte :
« Je me souviens d’un moment très fort que j’ai vécu à Paris, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, avec un très bon comédien, Patrick Préjean. Il m’a fait visiter le théâtre et sur la scène, nous nous sommes mis à réciter, moi en tchèque et lui en français, les vers de Cyrano de Bergerac, rôle que nous avons tous deux interprété, en plus sur la scène où Cyrano a été joué pour la première fois, vers 1898 ! Nous nous sommes sentis très proches. Voilà la magie du théâtre : on peut être divisé par la langue, tout le monde ne parle pas français, mais nous sommes tous des êtres humains, nous sommes comédiens et quelque chose nous unit. »Parmi la nouvelle génération d’acteurs, Jiří Žák a également ses favoris :
« L’acteur de cette nouvelle génération qui m’intéresse le plus, c’est Benoît Magimel. J’ai traduit le film ‘Le Roi danse’ où il joue Louis XIV. En traduisant les dialogues, j’ai beaucoup travaillé, pour ainsi dire, ce personnage. J’ai observé sa façon de jouer et il m’a fasciné. C’est un acteur formidable. Il renoue avec la tradition du cinéma français, sauf que ses prédécesseurs, comme les acteurs tchèques de l’époque, jouaient avec un certain pathos. Ces jeunes acteurs, comme Benoît Magimel, Vincent Cassel, Mathieu Kassovitz, sont plus naturels, plus civils. J’aime aussi Jean-Hugues Anglade et beaucoup d’autres… Oui, je continue à suivre ces acteurs, je les suis avec beaucoup d'intérêt. »Comédien, traducteur et écrivain, Jiří Žák est inlassable et infatigable : il s’apprête à écrire des livres sur Jacques Brel et Annie Girardot – la seule actrice française sur laquelle il a, paraît-il, envie d’écrire…