Joël Farges : « Jiří Trnka est un génie méconnu qui mérite d’être réhabilité »
Maître tchèque du cinéma d’animation, Jiří Trnka est mort il y a cinquante ans, le 30 décembre 1969. Il était âgé de 57 ans. Pour rendre hommage à ce marionnettiste, cinéaste, illustrateur, peintre, sculpteur et scénographe, une grande rétrospective de l’œuvre de Trnka se tient jusqu’au 22 mars prochain à la galerie de Bohême centrale GASK dans la ville de Kutná Hora. Avant cela, le 28 novembre dernier est sorti dans les salles en République tchèque un nouveau documentaire tchéco-français intitulé « Jiří Trnka : l’ami retrouvé », fruit du travail du réalisateur français Joël Farges et de la scénariste tchèque Tereza Brdečková. A cette occasion, Joël Farges a évoqué pour RPI son attachement à l’œuvre de Jiří Trnka et à la culture tchèque en général.
« J’avais fait un premier film quand j’avais à peine 20 ans. C’était en 1973 et le Parti communiste français m’avait emmené à Prague, Bratislava et Brno. C’était la première fois que je quittais la France pour aller ‘dans un autre monde’. Cet autre monde, totalement différent du nôtre, m’a beaucoup surpris. Ensuite, je suis revenu plusieurs fois, voir des amis. Je venais en train, pour quelques jours. Le voyage était long, j’avais l’impression d’aller à l’autre bout du monde. En 1988, j’ai tourné dans les studios Barrandov un film dont la moitié se passait en France et l’autre moitié en Tchécoslovaquie. J’ai terminé ce film à l’automne 1989 à New York. J’ai vu à la télévision ce qui se passait à Prague, alors j’ai pris le premier avion et me suis installé à l’hôtel Esplanade, place Venceslas. J’étais ainsi aux premières loges. Je suis resté pendant trois semaines pour suivre de près la révolution de Velours. »
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« Par la suite, j’ai coproduit plusieurs films tchèques, Marián de Petr Václav, Žiletky de Zdeněk Tyc par exemple, des films qui ont été ensuite diffusés en France. Il y a quelques années, j’ai fait une collection pour Canal + sur les cinémas extraordinaires dans le monde. Avec Tereza Brdečková, nous avons eu l’idée de tourner un épisode sur le cinéma Lucerna, à Prague, lié à la famille Havel. »
« Finalement, j’ai eu envie de tourner un film rendant hommage à Jiří Trnka et de le tourner à ma manière, car les premiers films que j’ai vus quand j’étais petit étaient ceux de Trnka. »
« Le premier d’entre eux s’intitulait ‘Bajaja’. En 1967, j’ai vu son célèbre film ‘La Main’ qui a beaucoup fait évoluer l’idée que je me faisais du communisme. Déjà à cette époque j’avais eu l’idée de faire un film sur Trnka. Je n’ai réalisé mon rêve que cinquante ans plus tard. »
« Trnka a été exposé au Louvre en 1959, ce qui était quand même rare pour un artiste étranger, et tchèque en l’occurrence. Ce n’était pas rien. A cette période, il était considéré comme le grand génie de l’animation. Du temps des films de marionnettes, ses films étaient bien distribués. Le ministre français de la Culture, l’écrivain André Malraux, avait décidé de coproduire un film avec Trnka. Le problème, c’est que les Français auraient souhaité qu’il réalise une histoire française. Or, Trnka a choisi d’adapter ‘Le songe d’une nuit d’été’ de Shakespeare… »
« Ensuite, Trnka a été un peu oublié, le Parti communiste tchécoslovaque l’a effacé. Il a été l’un des premiers à dire la vérité sur le régime, mais d’une manière assez particulière, à travers une fable morale. Trnka a envoyé son film ‘La Main’ un peu sous le manteau dans les festivals, sans demander d’autorisation. A Annecy, son film a rencontré un succès formidable. »
Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans sa version audio. Bonne écoute !