Josef Kalina, navigateur du « Monsieur Dakar » tchèque : « le Rallye et sa légende restent un symbole de l'aventure et de l'Afrique »
A l'occasion de l'édition 2005, Karel Loprais et son camion Tatra participaient pour la vingtième fois consécutive au Rallye-raid Dakar. Six fois vainqueur, le légendaire pilote, recordman du nombre de victoires dans la catégorie camions, est surnommé, en français dans le texte, « Monsieur Dakar » en République tchèque. Ce surnom, Karel Loprais le doit aussi à son fidèle navigateur, Josef Kalina. Ce dernier, spécialiste des déserts africains, s'est confié, en français, au micro de Radio Prague.
Cette année, après trois dernières épreuves dominées par les camions russes Kamaz, le Team Tatra/Loprais entendait bien rallier de nouveau en vainqueur le Lac Rose, lieu traditionnel de l'arrivée de la course, sur les bords de l'océan Atlantique. Mais victime d'une rupture du joint homocinétique à l'avant du véhicule lors du franchissement d'un erg dans le désert de Mauritanie, l'équipage tchèque a été contraint à l'abandon dès la dixième étape. Après trois jours passés dans les dunes à lutter pour sauver leur camion et leurs vies, Karel Loprais et ses deux navigateurs, Petr Gilar et Josef Kalina, ont finalement rejoint Dakar. De retour à Prague, Josef Kalina, fort de seize participations à la course en tant que navigateur, a gentiment accepté de nous expliquer le regard qu'il portait sur l'évolution très critiquée d'un rallye qui, cette année encore, aura encore fait pas moins de cinq victimes :
« Il y a deux voies d'évolution. L'une est positive, dans le sens où il s'agit vraiment, et de plus en plus, d'un rallye et d'une course de rapidité, alors qu'au début, c'est l'aventure qui primait sur le reste. Pour les concurrents, c'est peut-être un développement positif, mais, selon moi, il y a bien d'autre aspects négatifs. En premier lieu, il y a l'utilisation obligatoire de l'électronique. Il y a des boîtiers partout et les navigateurs ne font plus de navigation naturelle. Désormais, les navigateurs sont les gardiens des boîtiers et cela ne me plaît pas. »
-Peut-on dès lors affirmer que le côté aventure de la course a complétement disparu ?
« Non, je n'irais pas jusqu'à être aussi catégorique. Bien entendu, la sécurité de la course s'est améliorée, la nourriture est également très bonne, etc. Parce qu'avant, c'était terrible, nous mangions des conserves militaires, c'était tout ce que nous avions pendant les trois semaines. Maintenant, l'aventure réside plus dans le rallye et la course, même si c'est vrai qu'il n'y a plus beaucoup de situations extrêmes, exceptionnelles, comme nous en avons rencontrée cette année lorsque nous sommes restés trois jours dans le désert à lutter pour sauver nos vies. Quoiqu'il en soit, si vous ne voulez prendre aucun risque tout en participant, vous ne risquerez rien. Il est tout à fait possible de rester sur la piste en attendant que quelqu'un vienne vous récupérer et vous sauver. Bien entendu, dans le cas des camions, c'est différent, en cas de problème, ils sont laissés sur place. Vous ne pouvez alors compter que sur vous-même. »
« Je pense aussi que les budgets de certaines équipes sont tellement gonflés que cela peut effectivement alimenter les critiques. La comparaison avec le niveau de vie en Afrique est extrême, c'est vrai. Mais vous savez aussi comment cela se passe dans le monde. Dès qu'il y a quelques développements, des évolutions, les gens ont tendance à vouloir perfectionner et à investir de plus en plus d'argent. Les équipes riches ont de tels moyens que, chaque nuit, elles peuvent pratiquement se permettre de préparer une machine neuve pour l'étape suivante. Cela coûte trop d'argent, c'est certain. La question est toutefois la suivante : si l'argent n'était pas mis dans de tels événements, arrive-t-il pour autant jusqu'à tous ceux qui ont besoin d'aide ? C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre. »
-Que ressentez vis-à-vis de l'Afrique ? Cela fait seize ans que vous vous y rendez. Au-delà de votre passion pour le sport automobile et le rallye, est-ce aussi l'Afrique qui vous fait revenir ? Et lorsque vous la traversez, avez-vous le temps de l'observer et de l'apprécier ?
« L'Afrique a beaucoup changé. Dans le sens positif, on peut noter un certain développement. Mais il y a d'autres tendances que je n'aime pas. Par exemple, j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de sacs poubelle en plastique un peu partout, les gens ne sont pas habitués à rassembler les poubelles à un endroit. Ils jettent tout un peu partout, mais dès qu'il s'agit de matériaux qui ne sont pas bio-dégradables, le désert se transforme en une immense poubelle, et cela me gêne. Bien entendu, il y a de plus en plus de monde, la population est en hausse, mais je n'ai pas l'impression que les femmes n'aient pas de quoi donner à manger à leurs enfants. Ceci dit, la différence avec notre niveau de vie reste extrême. »
-Comment avez-vous découvert le Rallye Dakar ? Comment un équipage tchèque en vient-il à prendre part à une telle course ?
« Nous avons commencé sous le système communiste. A l'époque, il était donc bien entendu question avant tout des intérêts de l'usine. Notre rôle a été de convaincre les grands responsables communistes que nous allions faire une bonne propagande de notre produit dans « l'autre monde ». Comme constructeur de camions tout-terrain, Tatra s'est montré intéressé. Nous avons commencé très modestement et puis, malgré tous les changements de directeurs, de systèmes économiques, puis politiques, nous avons toujours trouvé une solution pour participer. Depuis cinq-six ans, nous sommes une structure entièrement privée qui appartient à la famille Loprais. Désormais, nous fonctionnons donc comme les autres équipes, c'est à dire grâce aux sponsors. »
-Qu'est-ce qui fait que, aujourd'hui encore, le Rallye Dakar reste une course à part, différente de toutes les autres ?
« C'est simple : c'est une course dure, longue et puis il y a la légende. C'est aussi une course symbole de l'aventure, de l'Afrique et de quelque chose d'absolument extraordinaire. »