Kaplický et sa bibliothèque dans « Un œil au-dessus de Prague »

« Oko nad Prahou », ou « Un œil au-dessus de Prague » : c’est le nom du projet de nouvelle bibliothèque nationale dessinée par l’architecte britannique d’origine tchèque Jan Kaplický. Très controversé et objet de nombreuses tergiversations et retournements médiatico-politiques, le projet futuriste de l’ancien émigré tchèque avait finalement été abandonné, après de nombreuses polémiques. Cette histoire est aujourd’hui retracée dans un film documentaire éponyme.

Tout commence le 2 mars 2007 : le cabinet d’architecture fondé et dirigé par Jan Kaplický remporte le premier appel d’offres international lancé par la ville de Prague pour la construction d’une nouvelle bibliothèque nationale. Kaplický, architecte reconnu internationalement, exulte et se réjouit d’être à l’origine d’un projet d’une aussi grande envergure, à Prague, sa ville natale qu’il a quittée en 1968. Pourtant, deux mois après la décision du jury, le président Václav Klaus émet des critiques publiques sur le projet, qui a déjà acquis le surnom de « pieuvre » ou de « blob ». Trop futuriste, trop colorée, trop haute, cette nouvelle bibliothèque, construite sur l’esplanade de Letná, à moins de 500 mètres du Château de Prague, menacerait, selon ses détracteurs, de défigurer la vue imprenable sur toute cette partie historique de la capitale tchèque. L’affaire de la bibliothèque nationale va alimenter les polémiques jusqu’à l’abandon définitif du projet, en janvier 2010, tout juste un an après la mort tragique de l’architecte. Pourtant, tous ces ingrédients dramatiques étaient loin d’être inscrits dans le scénario de ce film documentaire. On écoute Olga Špátová, la réalisatrice :

Eliška Kaplický et Olga Špátová,  photo: CTK
« Nous voulions retracer l’histoire de cet édifice. Au début, c’est sorti dans les journaux comme une belle nouvelle et une chose acquise que Kaplický allait construire cette bibliothèque. Quand tout allait encore bien, je me demandais ce que je pourrais mettre dans ce film pour le rendre un peu plus dramatique. Je ne voulais pas faire un portrait de Jan Kaplický parce que ça avait déjà été fait. Mais le scénario a changé tout seul. Et ce qui était intéressant, c’est que tout le monde parlait d’architecture. Mais aussi comment se comportent les gens vis-à-vis des émigrés qui reviennent, et comment se comportent les hommes politiques avec les citoyens. Et ce thème, ces relations humaines, c’est ce qui compte le plus dans ce que j’ai filmé. Je ne perçois pas ce film comme une lutte pour imposer la bibliothèque, même si je le souhaite, mais plus comme un film sur les gens et leurs relations. »

'Oko nad Prahou'
Le casting du documentaire rassemble de nombreuses personnalités du monde culturel et médiatique. Beaucoup sont des partisans du projet, comme Václav Havel, Vlastimil Ježek, ancien directeur de la bibliothèque nationale, et même pourrait-on dire Pavel Bém, le maire de Prague, qui avait affiché son soutien au projet avant de se rétracter quelques semaines plus tard. A l’évidence, le film défend inconditionnellement la bibliothèque de Kaplický et fustige l’esprit conservateur de ses opposants. Un jugement un peu sévère tant l’extravagance de ce bâtiment au cœur d’une ville exceptionnellement préservée fait logiquement débat.
'Oko nad Prahou'
Ce jugement n’est d’ailleurs contrebalancé que par la seule présence de Milan Knížák, directeur de la Galerie nationale généralement connu pour son sens de la provocation. Quel que soit l’avis que chacun peut avoir sur cette fameuse pieuvre, le film révèle un attachement sincère de l’architecte disparu pour ce projet qui était plus qu’un simple projet professionnel. Il invite aussi à s’interroger sur l’importance et les enjeux du développement urbain. Il est possible également que le film essaie de relancer la polémique sur l’avenir de la bibliothèque nationale. Zdeněk Lukeš, architecte et historien de l’architecture, reste sceptique sur la concrétisation du projet :

« Je connais des exemples où des édifices d’architectes qui étaient déjà morts ont finalement été construits mais ce sont des cas où le projet était déjà complètement réalisé. A Prague, il y a l’exemple de la faculté de droit, de Jan Kotěra, dont le projet a été finalisé par son cabinet. Mais c’était déjà prêt, il y avait un terrain, il n’y avait pas de conflit, pas de questions politiques. Il y a aussi l’exemple de la grande arche de la Défense à Paris. Tandis que dans notre cas, l’auteur est mort dans la première phase du projet, dans la phase d’études, et jusqu’à la finalisation du projet, le chemin est encore trop long, surtout pour un bâtiment comme celui de la bibliothèque. »

Le film documentaire « Oko nad Prahou » sort le 15 avril dans les salles de cinéma tchèques. Il sera également projeté dans le cadre du festival du film européen.