Karlovy Vary 2005-2006 : Yolande Moreau et Catherine Jacob au micro de Radio Prague
Dans ce numéro de Culture sans frontières, consacré au Festival International du Film de Karlovy Vary, vous retrouverez deux actrices françaises qui ont marqué, par leur présence, la plus grande fête du cinéma en République tchèque. La première, vous l'avez sans doute reconnue : Yolande Moreau a présenté au festival, en 2005, sa première réalisation, le film « Quand la mer monte », où elle tient aussi le rôle principal.
Son film est un jeu de miroir entre la vie réelle et le théâtre : la comédienne Irène traverse le nord de la France avec son spectacle « Sale affaire du sexe et du crime », et cette tournée sera marquée par une histoire d'amour qu'elle vit avec un des spectateurs, Dries. « Sale affaire du sexe et du crime », un one-woman-show sur l'histoire d'une femme qui a tué son mari et se confie au public, Yolande Moreau l'avait jouée pour de vrai, dans les années 1980, et avec un grand succès. Elle explique comment est né le film...
« C'est un film qu'on a fait avec des moyens très réduits et du coup, on a fait le spectacle dans des conditions réelles. On l'a repris une fois et on l'a tourné avec deux caméras. Pour des raisons de budget et, finalement, aussi artistiques on a offert le spectacle aux gens en échange de figuration gratuite. Comme ils découvraient le spectacle, on a les vrais rires, les vraies émotions et c'est important. Et puis, il y a une espèce de panel d'endroits ou on l'a joué, donc il y a par exemple cette maison de retraite, où on a reproduit quelque chose qui m'était arrivé il y a vingt ans, d'avoir en salle des vieilles personnes. Où le spectacle sous le chapiteau, qui est particulier aussi : là, on voulait un spectacle un peu désastreux, comme une erreur de programmation. C'était à Lens et on s'est greffé sur une fête commerciale. Il y avait des animations, une chanteuse, des footballeurs dans la salle, parce que le soir même, il y avait un match... »
Avec Sale affaire, vous avez sillonné la France, la Suisse, le Québec... Il vous est arrivé de jouer devant un public particulier, pour telle ou telle raison ?
« Il y a toujours des événements incroyables. Chaque spectacle est différent. Je me rappelle en particulier d'un spectacle qui m'a beaucoup plu. C'était dans un festival gratuit, en Suisse, en plein air, donc en général, ce sont de très mauvaises conditions : il y a de la musique, on entend des scènes voisines, les gens écoutent un peu, puis ils vont chercher des frites et ils reviennent... Quand ils ont annoncé le titre du spectacle, les gens hurlaient. Je suis rentrée comme dans une arène, je me suis dite : il faut tenir ! Et du coup, avec l'énergie qu'a envoyée ce public immense, ça a marché. Je garde un très beau souvenir de cette représentation. »La vie d'Irène, de la comédienne que vous jouez dans le film, elle me semble un peu triste : elle voyage toute seule, avec son spectacle, elle se déplace d'un endroit à l'autre, avec ses quelques accessoires... Cette vie-là, vous l'avez vécue. Pour vous, elle est triste ou pas ?
« Triste... je ne dirais pas. C'est assez solitaire, effectivement, comme boulot. J'ai voulu justement montrer cet aspect-là de mon métier que peu de gens connaissent. Même en troupe (j'étais pendant une douzaine d'années en troupe avec Jérôme Dechamps) il y a une espèce de routine : on voyage beaucoup, on change d'hôtels, on laisse la famille, les enfants là où ils sont... Il y a des journées à remplir qui sont celles aussi de la rêverie que j'adore, mais parfois, on se dit : tiens... Quand on est à la maison, le temps se remplit autrement : il y a les enfants, des courses à faire. Mais en tournée, il y a un temps de rêverie immense. Je ne dirais pas que c'est triste, mais solitaire, oui. »
Dans « Quand la mer monte », vous avez mis un parallèle entre la réalité et le rêve. Mais, on le voit sur l'histoire d'Irène, quand on commence à vivre réellement un rêve, ça ne finit pas toujours bien...
« Pour moi, ce parallèle, c'est qu'on cherche à mettre du rêve dans sa propre vie, on a besoin de l'alimenter. Considérer que sa vie est un roman, je trouve ça génial, je trouve qu'il faudrait tout le temps le faire. Que ça finisse bien ou pas bien... je m'en fous un peu. Dans le film, Irène vit une histoire d'amour qui, malgré tout, est jolie ! Quand ça marche ensemble, même si c'est pour des raisons différentes, quand on a cette impression de volupté, c'est-à-dire d'être en parfaite osmose avec l'univers entier, c'est génial ! Et on s'en fout, si ça finit mal. Puisque ça commence bien ! »
Vous ne menez pas une vie typique d'une star. Vous vous êtes installée à la campagne... Etes-vous heureuse ?
« J'essaie ! Je fais mon maximum ! (rires) Le bonheur, je ne sais pas ce que c'est... Des petits moments qu'on chope à gauche, à droite... Parfois, quand je me pleins, quand je vois tout en noir, je me dis : 'Attends ! Tu as des enfants magnifiques, un mari super...' »
Qui font tous du cinéma, d'ailleurs.
« Oui, ils travaillent tous dans le cinéma, ma fille comme script, mon fils et mon mari comme machinistes. On vit à la campagne, c'est un luxe aussi ! Je me réveille et j'ai des fleurs, un potager... Je n'oublie pas ça ! »
Le téléfilm français « L'enfant d'une autre » de Virginie Wagon a été sélectionné en compétition officielle à Karlovy Vary en 2006. Catherine Jacob y interprète le rôle principal de Maude, une riche femme d'affaire qui croise, un jour, une jeune fille en qui elle croit retrouver le bébé qu'on lui avait volé dix ans auparavant. Catherine Jacob :« C'est quand même une femme qui s'est fait voler un bébé de six mois dix ans auparavant. Ca ne m'est pas vraiment arrivé, mais j'ai eu quand même quelques angoisses dans ma vie... Ca n'a pas la même amplitude, évidemment, mais on est quand même censé acteur travailler sur l'imaginaire. On ne fait pas de documentaire, on fait de la fiction. J'ai été très intéressée par le traitement dix ans après de l'événement. Ce n'est pas un événement qui arrive à chaud. C'est le parcours d'une femme qui s'est complètement desséchée, durcie, qui est devenue implacable, impitoyable et à la limite de la folie, mais pour les autres, parce que dans son idée fixe, elle est extrêmement cohérente. Elle se fait voler un enfant, donc il n'y a pas de deuil, par de preuves, pas de traces... Elle vit dans un flou total avant de rencontrer la petite fille. D'un côté elle coupe les ponts avec ses amis, son mari, brise tous les liens affectifs et insupporte tout le monde... D'autre côté, elle réussit professionnellement : une sorte de renaissance d'elle même par un tel drame fait qu'au lieu de la fragiliser, ça l'a complètement décuplé. Elle est seule contre tous à savoir qu'elle a raison et ELLE A RAISON. Sauf que c'est très ambigu. Pour moi, l'intérêt de la chose était de faire un personnage qui ne soit ni léger, ni racoleur, ni séducteur et qui refuse absolument le pathos. Il n'y a aucune compassion envers elle même. C'est amusant parce que ça m'a permis d'éliminer quelques petites scories. »
On vous voit souvent dans les rôles de mères...
« Non, on voit toutes les actrices dans les rôles de mères ! C'est comme ça. Et c'est la grande connerie des scénaristes. On en est encore là ! Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Moi, j'aimerais aller vers des choses qui sont plus d'ordre cérébral... socialement cérébral, je veux dire. Une femme d'affaire, une femme politique, une militante, une suffragette... Des femmes qui font avancer la société. Je ne dis pas que les femmes au foyer ne le font pas, mais ça dépend à quelle époque. Je crois qu'il faut aller vers des rôles qui reflètent tous les pistons d'une société. »